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[Critique – vu à Avignon IN 2016] Au Théâtre de la Cité Internationale : Quand la démocratie éclabousse

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Sur une scène noire de laquelle n’émergent que des isoloirs blancs faisant office d’écran, une élue zélée entre et installe méticuleusement une urne en attendant l’arrivée du maire. À la capitale le bureau 14 est prêt, c’est jour de vote ! Alors que tout le monde prend place, les heures défilent et, toujours aucun électeur en vue, les isoloirs n’isolent personne : est-ce à cause de la tempête de pluie battante ? Les responsables du bureau aimeraient s’en convaincre, tous se mettent à appeler leurs proches à voter et deviennent fous à la vue du seul électeur venu, ce qui donne lieu à des scènes pleines d’humour au milieu du chaos. Lorsqu’enfin les électeurs se déplacent, le résultat est édifiant : le pays a enregistré un taux d’abstentionnisme record, 80% de votes blancs.

De là, tout s’accélère, les politiques sur-réagissent et la pièce s’emballe. Maëlle Poésy construit alors une comédie noire sur le monde politique et la démocratie. En effet, elle met tour à tour en scène un petit groupe de ministres reclus, tous stéréotypés et appelant à la comparaison avec notre propre paysage politique. Que se passerait-il si demain, un tel scénario avait lieu ? Dans la capitaless, un état d’inquiétude est proclamé, des cellules de crise, des collectifs d’infiltration pour la vérité sont créés et plutôt que de tenter d’écouter le peuple, on assiste aux revers du pouvoir et au recentrement des ministres sur leur petite personne. Pour eux, gouverner c’est mettre ses sujets hors d’état de vous nuire, qu’advient-il alors des libertés fondamentales de la démocratie une fois les « gens radicalisés » et devenus « nuisibles » ?

Finement orchestrée, la pièce met en lumière le fossé existant entre les politiques et le peuple et entre en écho direct avec le contexte actuel. Si l’on regrette quelques longueurs et que le spectacle aurait gagné à être plus ramassé pour ne pas souffrir de coupures de rythme, la scénographie est hypnotique, l’ambiance sonore et lumineuse est très réussie. Le chaos, signifié par la pluie qui envahit le plateau pour laisser place à une ambiance lourdement tropicale, laisse imaginer une capitale ravagée, irradiée par les actes fous des ministres. Prêts à sortir des lance-flammes pour réprimer un peuple inactif, ils se disent en état de siège bien que pour certains, les souvenirs du siège remontent à des cours de latin du collège.

Tournée en dérision avec lucidité, la soit disant franchise des politiques perd toute sa crédibilité dans ce spectacle, les mises en scène successives de discours télévisés achèvent de les rendre risibles. Bien assis, le public s’y retrouve d’autant plus invité à une remise en question qu’il est considéré comme ce peuple qui, rassemblé, détient le vrai pouvoir : la république est morte, vive la république !

Ceux qui errent ne se trompent pas, de Kevin Keiss en collaboration avec Maëlle Poésy, d’après « La Lucidité » de José Saramago. Mise en scène de Maëlle Poésy, avec Caroline Arrouas, Marc Lamigeon, Roxane Palazzotto, Noémie Develay-Ressiguier, Cédric Simon, Grégoire Tachnakian.

Du 5 au 18 décembre 2016 au Théâtre de la Cité Internationale (Paris) Plus d’informations ici : http://www.theatredelacite.com/




« Politiquement correct » : L’amour au front

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« En 2017, Marine Le Pen devant François Hollande au second tour, selon un sondage », cette phrase n’est pas issue du dernier spectacle écrit et mis en scène par Salomé Lelouch à la Pépinière, mais des derniers gros titres du journal l’Express. Se saisissant volontairement de l’actualité et de l’entrée en campagne de plusieurs candidats à la présidentielle de 2017 en France, l’auteure et metteure en scène a imaginé ce scénario somme toute inquiétant d’une extrême droite au second tour face à la gauche, non pas en débats, mais autour de Mado et Alexandre, amoureux en dépit de leurs partis pris politiques divergents.

Le soir de l’annonce des résultats du premier tour des élections présidentielles, une heure avant le moment fatidique, Mado et Alexandre se rencontrent par le plus grand des hasards dans un bar de la capitale dans lequel ils avaient tous deux bu un verre la veille, et où leurs téléphones portables y ont été maladroitement échangés par un serveur qui devait les recharger. Le lendemain, ayant seulement convenu de se rendre leur portable, ils décident de boire une bière, puis deux, et sans parler politique, ils terminent la soirée ensemble à l’hôtel. Si la rencontre avait tout pour être romantique et déboucher sur une histoire d’amour, leurs orientations politiques vont vite faire entrave à tout futur à deux. Alors qu’Alexandre, un catholique proche du Front National où il devrait bientôt prendre des responsabilités avait fouillé dans le portale de Mado, de gauche et professeur d’Histoire au Lycée Jules Ferry, il s’était bien gardé de lui parler de ses idéaux. Resserrée autour de ces deux personnages et de leurs meilleurs amis ainsi que le serveur – Cupidon fautif de l’histoire – l’action sert pourtant un discours très politique ancré dans des problématiques actuelles dépassant le couple d’amants. Du début jusqu’à la fin, le rythme va crescendo tandis qu’Alexandre s’enlise et fait tout pour dé-diaboliser son parti avant que Mado ne découvre son vrai visage. Vaste quiproquo ayant toujours lieu dans le même bar parisien, la pièce regorge de situations cocasses et délirantes, comme lorsque leurs meilleurs amis font tout pour enrailler leur relation. Piquants, plein d’humour, certains échanges sont attendus mais très bien portés par les acteurs, notamment par la meilleure amie marxiste, féministe et féminine de Mado, Andréa, jouée par Ludivine de Chastenet.

En quête d’un compromis pour s’aimer, la jeune femme et son amant, le Front National et la gauche sont pourtant irréconciliables, le politique l’emporte sur la belle rencontre. Si la mise en scène est fluide et les comédiens bien dirigés dans leurs rôles, le contenu du texte est assez ambigu et Salomé Lelouch prend des risques. À plus d’une reprise le Front National est défendu et longuement présenté comme un parti comme un autre. Alexandre est si convaincant dans sa tentative de séduction de Mado, jeune femme plutôt à l’ouest et peu encline au débat, que l’effet produit sur le spectateur est dérangeant tant il se trouve séduit par des propos qui œuvrent à la dédiabolisation d’un parti qui scandalise et bénéficie en ce moment de beaucoup d’attention médiatique. Car derrière le personnage d’Alexandre se cachent bien de vraies personnalités politiques dont les propos ne devraient peut-être pas aussi explicitement se voir être adoucis sur une scène de théâtre. Pour autant, le théâtre est  là pour faire sortir le spectateur de sa zone de confort, le bousculer et l’interpeler, mais la pièce bien que divertissante, ne se présente pas comme une leçon de politique et le texte n’est pas aussi saisissant qu’un texte comme celui de « Le Projet Poutine », de Hugues Leforestier, récemment mis en scène au théâtre des Béliers Parisiens.

« Politiquement correct », écrit et mis en scène par Salomé Lelouch, à partir du 2 septembre 2016 à La Pépinière Théâtre, 7 rue Louis le Grand, 75002 Paris. Durée : 1h15. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatrelapepiniere.com/