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Les deux amis – Louis Garrel

Deux amis. Une femme. Un secret.

Outre Atlantique, cela aurait pu faire l’objet d’un thriller haletant, avec son happy ending familial, portant haut les valeurs états-uniennes. Mais ce n’est pas trop la came de Louis Garrel. Happy ending, et puis quoi encore ?

Le début de ce conte moderne est pourtant tout en légèreté musicale, peu de paroles, mais une mélodie omniprésente, aérienne, entraînante. Comme si les malheurs terrestres des personnages ne pesaient pas bien lourd dans l’aventure qui s’apprête à les réunir. Aventure amoureuse, ou plutôt « non-aventure » amoureuse. Des cris, des larmes, des cris, des cris, des cris.

Et puis, comme bien souvent, de l’amour naît la haine. De l’amitié naît la jalousie. Mère de tous les drames. Mère de toutes les peines.

Dans un Paris du quotidien, fait de trains de banlieue, de terrasses de cafés et de jardins publics, Louis Garrel nous livre une vision bien personnelle du triolisme moderne. Bien entouré de Christophe Honoré dans cet exercice, on ressent bien l’influence de son compère sur ce thème récurrent déjà rencontré dans « La Belle Personne » ou encore « Les Chansons d’Amour » pour ne citer qu’eux. Et encore une fois, ce drame contemporain tire sa source d’une intrigue classique. Après « La Princesse de Clèves », les deux amis ont choisi de revisiter « Les caprices de Marianne » à leur propre sauce.

Cette fois, c’est Golshifteh Farahani et Vincent Macaigne qui subissent l’impétuosité de Louis Garrel, virant parfois à la mauvaise foi ravageuse. Le trio est superbe, irréel et en même temps bien ancré dans un quotidien banal. Les rapports sont cruels d’humanité et de sincérité. La caméra de Louis Garrel filme le vrai, sans ambages ni maquillage. Le spectateur est touché, au plus profond de son jeu de valeurs et de certitudes. Et il en redemande … Mission réussie donc ?

Les deux amis
Réalisation : Louis Garrel
Scénario : Louis Garrel et Christophe Honoré
Golshifteh Farahani : Mona
Louis Garrel : Abel
Vincent Macaigne : Clément
Laurent Laffargue : le metteur en scène

Rachid Hami : l’acteur
Pierre Maillet : le réceptionniste de l’hôtel

 




Avignon 2012 – « Nouveau Roman », sauce Honoré

Christophe Honoré n’en est pas à son premier passage au festival d’Avignon. En 2005, il y présentait « Dionysos impuissant », en 2009 il revenait pour un drame d’Hugo, « Angelo, tyran de Padoue ». Cette année, trois de ses créations sont programmées, parmi lesquelles « Nouveau Roman », qui retrace l’histoire du mouvement littéraire éponyme avec ceux qui l’ont créé. Chronologie indissociable des éditions de Minuit dans la France de l’après-guerre.

Tous les acteurs sont sur scène en permanence. La scénographie mixe les attributs du tribunal et ceux du plateau télévisé. Bien que bourrée d’anachronismes (des téléviseurs à écran plat diffusent ponctuellement le témoignage d’auteurs actuels), l’ambiance des années cinquante est très parisienne. Le temps passe mais le papier peint ne se décolle pas.

Le Nouveau Roman est recréé devant le public, le temps qui passe est ponctué des prix gagnés par les  auteurs (Renaudot, Goncourt et Nobel), une horloge en fond de scène indique l’heure, le public ne perd pas la notion du temps.

On pense alors aux collectifs d’artistes et écrivains qui ont fait le foisonnement littéraire de la France, jusqu’à l’hisser comme la première nation en nombre de prix de Nobel en la matière. La pièce est riche, nostalgique, érudite, la radicalité habite les concepts énoncés.

Difficile de trouver des équivalents à notre époque. Que donnerait un cercle de réflexion réunissant Foenkinos, Levy et Musso ? L’idée même porte à sourire, la possibilité d’un mouvement baptisé la « Nouvelle Naiserie », « L’Amour Plat », ou tout simplement « La SNCF » ? Le collectif n’est pas dans l’air du temps, il n’a plus sa place, les auteurs sont seuls et le groupe du « Nouveau Roman » nous le rappelle.

