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[Exposition] Le « Sentiment de la Licorne », ou l’enchantement des sens

Salle d’Armes, © Sophie Lloyd – musée de la Chasse et de la Nature

La Maison Cire Trudon, créatrice de bougies d’exception et plus ancienne manufacture de cire au monde depuis 1643, s’associe au Musée de la Chasse et de la Nature pour une installation éphémère : de salles en salles, quatre fragrances créées par le parfumeur Antoine Lie, offrent un écrin olfactif aux œuvres des collections permanentes et dialoguent avec elles. Une expérience immersive qui enchante les sens, à découvrir du 16 au 28 mai 2017.

De l’aveu-même de son directeur Claude d’Anthenaise, le Musée de la Chasse et de la Nature privilégie volontiers l’émotion à la didactique. Fidèle à ce parti pris, le parcours olfactif du « Sentiment de la Licorne » évoque ce besoin de liberté : hors des sentiers battus, l’interprétation des senteurs proposée par Antoine Lie se veut poétique, plus personnelle que littérale ; dès lors, la perception sensorielle s’avère propre à chacun et se décline selon l’atmosphère des lieux.

Dans la salle d’Armes, les vitrines emplies de fusils aux crosses et canons plus sophistiqués les uns que les autres et incrustés de matériaux précieux, feraient presque oublier la dimension mortifère de l’arme elle-même. Pourtant, l’odeur distillée ramène à la réalité de la traque : le parfumeur a saisi l’instant du coup de feu, cette odeur acre et métallique ; celle de la poudre à canon, mais aussi celle du sang. « Le sentiment de la Licorne », au fond, c’est peut-être cela : cette dualité constante d’une réalité où le « sentiment » désigne scientifiquement l’odeur laissée par un animal, et où la figure mythique de la licorne s’avère aussi évanescente qu’un parfum.

Cabinet de la Licorne, © Sophie Lloyd – musée de la Chasse et de la Nature

Le Cabinet de la Licorne exprime cet antagonisme dans l’odeur qui lui est attribuée, à la fois poudrée et chargée d’encens. Antoine Lie aime travailler les contrastes et cette salle, qu’il qualifie de « laboratoire d’élixirs », est probablement celle qui en offre le plus : sombre et quasi-mystique, ce cabinet de curiosités renferme des objets d’une blancheur éclatante, faits de nacre et d’ivoire. Alors, la magie opère avec une pointe d’admiration : dans un espace si exigu, créer de tels contrastes olfactifs relève de la prouesse technique.

Plus loin, le Cabinet de Diane se gorge de notes exacerbées de cuir qui résonnent avec les scènes de chasses de Jan Bruegel et Pierre Paul Rubens. Mais une seconde émanation, terreuse et animale, saisit après-coup ; il suffit de lever la tête pour comprendre : happé comme des proies par l’œuvre de Jan Fabre où des plumes et billes de verre multiplient d’impressionnantes têtes de chouettes, on est pris au piège. L’impression hostile n’en est que plus renforcée par l’odeur : qui est le chasseur à présent ?

Cabinet de Diane, © Sophie Lloyd – musée de la Chasse et de la Nature

Enfin, le Cabinet du Cheval dévoile la proposition la plus osée dans le fond, mais peut-être moins poignante dans la forme. Si la parfumerie de nos jours, répugne à utiliser les odeurs animales, c’est qu’elles ne sont pas assez lisses pour plaire au plus grand nombre. Pour l’occasion, Antoine Lie livre une ambiance inhabituelle aux senteurs bestiales, auxquelles se mêlent des notes de foin et de crottin. L’expérience est curieuse, mais l’odeur reste trop discrète ; il ne faut pas incommoder le visiteur : l’originalité, telle une touche de parfum, se dose avec parcimonie.

Ce parcours olfactif est aussi l’occasion d’admirer l’exposition temporaire « En plein cœur », où l’artiste Marlène Mocquet dissémine une soixantaine de ses œuvres à travers le musée. A l’instar d’un conte de fée, son univers se pare d’atours malicieux, colorés, mais terriblement menaçants. Faussement enfantines, ses toiles et sculptures sont si foisonnantes, si narratives, que l’on s’abîme dans leur contemplation jusqu’à l’accaparement.

Marlène Mocquet, Fil d’Ariane, 2014. Émail à froid, bombe aérosol, crayon de couleur, stylo indélébile, huile, inclusion de métal et de porcelaine sur papier, 14,5 x 21 cm. © Yann Bohac. Collection privée

Usant souvent de miroirs, Marlène Mocquet donne à contempler le reflet de son monde intérieur : au cœur du processus créateur, les entrailles absorbent, digèrent et extériorisent les émotions et la matière avec une avidité charnelle : la dévoration, on le comprend, est une thématique omniprésente chez l’artiste, vitale, quasi-intestine.

