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La tête en friche loin des têtes d’affiches

Au départ, un livre aux ingrédients pourtant pas bien « folichons »: vieille mamie attachante et benêt au cœur tendre, le tout agrémenté de gras pigeons armés de sobriquets, de livres et dico en passe d’être apprivoisés. Pourtant, La tête en Friche de Marie-Sabine Roger est un de ces bouquins qui réussit à donner naissance à un plat doux et relevé.

Miraculeusement le mélange prend vie, senteur, goût, odeur et sens. Parce que les phrases sont brutes, osent le nu. Le lecteur assiste à un étrange accouplement où les mots de tous les jours n’ont pas peur de se dresser fièrement à côté de mots nouveaux, un rien prétentieux parfois, mais pourtant si délicats…Tout ça  sous la plume aguerrie de Marine-Sabine Roger, qui, ancienne enseignante, connaît bien son sujet.

Le sujet justement : une rencontre entre Germain, un « gars de la terre » en manque d’amour et Margueritte une vieille dame passionnée de livres et avide de transmission. Mais aussi le langage des mots, la confrontation d’un Savoir que l’on croit inaccessible et d’une naïveté parfois mangée par ce premier. Bien des fois, je me suis sentie Germain, bien des fois, je me sens encore Germain, perdue dans un tourbillon de mots, d’images et de références loin de mon quotidien…

Pour cela, je suis allée voir l’adaptation cinématographique…Le film quoi, le film tiré du bouquin.

Petite hésitation déjà en voyant le Germain de Jean Becker: Depardieu ?! Pff…

Curiosité oblige, je franchis malgré tout la porte de la salle et me voilà partie…Moins loin que je l’aurai aimé.

Entrée en matière trop brutale, performances d’acteurs douteuses, poésie enfuie, flashs back mielleux….Quand l’image s’emmêle, c’est une friche qui n’est plus. Un film trop propret. Un simplet trop intello pour croire à une soudaine découverte de la magie des livres,  une mamie sans brin de folie : ridée mais trop lisse, sympatoche mais trop moraliste, touchante mais finalement un peu chiante…Une Marguerite à laquelle on a enlevé son deuxième  « t » qui faisait pourtant toute la différence.

Autre histoire que celle de Sabine que j’avais laissé m’apprivoiser, cette adaptation ne laisse pas plus de traces qu’un bon Louis la Brocante une soirée de pluie.

Il y a de ces livres qui devraient le rester. Des livres à ne pas rater.

Extraits:

« Margueritte dit que se cultiver, c’est tenter de grimper en haut d’une montagne. (…) Un beau matin, on prend son sac à dos, on commence sa marche. (…) On croyait que le monde s’arrêtait à la colline en face, mais non ! (…) une fois qu’on est tout en haut, on est content (…) seulement au bout d’un moment, on se gaffe d’un truc tout con : c’est qu’on est seul, sans plus personne à qui causer. (…) C’est sans doute à ça qu’elle pense Margueritte quand elle dit (…) que la culture isole. »

« C’est pas parce qu’on est inculte qu’on n’est pas cultivable. Il suffit de tomber sur un bon jardinier. »

La tête en friche, Marie-Sabine Roger, Ed du Rouergue, 2008

La tête en friche, un film de Jean Becker, sortie dans les salles en juin 2010




Houellebecq, where art thou?

Depuis que  le rejeton Cinéma a vu le jour, l’adaptation littéraire est une des figures imposées du parfait petit cinéaste.
Les plus grands s’y sont frottés, parfois avec bonheur (Barry Lyndon, Lolita) mais – n’est pas Kubrick qui veut, très souvent, avec perte et fracas. L’exercice n’est pas aisé. Certains critiques et spectateurs crieront à la trahison de l’esprit de l’œuvre et du texte, d’autres à une illustration insipide et sans saveur, qui n’apporte rien de bien neuf.

En 2006, le réalisateur Oskar Roehler, auteur des turbulents « Suck my dick » et « Der alte Affe Angst », se risque à l’adaptation du best-seller casse-gueule de Michel Houellebecq, les Particules élémentaires. Son passé de trouble-fête aidant, on aurait pu s’attendre à une œuvre insidieuse et aux relents de soufre.
Hélas, force est pour  nous de constater que M. Roehler est tombé dans les deux travers précédemment cités. De la sève vénéneuse et dense de l’univers houellebecquien, point de gouttes.