Au premier abord très dense, l’humour fin, la salsa et les chansons apportent légèreté et respiration au texte, composé d’écrits et d’interviews. Des mots dits en majorité sous la forme du discours, un micro à la main. Les interventions des héros (Alain-Robbe Grillet et un Jérôme Lindon très matriarcal en tête) nous replongent dans les questions posées en cette période d’intense émulsion cérébrale, rare et réussie, sans pour autant n’être qu’une pièce-documentaire. Composée de dialogues aériens, intellectuels, vifs, on ne tombe pas la « private joke » pour public savant.

Les discussions de bureau (et quel bureau !), alternent avec les moments de solitudes des protagonistes où chacun raconte son expérience de la guerre, sa rencontre avec différents types de sexualité, ses remises en question.

Chacun des comédiens montre une maîtrise particulièrement impressionnante à habiter la psychologie de son personnage. Peu avant l’entracte, le public est invité à poser des questions à la bande. On peut questionner Jérôme Lindon, Nathalie Sarraute ou Claude Ollier comme si ils étaient face à nous. Ici, les réponses forcément improvisées sont déstabilisantes de justesse.

Le « Nouveau Roman » à la sauce Honoré n’est pas une pièce littérale où les extraits de livres donnent des indications sur la vie de leurs auteurs (ce qui aurait été dur pour cette bande en particulier). Rigoureuse sans se prendre au sérieux, à la fin de la pièce, Jérôme Lindon classe les auteurs par « importance ». Une importance dont le critères est le nombre de noms de rues, d’écoles et places publiques qui portent le nom de chacun. Pour le public, ils seront tous inoubliables.

Tournée :

– Du 10 au 12 octobre 2012 au CDDB-Théâtre de Lorient Centre Dramatique National

– Les 17 et 18 octobre 2012 au Théâtre de Nîmes

– Du 23 au 26 octobre 2012 au Théâtre National de Toulouse Midi-Pyrénées

– Du 7 au 10 novembre 2012 à la Maison des arts de Créteil

– Du 15 novembre au 9 décembre 2012 à La Colline – Théâtre National à Paris

– Du 10 au 12 janvier 2013 au Théâtre Liberté de Toulon

– Du 17 au 19 janvier au Théâtre de l’Archipel à Perpignan

Mise en scène : Christophe Honoré

Avec : Brigitte Catillon, Jean-Charles Clichet, Anaïs Demoustier, Julien Honoré, Annie Mercier, Sébastien Pouderoux, Mélodie Richard, Ludivine Sagnier, Mathurin Voltz, Benjamin Wangermee

La bibliographie du spectacle est téléchargeable sur : www.letheatredelorient.fr/nouveau-roman

Nouveau Roman a été créé le 8 juillet 2012 dans la Cour du lycée Saint-Joseph, Avignon.




Alex Beaupain : « Je suis très à gauche dans la vie mais très réac quand on parle projet artistique »




Ce n’est un secret pour personne: j’adore Alex Beaupain. Le 11 avril, date de sortie de l’album, connectée à Itunes Store, à minuit pétante, la touche F5 de mon clavier a manqué périr. L’entretien qui suit est donc celle d’une « geek », comme dirait l’artiste. Militants et militantes de la « bande à Beaupain » – ou juste mélomanes curieux, cette interview est pour vous.
Extraits.


Comme dans ton dernier album Pourquoi battait mon cœur, commençons in medias res. C’est voulu, cette narration qui se lance « au milieu des choses », alors que l’album retrace une histoire d’amour assez linéaire, avec ses différentes stations ?


Oui, la première chanson commence par « Et puis les plantes mortes ». L’idée dans cette chanson, c’est qu’après tout, on s’en fout de tout ça. Elle commence l’album comme on commencerait une histoire d’amour, dans un certain optimisme, un petit peu candide. En fait, elle annonce dès le départ que tout va très mal se dérouler après. L’idée était de partir sur quelque chose de très frontal, de très primaire. Avec une musique en majeur, plutôt joyeuse.