Mais ce qui frappe surtout, ce sont les détails foisonnants qui parsèment ses œuvres, les couleurs éclatantes et la brillance de la céramique ; ici, la dualité esthétique se retrouve dans la réalisation plastique : si les personnages sculptés sont d’une naïveté touchante, le savoir-faire de l’artiste est d’une maturité certaine. Là réside toute la beauté du geste : la technique est si bien maîtrisée qu’elle se dilue dans la candeur de la forme.

Marlène Mocquet, Cordon d’or, 2014. Grès et porcelaine émaillés de Sèvres, émail or. © Yann Bohac. Galerie de la Béraudière.

Pensées comme des mondes à part entière, ses sculptures recèlent la particularité d’être décorées sur toutes leurs faces ; il en va ainsi du dessous et de l’arrière de chaque pièce, même si le regard ne les effleure pas : une continuité dans la forme, comme une envie de ne jamais s’échapper du rêve, aussi cruel soit-il. Au fond, l’œuvre de Marlène Mocquet est un miroir aux alouettes, un leurre mortel à l’éclat fascinant.

Originellement issues de deux propositions distinctes, « Sentiment de la Licorne » et « En plein cœur » se répondent par les trames communes qu’elles tissent en filigrane : odes au sensible et à l’émotion, elles déclinent le vivant dans ce qu’il a de plus paradoxal et de captivant.

Thaïs Bihour

« Le sentiment de la Licorne » – Le parcours olfactif se tient du 16 au 28 mai 2017, au Musée de la Chasse et de la Nature. Plus d’informations sur http://www.chassenature.org/sentiment-de-la-licorne/

« En plein cœur » de Marlène Mocquet – L’exposition se tient jusqu’au 4 juin 2017, au Musée de la Chasse et de la Nature. Plus d’informations sur http://www.chassenature.org/artistes-invites/




Zingaro : Bartabas achève la bêtise

Copyright : Hugo Marty
Copyright : Hugo Marty

Lorsqu’on se rend au cirque Zingaro, l’aventure est totale, merveilleuse dès l’entrée dans le chapiteau de bois réservé à l’accueil. En hauteur, les souvenirs des spectacles qui ont fait la renommée de Bartabas. Des costumes et autres éléments de décors nous rappellent et nous transportent dans une épopée toujours en cours : celle du créateur du théâtre équestre et sa troupe, composée de chevaux et d’hommes.

La structure de « On achève bien les anges », spectacle créé aux Nuits de Fourvière 2015, reste celle du cirque : une alternance de numéros qui réserve chacun ses surprises. Beaucoup de chevaux, certes (jusqu’à 15 sur la piste), mais aussi des clowns, funambules et autres danseurs. L’esthétique générale, splendide, est dominée par des tons froids : noir et blanc en alternance. La lumière vient moduler les volumes et transforme le cercle central en trou noir, cimetière ou mer de nuages. Quelquefois, une touche de rouge marque un passage drôle ou sanglant.

Copyright : Hugo Marty
Copyright : Hugo Marty

Bartabas dépasse le simple choc esthétique. Le propos est fort et osé. Il s’attaque ici aux extrêmes religieux, quels qu’ils soient, avec violence. Il dérange, questionne, prend des risques sans tomber dans l’irrespect. A Zingaro, la beauté et l’autodérision soignent le monde.

Aussi, plus qu’un tourment visuel et cérébral, « On achève bien les anges » est un éloge à la lenteur. Le spectateur, par le temps nécessaire pour s’installer, le temps des numéros, le rythme des musiques et le développement des images est une invitation à vibrer sur un autre rythme, à contempler et penser le monde qui nous entoure. Le public n’est plus dans une simple relation de plaisir entre le spectacle et son désir, il doit apprendre à suivre la temporalité qui relie le cheval à celui qui le dresse.

Combinant ces merveilles à un propos limpide, Bartabas fait de ce théâtre sans parole un moment où la bêtise reste suspendue et où le cerveau respire. Une rencontre au sommet entre la beauté et l’intelligence.

« On achève bien les anges », un spectacle du Cirque Zingaro. Mise en scène, Bartabas, actuellement au Fort d’Aubervilliers, 93300, Aubervilliers. Durée : 2h. Plus d’informations et réservations sur bartabas.fr/