Bruno (Moritz Bleibtreu) et Michael (Christian Ulmen) sont demi-frères, rejetons d’une mère folâtre, une Pamela Anderson peace and love, surfant sur la vague des plaisirs beatniks.
Nos deux anti-héros, élevés séparément, sont diamétralement opposés. L’un, scientifique brillant, est un handicapé des sentiments et du sexe. L’autre, professeur de lettres, est l’archétype de l’obsédé sexuel maladroit. Sans surprise, ils sont seuls. Ils rencontreront pourtant l’amour. Michael se laisse séduire par son amie d’enfance, Annabelle. Bruno découvre sa femme idéale, Christiane, partageant ses fantasmes les plus hard.

Si le film reste relativement fidèle à l’intrigue du roman, il n’en assume pas l’esprit cynique et désenchanté.
La photographie arbore des couleurs criardes. Du côté bande originale, rien de bien innovant, on est dans le cliché, allant pêcher dans des classiques des années 60, utilisés déjà cent fois dans d’autres productions allemandes.
La mise en scène est plate, creuse, même, à l’image du regard inexorablement vide de Christian Ulmen, qui offre là une bien piètre performance.

Mais au bout de ce tunnel sans fin d’ennui et d’agacement, une lueur: l’interprétation inspirée de Moritz Bleibtreu, récompensée avec raison d’un Ours d’argent.

Parmi les desserts toujours très attendus de l’adaptation littéraire, « les Particules élémentaires » ressemble à un soufflé raté, au goût insipide, dégoulinant d’une mélasse mélodramatique, un comble pour une traduction du désenchantement houellebecquien.

Au début du film, Michael se pose la question si son étude sur la reproduction artificielle  est digne d’être poursuivie. Après coup, on se demande si ce n’est pas là une retranscription du journal de bord de tournage de Roehler s’interrogeant sur la pertinence de sa « reproduction artificielle » du roman de Houellebecq.
De toute évidence, la réponse est non. Capitaine Roehler, c’est un naufrage. Comme vous dites si bien, « Bonjour l’angoisse! ».

Les particules élémentaires d’Oskar Roehler. Avec Moritz Bleibtreu, Christian Uhlmen, Franka Potente et Martina Gedeck. 1h53. 2006. Disponible en DVD.




La guerre des clans aura bien lieu

Coralie, la vingtaine passée, Vicky pour les intimes anonymes du téléphone rose, vit dans un bled paumé en compagnie de son « père » et d’un ex-prisonnier enamouré. Pour voisins, 3 compères, caïds de la campagne, wesh wesh made in Tabernacland, dont les principales occupations se résument à jouer au ping-pong, à traquer du Frenchy égaré, à rouler des muscles pour devenir les maîtres absolus… d’un hameau. Deux prostituées russes complètent le tableau.
Ici, on pousse les indésirables de leur vélo à coups de voiture puis on achève les ennemis à bout portant. La mort plane et ce ne sont pourtant pas les coups de revolver qui l’annoncent. La mort s’est déjà installée dans les traits, les pas, les mouvements lourds de ces corps bruts mais lâches.

La nature, si souvent sujet de contemplation, se révèle oppressante.
Le ciel immense d’un blanc saturé menace à chaque instant de tomber sur la tête de ces hommes. Les nuages sont fixes. La vie semble s’être arrêtée.

« Rien ne bouge ».

Dans cette nature écrasante, tout en lignes arides, les personnages évoluent comme des ombres, des personnages de papier noir, ce qui n’est pas sans rappeler Michel Ocelot. Des pantins, en somme.
Il y a à cet égard une scène éloquente. Le petit chef en devenir se trouve dans un champ à côté d’une voiture. Batte à la main, une forme noire en mouvement massacre la voiture avec rage. On est frappés par cette explosion et pourtant, à l’image de ce bâton levé, un air de marionnette, on ne peut s’empêcher de penser à Guignol et à ses coups de bâton saccadés.