Il y a plusieurs co-signatures sur l’album: Jean-Philippe Verdin, Daniel Roux, Valentine Dutheil. Les textes sont-ils pour toi plus importants que la musique? Est-ce que tu y as plus de facilité?


En tout cas, j’aurais plus de mal à déléguer sur les textes. A lâcher là-dessus. Peut-être parce que, et tu as raison, je suis peut-être plus auteur que musicien. J’ai en tout cas plus de facilité à écrire des textes qu’à composer de la musique. Il y a quatre musiques qui ne sont pas de moi dans cet album. Ces gens, qui sont aussi mes amis, composent. J’écoute et quand je trouve ça bien, je pique. (Rires)


Et est-ce que tu pourrais t’imaginer poser ta voix sur un texte qui n’est pas de toi?


Difficilement. Parce que je ne me vis pas comme interprète. J’ai un intérêt comme chanteur quand je chante ce que j’écris.


C’est déjà arrivé qu’on te présente des textes?


Oui, oui. Ca va paraître prétentieux mais j’ai systématiquement trouvé ça moins intéressant que ce que je pourrais produire pour moi. Christophe Honoré a essayé au début. A mes débuts, il écrivait les textes, et moi, les musiques. Mais je trouvais ça moins bien.


Pourtant dans ton précédent album, 33 Tours, il y a une chanson, « Je veux »…


Oui, il l’a co-écrite. C’est un texte que j’ai corrigé. Christophe Honoré a plein de qualités. Je le dis tout le temps. Ca ne va pas le vexer. Il met en scène au théâtre, au cinéma, il écrit des scénarios, des livres. Mais les chansons… c’est quelque chose qu’il ne sait pas faire. C’est d’ailleurs une blague entre nous. Il est persuadé que les chansons qu’il m’a écrites sont des chefs d’œuvres encore jamais dévoilés. Et je suis persuadé que c’est mieux quand j’écris mes textes.


Et justement, sur « Je veux », c’était une volonté, cette touche à la Jacno ?


Oui, c’est un peu un pastiche, musicalement. Sur le texte, aussi. Ce texte a l’air comme ça très léger, mais raconte des choses très graves. C’est l’idée de vouloir plein de choses superficielles pour éviter d’avoir des choses profondes comme l’amour. Ce qu’on peut d’ailleurs retrouver dans une chanson comme « Amoureux solitaires ».


C’est curieux mais j’ai le sentiment que « Je veux » est un peu la grande soeur de certaines chansons du nouvel album. Notamment, dans cette dualité légèreté/gravité, lyrisme musical/cruauté des mots.


En commençant ce troisième album, j’avais deux volontés: aller vers quelque chose de plus pop et de plus rythmé. J’écoutais beaucoup Daho, Jacno donc forcément, c’est un univers qui me plaît. Dans 33 Tours, « Je veux » est presque une chanson à part. Une préfiguration de cette idée-là. Mais oui, très bien observé.
L’autre idée, c’était de s’ouvrir thématiquement un peu plus, et d’avoir des textes, je déteste le terme, sociétaux, voire politiques.


« La nuit promet » a été cosignée par Daniel Roux. Le Daniel Roux ? Quelle en est la génèse?


Oui, c’est Daniel Roux qui a écrit la musique. Il est décédé, il y a un peu plus d’un an. Il était bassiste. Il a longtemps travaillé avec Jean-Louis Aubert, avec Cali. C’était un ami, l’une des premières personnes avec qui je suis monté sur scène. Il y a très longtemps, Daniel m’avait donné plusieurs mélodies. J’aimais beaucoup ce qu’il écrivait. Et c’est sur l’un de ces playbacks que j’ai écrit « La nuit promet ». C’est une vieille chanson, en fait, que j’avais déjà essayé de mettre dans 33 Tours mais ça ne marchait pas. Ca part de mon amitié pour ce que faisait Daniel.


Et deuxième chose que personne n’a jamais remarqué dans cette chanson et qui me désespère absolument : « La nuit promet » est aussi un exercice formel. Un jeu sur les mots en –ar et en –ou. Mais si personne ne le voit, tant mieux. C’est aussi bien si on ne voit pas les ficelles.


