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[Théâtre] Avignon/IN : L’Antigone japonaise de Satoshi Miyagi

Photo : Christophe Raynaud de Lage

Après son Mahabharata monté il y a trois ans à la carrière de Boulbon, Satoshi Miyagi ouvre le 71e Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur avec Antigone version japonaise. Pour son spectacle, il fait disparaître toute la scène sous l’eau, et nous immerge dans la tragédie grecque par le biais du théâtre traditionnel japonais pour un beau – mais peut-être trop long – moment de contemplation.

Tout le monde ou presque a déjà vu Antigone, ou bien en connaît au moins les tenants et les aboutissants si bien que dès le début du spectacle Satoshi Miyagi nous surprend en se jouant de la connaissance partielle que nous avons de cette pièce. Les dix premières minutes sont en effet consacrées à un résumé en français de la tragédie de Sophocle avec un humour ravageur, tant le français semble être difficile à parler pour la troupe japonaise. Sur le miroir d’eau, le préambule comique passé, les comédiens tels des silhouettes fantomatiques blanches ondulent, jouent et miment la pièce. Le metteur en scène a en fait dédoublé certains personnages comme Antigone, Ismène ou Créon de sorte que l’un conte la fable tourné et figé vers nous, tandis que l’autre mime la scène dont les mouvements sont projetés sur le Palais des Papes dans un jeu d’ombres envoûtant.

Photo : Christophe Raynaud de Lage

Du début à la fin, la mise en scène de Satoshi Miyagi est parfaitement orchestrée, tous les gestes très lents des comédiens concourent à la création d’une ambiance très zen, très chorégraphiée tant les rituels sont dansés. Que ce soit Antigone fardée d’une perruque blonde perchée sur un rocher massif jouant les scènes avec grâce, ou tous les comédiens formant un cercle processionnel hypnotique, la démesure du lieu, du miroir d’eau et des ombres se heurtent à une quiétude remarquable mais qui finit par provoquer de l’ennui. Cette Antigone marquée par le bouddhisme japonais est surtout un spectacle contemplatif pour nous public occidental. Souvent, certains mouvements sont si codifiés que nous sommes relégués à la contemplation de ce que nous trouvons beau sans vraiment savoir pourquoi. Si le théâtre d’ombres voulu par le metteur en scène est spectaculaire, il reste néanmoins figé et certaines scènes s’étirent trop en longueur.

Heureusement pour le public, la méditation poétique à laquelle il est convié est accompagnée de la musique pensée par Hiroko Tanakawa. Ce dernier a composé une partition répétitive, faite de percussions très marquantes dont on ne se lasse pas. De fait, cette Antigone montée avec beaucoup de soin et de grandeur nous impressionne mais reste trop hermétique à son public pour qui la simple contemplation, aussi agréable soit-elle, ne peut suffire quand elle ne dit rien de percutant sur la situation du monde actuel.

Antigone, de Sophocle, mise en scène Satoshi Miyagi, Spectacle en japonais surtitré en français, Cour d’honneur du Palais des Papes, Festival d’Avignon – Du 6 au 12 juillet, relâche le 9 à 22h. Durée : 1h35. Pour plus d’informations : http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2017/antigone




[Critique] Amphitryon : rire des dieux avec éclat

Photo : André Muller
Photo : André Muller

Amphitryon est une pièce de Molière que l’on voit finalement peu montée, c’est une comédie en trois actes où les dieux et les hommes se rencontrent avec humour. Tout juste marié à Alcmène, Amphitryon est appelé à la guerre, Jupiter – derrière qui se cachait Louis XIV critiqué pour ses amours – saisit l’occasion de séduire la belle mortelle en prenant les traits de son jeune époux. Alors que Mercure garde un œil sur la situation, Amphitryon finit, accompagné de son valet, par rentrer plus tôt et tomber nez-à-nez avec son sosie, ce qui sème la confusion et crée un quiproquo fantaisiste où dieux et mortels se confondent.

