1

« Encore une histoire d’amour » dont on se serait bien passé

Copyright : Lisa Lesourd
Copyright : Lisa Lesourd

« Encore une histoire d’amour », derrière une fausse volonté de banalité, n’a rien d’une romance lambda. Les deux héros sont des accidentés de la vie, malades, handicapés, en lutte contre eux-mêmes et les fléaux qui les tourmentent chaque jour pour pouvoir exister. Il est boulimique et agoraphobe, elle est atteinte d’une maladie qui lui paralyse les jambes. Le premier est auteur, la seconde est comédienne. Après 7 ans loin des planches, désirant monter l’une de ses pièces où une handicapée est la personnification de l’impossibilité de l’auteur à mener une vie normale, elle le contacte. Après de longs mois de conversation téléphonique, ils finiront par se rencontrer, et malgré l’océan culturel qui les sépare, à s’aimer.

Malheureusement, le spectacle n’est pas à la hauteur de ses promesses amoureuses. Il semble avant tout souffrir d’un manque de moyens manifeste. Le décor est composé de deux écrans sur lesquels sont projetées des images des espaces de vie respectifs des personnages. Techniquement, ce qui aurait été à la pointe en février 1997 ne l’est plus en 2016, et cette ambiance qui donne des airs de pubs Orange d’un autre siècle met mal à l’aise quant à l’évolution des personnages dans ces appartements que l’on ne nous laisse même pas imaginer. La multiplication des espaces de chacun dans une scénographie commune peut malgré tout être totalement réussie. On se souvient des « Heures souterraines » qui réunissaient Anne Loiret et Thierry Frémont au Théâtre de Paris au mois de mai 2015.

Encore, si le jeu des comédiens rattrapait le décor raté… Mais la douce Elodie Navarre est au téléphone (pour ne pas dire face) à un Thierry Godard aux réactions brutes mais trop excessives. Cela ne semble pas naturel, on voit la colère sans ressentir l’agacement. On a l’impression que quelqu’un lui dicte derrière l’oreille : « sois violent ! Vas-y, crie !», forcément, cela manque d’intériorité. Quant à elle, elle se découvre une flamme sexuelle torride causée par la voix de l’auteur boulimique qui pourtant n’a rien de reluisant. Tout cela manque de naturel et de sincérité. On pense à « Elixir d’Amour » qui mettait en scène Eric-Emmanuel Schmitt et Marie-Claude Pietragalla au Théâtre Rive-Gauche en janvier 2015 où les deux personnes qui vivent une relation à distance se sentent presque obligées de ressentir des sentiments l’un pour l’autre.

Et globalement, c’est le pathos à outrance qui déborde de toute la mise en scène. Ladislas Chollat nous a pourtant habitués à des créations plus habiles ces dernières années, notamment pour « Momo » de Sébastien Thiéry, qui a ouvert la saison 2015-2016 avec succès au Théâtre de Paris. Ici, lorsque l’héroïne connaît une rechute, les violons retentissent : on se dit alors qu’il n’y a plus de doute, on assiste en fait à un téléfilm avec sa quantité de grosses larmes et de morve qui coulent le long du visage des personnages. Conscient de cet amalgame, on se rend compte qu’il s’agit de la production télévisuelle la plus ratée pour Thierry Godard, d’habitude excellent dans les séries que sont « Un Village Français » ou bien « Engrenages ».

Une scène est réussie, mais ne sauve pas le spectacle : la première rencontre « en vrai » réunissant l’actrice et l’écrivain. Enfin, la gêne, la légèreté et la gravité semblent spontanées. On est à la fois amusé et touché. Quel dommage que la majeure partie de la pièce se déroule au téléphone…

 « Encore une histoire d’amour », de Tom Kempinski, mise en scène de Ladislas Chollat, actuellement au Studio des Champs-Elysées, 15 avenue Montaigne, 75008 Paris. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.comediedeschampselysees.com.




Manifeste pour un hasard libre et non faussé

sardou

Dans un décor réaliste et avec une mise en scène de Steve Suissa qui partage cette même volonté, le spectateur est invité dans une « maison au fond d’un parc », à assister au nouveau drame d’Eric-Emmanuel Schmitt, « Et si on recommençait ? »

Une pièce qui vient s’ajouter à celles que l’on voit depuis quelques années dans son Théâtre Rive-Gauche et dans lesquelles on est habitué à voir Francis Huster et un autre Sardou : Davy. Cette fois-ci, la plume se met au service du père, Michel.

Le chanteur est de retour sur les planches dans la peau d’Alexandre, un médecin reconnu de retour sur les terres de sa jeunesse. En visite dans l’ancienne demeure de sa grand-mère, il est assommé par une horloge. Il se retrouve projeté 40 ans en arrière dans la même pièce, un jour d’août dramatique où sa vie a basculé.

Le voilà face à lui-même, à 25 ans. Son jeune double (Félix Beaupérin), habillé d’un jean « pattes d’eph », est en train de batifoler avec Betty (Dounia Coesens). Très vite, son « lui jeune », va se rendre compte de la présence de son futur. Il est par ailleurs, normalement le seul à le voir – même si sa grand-mère parle avec lui lors d’une scène ; mais ce ne serait pas là, la première incohérence de ce texte.

Car ce dernier n’est pas un grand texte, on est assez vite agacés par sa naïveté et ses incohérences. La question principale, qui revient à chaque histoire où le temps est défié, est de savoir si la modification de son passé aura un effet sur son propre présent. Cet aspect est complètement balayé. On est loin ici d’un quelconque effet Papillon. Michel Sardou rêve-t-il ?

Néanmoins, la pièce fait ressortir une certaine tendresse dans la relation entre les personnages. Elle est une réflexion sur l’avenir. Que ferions-nous si nous pouvions « tout recommencer » ? Alexandre fait ici le point sur ce qui lui a permis de se construire. Entre l’ancien et le jeune, on assiste à un échange entre la vocation et l’expérience, plus efficace qu’une simple crise de la soixantaine.

L’histoire est servie par un Michel Sardou qui donne un aspect humain un peu désabusé à son personnage, mais qui ne veut pas non plus gâcher le plaisir de découvrir les surprises de la vie à son « lui-jeune ». Son jeu fin, simple, effacé quand il faut, fait de cette pièce un très bon moment pour le spectateur.

L’icône est entourée d’un groupe de jeunes acteurs aussi talentueux dans leurs personnages respectifs. On pense notamment, outre le jeune couple, à Katia Miran (découverte par nous l’an passé au Petit Montparnasse) qui est aussi très juste dans son rôle évolutif pendant la dernière partie de la pièce.

« Si on recommençait ? » d’Eric-Emmanuel Schmitt, mise en scène de Steve Suissa, actuellement à la Comédie des Champs-Elysées, du mardi au samedi à 20h30. Dimanche à 16h. Durée : 1h20. Plus d’informations sur www.comediedeschampselysees.com