On creuse encore. Dans le tout premier film de Christophe Honoré, 17 fois Cécile Cassard, il y a cette chanson, signée de toi et Lily Margot. Est ce que c’était un début de groupe? Tu pourrais t’imaginer jouer dans un groupe?


Pas du tout. Très simplement, on a composé, cosigné à trois la musique du premier film de Christophe. Il se trouve que pour des raisons contractuelles, c’est moi qui apparais au générique. J’avais tenu que dans le disque apparaisse aussi Lily Margot. Mais dans mon projet de chanteur, je détesterais être dans un groupe.
La démocratie, dans un projet artistique, ça ne marche pas. J’ai besoin d’avoir les rênes. Ca ne veut pas dire que je ne laisse pas de liberté au réalisateur ou aux musiciens mais à un moment donné, il faut que quelqu’un valide et en l’occurrence, sur mon album, c’est moi.


Mais est ce que ce n’est pas un poil contradictoire? Quand tu composes pour le cinéma, tu te mets au service du réalisateur, tu as des concessions à faire.


Quand je compose pour un film, c’est pareil. Je ne suis pas dans un groupe. J’obéis à quelqu’un qui est le chef, le réalisateur. Quand je fais un film avec Christophe, je me mets à son service. Je suis totalement dévoué. Peut-être un peu trop, parfois.
C’est atroce mais je crois beaucoup en la hiérarchie. Je suis très à gauche dans la vie mais très réac’ quand on parle projet artistique.


Peut-on parler d’une famille musicale Beaupain? Dans les crédits, il y a plusieurs noms qui reviennent. Des gens avec qui tu bosses depuis plusieurs albums : Rémy Galichet, Valentine Dutheil, Fabrice Petithuguenin, Fanny Lochu,…


Oui. Fanny Lochu, je la crédite parce qu’elle connaissait très bien Daniel Roux mais elle n’a pas travaillé sur l’album. Par contre, elle avait joué dans mon premier album. Valentine Duteil est ma violoncelliste de scène, qui m’accompagne depuis très longtemps. Rémy Galichet, je crois que c’est la première fois que je travaille avec lui. Par contre, je l’avais contacté à une époque pour l’inviter à travailler avec moi sur la musique de Dans Paris. Il y avait déjà une affinité dans le fait que je le connaissais déjà. Et tu as cité quelqu’un de très important, Fabrice Petithuguenin qui a fait absolument toutes les pochettes depuis le début. Et aussi la maquette de Serge, dirigé par Didier Varrod, que je connais depuis longtemps…


Qui fait aussi partie de…


Oui, qui fait partie d’une espèce de bande. Il a aussi beaucoup participé. C’est agréable, en fait. J’ai constitué avec mes amis, pas une Factory, mais il y a un peu de ça. Il y aussi Kéthévane Davrichewy, auteur. Diastème avec qui j’écris une opérette. Il y a mes musiciens. Ca finit par créer une bande.


Ce qui est drôle, c’est que tu travailles aussi avec les « bandes » des autres. La bande à Biolay : Nicolas Fiszman, Denis Benarrosh, Elsa Benabdallah,…


Oui, bien joué! Biolay, c’est un peu la figure de proue. Florent Marchet, Arman Méliès, Joseph d’Anvers, tous ces gens là. Je me sens plus proche de ce courant que de ce qu’on a appelé, il y dix ans, la nouvelle scène. Donc ce n’est pas étonnant si on travaille avec les mêmes personnes. C’est comme si on était plus dans une famille que dans une autre.


Alex Beaupain donnera ce soir un concert à la Cigale. Pour les retardataires, une autre date a été ouverte : le 4 novembre au Bataclan. Les dates de sa tournée arrivent !
Pour les cinéphiles, dans les salles, le 24 août, Les Bien-Aimés de Christophe Honoré.
Et merci à Thomas D., l’homme aux lunettes noires 😉


Pourquoi battait mon cœur. Alex Beaupain. Naïve. Sortie le 11 avril.


Crédits photos: Antoine Le Grand