Car il y a bien quelque chose d’étrangement burlesque dans ce film.
On pense à Mrs Murdock et le rein de la délivrance. On aurait presque honte d’en sourire largement.
Le temps, aussi, est menaçant. Il passe à compte-gouttes et ce ne sont pas les tic-tac des horloges qui sonnent son inexorable lenteur mais le bruit des balles de ping-pong qu’on renvoie inlassablement au voisin en se relayant, jusqu’à se résoudre à se donner la mort, comme Alain, dans la solitude des champs de maïs.

Dans ce panorama cauchemardesque subsistent pourtant quelques points de lumière, témoins les prostituées russes et la forêt. Une forêt aux allures de conte de fées, irréelle, dangereuse, hors du temps. Ce sera pourtant là que l’héroïne ira trouver refuge, se balançant sur une barrière, comme l’enfant qu’elle n’est plus. Coralie est désorientée, et nous aussi. On est incertains, parfois mal à l’aise mais fascinés. On s’aveugle d’une heure et demie de N/B intense et lorsque l’on sort du film, on se surprend, les yeux au ciel, à en vérifier le bleu et à fixer d’un regard songeur les couleurs de l’été, comme dotés de nouveaux yeux.

Elle veut le chaos de Denis Côté. Avec Ève Duranceau, Nicolas Canuel, Normand Lévesque, Olivier Aubin, Laurent Lucas et Réjean Lefrançois. 1h45. 2008. Disponible en DVD.




Wristcutters : suicide & love story

LenimportenawakbisdeJessAussi incroyable qu’il puisse paraître, les suicidés aussi ont droit à l’amour dans le monde de Goran Dukic. En même temps, ils le méritent bien, vu que s’il n’y avait l’amour, certains se recouperaient bien les veines.

La première scène pose le décor et le ton : un mec se lève de son lit, et range son appart’ de fond en comble. Puis se coupe les veines. Et la dernière vision du monde (le nôtre) qu’il a, c’est une touffe de poussière qui a échappé à son grand ménage.

Imaginez vouloir en finir avec la vie parce qu’elle est trop difficile à supporter sans votre blonde, et vous retrouver dans un monde sinon pire en tout cas le même, où il faut bosser, manger, boire et même payer des PV, sans la blonde en question… et avec d’autres suicidés aussi suicidaires que dans le monde d’avant.
« Heureusement », Zia (le suicidé du début et personnage principal) entend dire que sa copine – son ex – l’a rejoint dans ce monde. Alors il part, il emmène son ami de beuverie, dans un trip sur les traces de cette fille qu’il croit l’amour de sa…vie.
Et sur le bord de la route, par hasard, il rencontre celle qui lui donnera envie…de vivre.

Un film pas tout à fait rose ou optimiste de prime abord, mais pas totalement cynique non plus.

Il n’est pas question de morale, du droit au suicide ou pas, de la vie ou de la mort.
Il est question de personnes, de mal être et du sens de l’existence, et de ce qui nous fait nous lever et agir.
Ce film est une ballade en voiture avec un mec qui croit être amoureux, une nana qui s’est suicidée par accident, d’autres personnages « hauts en couleur » comme dirait l’autre, et un trou noir dans le moteur qui emporte les lunettes de soleil, les fleurs et les choses importantes.
Un film où les personnages ne peuvent pas sourire et où il n’y a pas d’étoile la nuit.
Un film où la BO est composée de chansons de suicidés.

C’est ainsi que le voulait Goran Dukic.
Et sûrement est-ce cette vision qui a plu à Etgar Keret, l’auteur de Kneller’s Happy Campers (histoire dont est tirée le film), lui qui avait reçu plusieurs proposition d’adaptation.

Une belle vision je trouve, et si les personnages ne sourient pas, les spectateurs, eux, si et plus d’une fois. Et une belle façon de traiter le sujet : par l’absurde.

Qu’y a-t-il de plus absurde que d’avoir envie de vivre par accident, quand on s’est tué par volonté ?



Wristcutters de Goran Dukic, avec Patrick Fugit, Shannyn Sossamon et Shia Whigham. États-Unis, 2006, 91 min. Probablement dispo en DVD.