Guy Pierre Couleau, qui la saison dernière s’était fait remarquer avec Don Juan revient de la guerre pour sa capacité à créer de très belles images grâce à une scénographie soignée et très esthétique, revient avec une création tout aussi onirique et une mise en scène constellée. Lorsque le rideau s’ouvre, on découvre une scène dépouillée où tout semble plongé dans la nuit, mais une nuit étoilée par des suspensions qui donnent de l’éclat et de la magie aux situations. La scénographie, qui repose par cette évocation constante des dieux qui regardent les mortels et se jouent d’eux depuis les cieux, rappelle les mises en scène de Jean-François Sivadier qui a récemment monté Don Juan au Théâtre de l’Odéon. Avec son Amphitryon, Guy Pierre Couleau crée de très belles situations qui ne perdent pas en intelligence, tout semble parfaitement orchestré, chorégraphié, on ne peut que saluer la limpidité de la pièce qui est en grande partie due au choix des comédiens très bien pensé pour les rôles. Aux physiques très différents, les acteurs sont toujours identifiables malgré les scènes entre sosies où les dieux prennent l’apparence d’humains, de sorte que l’on ne perd pas un mot de la représentation qui nous emmène dans un monde cosmique où si les personnages ne savent plus démêler le vrai du faux, on se régale de cette farce mythologique.

L’âme magique que le metteur en scène parvient à donner à la pièce grâce à des comédiens très bien dirigés augmentés d’une scénographie impeccable qui réveille notre âme d’enfant nous illumine. On se plait et on rit de ces dieux qui s’ennuient dans ce monde où la Terre ne tourne pas – plus – autour du Soleil et où la place de l’homme est en pleine interrogation.

Amphitryon, de Molière, mise en scène de Guy Pierre Couleau, Tournée du 17 au 28 janvier aux Célestins, Théâtre des Lyon. Durée : 2h. Pour plus d’informations : http://www.celestins-lyon.org/

 




Arias, patissier en dramaturgie

Copyright : Fred Goudon
Copyright : Fred Goudon

Alfredo Arias s’installe, en ce début de saison, dans la petite salle du Théâtre de la Tempête, baptisée Copi, du nom du compatriote avec lequel Arias a travaillé en arrivant à Paris. Le décor nostalgique est ainsi planté avant même l’entrée en scène. La Comédie patissière à laquelle nous allons assister fait forcément écho à la Comédie policière du jeune Arias, qui revendique tout au long de ce nouveau texte sa volonté de « rester enfant ».

Et qu’est-ce que c’est, l’enfance d’Arias ? Élevé dans une banlieue modeste de Buenos Aires, ses premières années paraissent n’être vécues dans le seul but d’assister à l’émission culinaire de Dona Petrona – jouée ici par une Sandra Macedo sévère –, au grand dam de sa mère qui pense que cela le rend « féministe » ! Les créations délirantes de la cuisinière télévisuelle sont, pour le jeune Arias, un remède à la morosité de sa vie et au régime péroniste.

Sur scène, ces souvenirs prennent un air coloré, de grandes toiles aux couleurs de l’Argentine occupent le fond de scène et l’action se déroule entre un grand plan de travail et le divan d’un psy. Alfredo Arias – jouant le rôle de son double – et Sandra Macedo ressemblent à un couple échappé d’une pièce montée. Une troisième personne, la chanteuse Andrea Ramirez, chante ou fredonne, parfois, contribuant à installer une ambiance entre kitsch et onirisme enfantin : elle est la part de rêve. Arias veut nous faire entrer dans son enfance, sans tristesse.