Imaginez-vous coincés par des mots : la Ronde du Carré

Ou comment une pièce à l’histoire somme toute banale se transforme en véritable performance théâtrale.

Le metteur en scène vous semblait tout à fait correct. Il vous avait parlé d’une succession de saynètes relatant les déboires de différents couples. Jusque là, rien d’anormal. Les répétitions, qu’elles soient italiennes, couturière, ou générale allaient suivre un chemin somme toute classique.Seulement voilà, le premier jour, votre texte en tête, vous pensiez votre italienne terminée, vous n’aviez pas mis l’intonation comme l’exercice l’exige, vous contentant de déclamer le texte appris pendant les semaines précédentes. Lorsque, du fond de la salle, vous entendez « Redis ton texte mais en plus vite » !

Vous veniez de découvrir à vos dépends l’exercice de style que constitue « La Ronde du Carré », pièce écrite par Dimitris Dimitriadis et mise en scène par Giorgio Barberio Corsetti. Cette pièce aurait pu se limiter à un classique théâtre de boulevard avec les péripéties de quatre couples observées en parallèle par le spectateur. Mais elle devient un véritable exercice de style, par la répétition successive de chacune de ces tranches de vie.

Le rythme s’accélère jusqu’à ne plus laisser la place qu’à des mots lancés ça et là par les acteurs, tels les acteurs de Ionesco dans le final de La Cantatrice Chauve.

Et pourtant, on assiste au portrait effroyablement réaliste des jeux d’amours, de désamour, de domination et de soumission au sein de couples (hétérosexuels, homosexuels, bisexuels, … ). Et par l’accélération progressive, l’érosion du discours pour ne plus être que mots, interjections, exclamations, on a l’impression de toucher l’émotion pure, le sentiment à l’état brut. Les acteurs sont réellement à fleur de peau, ils se dévoilent au fur et à mesure qu’ils se déshabillent des mots, rendus superflus par le génie de l’écriture de Dimitriadis.

Le public assiste, tantôt riant allègrement, tantôt méditant gravement en même temps qu’éclatent disputes, ruptures et drames conjugaux, au vaste champ des possibles de l’amour et de la domination.

Autant vous dire que l’on ne ressort pas indemne d’une telle expérience. Soyez sûr qu’après ces 2h30 de pur bonheur (mais pourtant de véritable angoisse), on en vient à réfléchir sur le sens des mots, la brutalité du discours, l’arme terrible que peut représenter le mépris verbal.




Expo : Duane Hanson – Le rêve américain d’un désenchanté


En guise d’accueil, une jeune pompom girl déjà fatiguée. Puis des touristes lasses, un docteur au regard perdu dans le vague, un bodybulder au bord du dégonflement….Le rêve américain, démystifié.

Etudiant, surfeur, vendeur de voitures se confondent étrangement avec les visiteurs étonnés. Etonnés par le réalisme de ces sculptures humaines sans vie et pourtant si expressives. Et moi de regarder ces touristes dans cet étrange zoo de la vie, des touristes qui n’osent s’approcher de trop près. De rigueur au musée Grévin, les appareils photos sont silencieux. Curieusement, l’idée ne vient à personne de les sortir. Ici, on admire l’Ennui. La star, c’est le spleen.

Au-delà du résultat physique et technique étonnant de vérité où, bourrelets, rides, boutons, chair de poule et poils au dos nous renvoient à notre image telle qu’elle est, la démarche artistique du père de l’hyperréalisme est encore d’actualité.

« Tout le monde à un moment de son existence a été ou sera une figure de Duane Hanson, un être soudain figé sur place, perdu dans ses pensées, paralysé par un je ne sais quoi…Une sorte de torpeur existentielle qui renvoie à l’isolement de l’individu » écrivait Bruce Bégout, philosophe et écrivain français au sujet de l’artiste.

Pas de piédestal, à hauteur humaine, cowboyman et ouvriers de chantiers se tournent le dos, portant le fardeau des classes populaires de l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui. Pas de critique portée derrière ces 15 portraits exposés, pas de dégoût ou de jugement. On perçoit d’abord le regard d’un homme fasciné par les gens, petits, grands, moches, les abîmés de la vie.

La projection d’un entretien dans l’atelier de l’artiste, permet d’en apprendre plus sur la démarche de Duane Hanson : « Donner du recul à des personnages trop près de nous. (…) d’étudier les gens ordinaires qui souffrent du quotidien. (…) parce que la résignation, le vide et la solitude de leur existence captent la véritable réalité de la vie des gens. »

Duane Hanson, Le rêve américain…

Mercredi, jeudi, vendredi, dimanche de 14h à 19h et samedi de 14h à 21h au pavillon Paul Delouvier du parc de la Villette jusqu’au 15 août.




Après l’action, la réflexion…

En pratique, le football c’est 90 minutes d’agitation dans les gradins, des litres de sueur perdus pour les joueurs et un profond mépris, quasi-général, pour l’arbitre.

A la télévision, c’est une équipe de milliardaires qui court derrière un ballon pour le plus grand bonheur de ses sponsors.

Et en mots, ça donne quoi ?


  • « Les Miscellanées de la coupe du monde » d’Olivier Lefèvre

Nous sommes en juin 2010. Le monde entier a les yeux rivés sur l’Afrique du Sud, on pense foot, parle foot, vit foot aux quatre coins de la planète.

Est-ce une raison suffisante pour ouvrir ce livre ? Non. « Les miscellanées de la Coupe du Monde » se déguste sans faim et à toute heure, quelle que soit l’époque, et surtout si vous êtes, comme moi, incapables de faire la différence entre un coup franc et une sortie de jeu.

On a donc attendu que le concert des vuvuzelas s’arrête et on a trouvé trois VRAIES bonnes raisons d’ouvrir ce livre.

 

1/ Pour trouver « plus bête que vous » (p. 155):

Avec cette petite sélection de phrases prononcées par des entraîneurs anglais, plus besoin de vous convaincre. Le football est plein de comiques qui s'ignorent. Woody Allen n’aurait pas dit mieux.

  • Les quatre-vingt-dix premières minutes d’un match sont les plus importantes (Boddy Robson)
  • Ils sont la deuxième meilleure équipe au monde, et il n’y a pas plus grand compliment. (Kevin Keegan)

 

 

2/ Pour comprendre ces supporters en délire qui hurlent: « Le foot, ça tue » (p. 256)

Souvenir. En 1994, le joueur Andrès Escobar marque un but contre son camp lors du match Colombie-Etats-Unis, ce qui entraîne l’élimination de son équipe. De retour dans sa ville natale, il croise un supporter déçu (et armé) qui le crible de balles.

Prévention. Admettons que vous soyez footballeur, colombien et malchanceux (ce qui représente, selon un rapide calcul 0,05% des lecteurs d’Arkult), sachez qu'une petite erreur de direction peut vous coûter la vie.

 

3/ Pour savoir « s'entourer »… (p. 206) :

Selon une étude réalisée par le site d’information SIRC (Sports Research Intelligence sportive), 72% des supporteurs espagnols préfèrent regarder un match que faire l’amour, contre 25% des fans de foot français. Entre l'écran et le lit, les Norvégiens, Néerlandais, Allemands, Britanniques et Suisses ont vite choisi.

Il ne vous échappera pas que ces 281 récits  ne sont pas tous d'importance égale. Anecdotes, biographies, chansons… Olivier Lefèvre a survolé tout sorte d'évènements pour composer son livre. Mais n'est-ce pas le propre des miscellanées que d'être fragmentées, hétéroclites et loufoques? Cet ouvrage composite est à l'image du football français. Singulier.


« Les miscellanées de la Coupe du Monde« , Olivier Lefèvre, Editions Fetjaine, 2010, 12,90€.




Yoko Ogawa veut se souvenir des belles choses

Cristallisation secrète, c’est l’histoire d’une île, sur laquelle choses et êtres disparaissent peu à peu du paysage et des mémoires. Difficile pour les habitants de protester : une police secrète les traque en permanence. Science-fiction, métaphore politique ou essai philosophique ? Un peu des trois, en fait. Et la sauce prend.

A l’origine, je cherchais un livre pour une amie qui aime Wajdi Mouwad, Milan Kundera, Murakami et Gabriel Garcia Marquez. Du fantastique, du lyrique aussi, et du questionnement sur la mémoire, l’identité. A la librairie L’Arbre à Lettres à Bastille – que je recommande d’ailleurs, pour ses libraires qui vous parlent bouquins comme d’un bon plat – c’est presqu’immédiatement que le libraire qui me conseillait s’est dirigé vers le coin Littérature étrangère pour me tendre Cristallisation secrète*. J’étais un peu dubitative au départ. Cristallisation secrète, j’imaginais quelque chose d’un peu mièvre, du Harlequin à la sauce mélancolique. En quelques mots, j’étais séduite, c’était plutôt du Kafka, digéré par Terry Gilliam.

Sur une île anonyme, les habitants sont confrontés à des disparitions pour le moins étranges : un matin un objet, une chose ou un animal s’efface. C’est-à-dire continue à matériellement exister mais n’évoque plus rien à la population, qui du coup s’en défait. Après avoir « oublié » les chapeaux, les rubans, les oiseaux, les roses ou encore les photographies, ce sont des morceaux de corps qui commencent à « mourir » à la conscience de leurs propriétaires. Face à cet oubli collectif, certains résistent, mais sans le vouloir : ils n’oublient pas et continuent à conserver la mémoire et surtout l’émotion des choses, sans pouvoir se l’expliquer. Yoko Ogawa aurait pu s’arrêter là, et ne livrer qu’une réflexion fantastico-philosophique sur le rôle de la mémoire, sur la capacité de se souvenir et de ressentir qui définit notre existence, qui fait notre essence. Mais elle le mêle à une métaphore beaucoup plus politique de dénonciation des régimes dictatoriaux et du processus de soumission des individus. Elle y ajoute en effet une police secrète qui traque les « résistants à l’oubli », un éditeur – la narratrice est romancière – qu’il faut cacher, des habitants terrés qui aimeraient parfois comprendre mais qui sont terrorisés. Et qui pour survivre, acceptent de se délester non pas seulement des choses physiques, mais aussi et surtout de leur capacité de penser et de ressentir.

Ce que j’ai aimé ? L’écriture courte, incisive, le ton similaire à celui qu’on adopterait pour écrire un compte-rendu objectif d’événements. C’est factuel et dénué de sentiments, et c’en est d’autant plus dramatique. On a l’impression d’un combat déjà perdu, que le bateau a coulé et qu’on vient de retrouver le journal de bord du capitaine. Et c’est aussi de cette neutralité apparente, ajoutée à la résignation omniprésente, que naissent une mélancolie et une nostalgie qui sont la trame du roman. D’autant que la narratrice fait partie de ce tout, elle aussi oublie. Elle non plus ne comprend pas pourquoi perdre les choses, ou plutôt en perdre la mémoire et l’émotion, la fait mourir peu à peu. Et nous impose cet ordre qui nous brutalise presque plus nous que la narratrice : on ressent un véritable malaise à voir disparaître ce monde au fur et à mesure qu’on lit.

Ce qui me fait arriver au petit bémol, pour moi, du roman : Yoko Ogawa joue sur le métier de sa narratrice pour insérer des passages du roman qu’elle tâche d’écrire : l’histoire d’une jeune femme que son amant, son professeur de dactylographie, possède dans tous les sens du terme. Pour asseoir son emprise sur elle, il lui a d’abord volé sa voix, puis l’enferme et ne la fait exister que par lui. En perdant son identité, en ne voyant le monde plus que par lui, elle finira par disparaître, elle aussi résignée. Le problème, c’est qu’il me semble que l’on n’avait pas besoin ici de cette mise en abyme pour mieux comprendre, pour mieux ressentir. Plus que parallélisme, j’ai trouvé que cela faisait doublon, et m’a gênée dans ma lecture.
L’impression reste néanmoins clairement positive. La preuve : je viens de m’offrir L’Annulaire.

*Cristallisation secrète, Actes Sud.




« Solutions inédites pour partager un supplément d’âme », We Love Art

LenimpdeJessPlus de 6 ans, et toujours toutes ses dents, l’agence de conception « d’espaces-temps » We Love Art a prouvé encore une fois ce samedi 5 juin 2010 que le prix de LA soirée parisienne lui revenait.

Mon premier est une habituée des festoches, des concerts de Björk et a fait la prog du Divan du Monde. Mon second est le fondateur de TRAX, le plus gros magazine français sur les musiques électroniques et le créateur des soirées aTRAXion. Mélangez-les, et vous obtenez mon tout : un cocktail secoué qui enflamme les nuits parisiennes 2 ou 3 fois par an.

Vous avez peut-être compris que je parle de l’agence We Love Art, dont les 2 managers sont Marie Sabot, qui l’a créée en 2004, et Alexandre Jaillon, qui a rejoint l’aventure début 2005.

Pourquoi j’en parle ?

Parce que ! J’adore le concept : des soirées un peu barrées, et pourtant orchestrées de main de maître, un peu comme les Play – objet d’un futur post – : des sortes de « raves » pas en plein air, où tu te retrouves à tournoyer sur des basses à te faire exploser le cœur et à te laisser porter par des nappes mélodieuses qui te transportent loin, loin ailleurs.

Parce que les We Love prouvent que les personnes qui écoutent de l’électro ne sont pas que des mecs aux cheveux hirsutes ou aux baskets fluo, et que les soirées dites « parisiennes » ne se divisent pas entre le Showcase, le Rex ou le Batofar (pour faire vite). On y voit de tout  et de tous les âges, du raver hirsute – oui, ben il en faut quand même !- qui porte son sac à dos et bouge la tête juste devant la scène sur la gauche le plus près possible de l’enceinte, à la fille en talons qui n’a pas peur de pique-niquer sur la pelouse de la Villette juste avant l’ouverture des portes. Et l’ambiance fait qu’on finit tous par se parler, se mélanger, et tournoyer ensemble.

Parce qu’en plus, c’est toujours dans des endroits sympa : la Villette, Aquaboulevard, la Chesnay du Roi, le Palais de Tokyo…

Et parce que surtout, ce sont des artistes (ou des labels) – que j’adore !- du monde entier, improbables et tellement attendus : Vitalic, Luciano, Ellen Allien…

Pourquoi j’en parle right now ?

Parce que We Love Art a organisé sur Mai et Juin 2010 un combo : We Love Sonique avec Richie Hawtin puis Vitalic, à l’occasion de Villette Sonique.

Et c’était fou. Et même Mathilde, pas férue d’électro et qui s’est moqué de moi la 1ère fois que je lui ai fait écouter Paul K, a aimé, si, c’est vrai 😉

Parce que Richie Hawtin fête ses 40 ans cette année, et pour l’occasion, a vu les choses en super grand. Il a même fait développer une appli Synk, qui joue sur le son et l’image, et fonctionne notamment durant ses concerts. Un petit flop pour la Part I, mais n’empêche, l’ambition de faire dans le génial et l’innatendu est toujours là, et c’est ce qui fait la force de We Love.

Parce que Vitalic, auteur du célèbre morceau Trahison, joué sur la bande-annonce de Naissances des pieuvres. Parce que James Holden et Cassius.

Parce qu’Exyzt, collectif d’illuminés lumineux, qui s’est chargé de la célèbre structure d’Etienne de Crecy, était là pour une perf’ censée épileptique.

Et parce que fumer des clopes, fermer les yeux et lever les bras en souriant, c’est un mode de vie.

Pourtant bémol il y a.

Pour y aller, il faut de plus en plus débourser : environ 30 € en prévente et 7 euros la bouteille d’Heineken. Customisée, peut-être. En aluminium, certainement. Mais 7 €.

Une We Love, c’est un événement de la culture électronique incontournable à Paris aujourd’hui, et qui ne se produit que 2 ou 3 fois par an. Un événement léché et très bien imaginé. Pas un festival. Ça reste du niveau des meilleures soirées du Rex Club avec Pan Pot, même si le lieu change etc. Une soirée parisienne en somme. La meilleure, oui, mais quand même.

Alors je vote pour que le concept We Love reste ce qu’il y a de mieux pour nous : la musique électronique trans-générationnelle, trans-culturelle, qui permet de partager un supplément d’âme et de penser l’électro autrement.

Voir la vidéo We Love Sonique Part II – Vitalic