Le texte est beau, gourmand et fin à la foi. Le plaisir de partager l’instant hebdomadaire est bien là. Cette joie est prétexte à revivre aussi certaines douleurs : une mère intrusive et un père absent. Jusqu’au jour où la maîtresse de ce dernier l’abandonne, alors qu’il est devenu infirme. Si ces drames sont racontés, aucun n’est lourd : Dona Petrona est là pour nous faire oublier tout ça à grand renforts de glaçages. La volonté de cette « héroïne nationale » était d’éclairer les foyers modestes par sa force de création. Pari tenu.

On est cependant troublé par l’absence d’une mise en scène claire dans ce spectacle. Le mouvement des acteurs, le choix des lumières, rien ne semble défini. Chaque déplacement parait être effectué à l’envie, comme une partie des recettes de Dona Petrona qui conseille de doser la levure en fonction de la température ambiante. On est aussi ennuyé par les gestes didactiques des acteurs, quand l’un parle, l’autre mime ce qu’il dit. Rien ne le nécessite, pourtant. La folie qui devrait se dégager du spectacle se retrouve ainsi happée par un manque de rigueur.

Aux saluts, Alfredo Arias clame encore : « restez enfants ! », en trottant un peu partout autour du décor. Et si Arias semble avoir réussi à garder les qualités de ses jeunes années, il semble aussi – par l’aspect déconstruit – en avoir gardé certains défauts.

« Comédie Pâtissière » d’Alfredo Arias. Mise en scène de l’auteur, jusqu’au 18 octobre 2015 au Théâtre de La Tempête, La Cartoucherie de Vincennes, route du Champs de Manoeuvre, 75012 Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur www.la-tempete.fr




« Frangins » : trop fait, plus à faire

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Dans le principe, les « Frangins » du Lucernaire ont tout pour plaire. Un propos amusant et un casting intéressant qui voit le retour de Philippe Duquesne sur les planches quittées depuis 2012. Mais dès la première réplique, il y a quelque chose qui cloche.

Est-ce le décor si réaliste ? Des murs verts que l’on vient de dépouiller, à l’exception de quelques meubles : une commode en bois laqué, une gazinière et une table. En somme, une scénographie que l’on dirait sortie d’un café théâtre des années quatre-vingts. Chaque accessoire semble destiné à un gag ou une réplique potache – ce qui arrivera inévitablement.

Est-ce le jeu des acteurs qui nous dérange ? Si Philippe Duquesne est à peu prêt crédible dans le rôle du petit frère qui a réussi, Jean-Pierre Léonardini, taulard en permission, s’illustre ici aussi peu crédible qu’il est – dans la vie de tous les jours – un critique dramatique digne d’admiration. Le jeu est forcé, attendu et sans aucun naturel, sauf dans les moments de silence. Il semble jouer la réaction aux répliques de ses « Frangins » comme un enfant qui débute sur une scène. Le personnage amusant de Gaby, joué par une Viviane Théophilidès radieuse, ne rattrape pas la médiocrité de l’ensemble.

Et le texte ? Plat comme une feuille de papier, sans aucun fond, plein d’incohérences. La plus évidente : Philippe Duquesne, qui est censé être un magicien reconnu, fait des tours de magie grossiers devant ses frères. Il joue le rôle d’un personnage célèbre, mais « à la Duquesne », c’est-à-dire comme un type normal un peu dépassé par sa vie : on n’y croit pas une seconde. Pas plus que Léonardini dans le rôle du braqueur de banque au cœur d’artichaut. On finit par se dire que ce n’est même pas vraiment une comédie : sans fil conducteur, Jean-Paul Wenzel – qui joue aussi l’un des « Frangins » – a voulu enchaîner gags à tout prix, idées esquissées et inachevées avant de terminer sur une scène ridicule que rien ne motive clairement dans l’histoire. Le rythme est donné tout le long par le respirateur artificiel de la mère mourante.

C’est cet ensemble qui fait des « Frangins » une mauvaise expérience où le temps semble s’arrêter, à l’image de cette horloge bloquée sur scène, qui orne le dessus d’une porte que l’on rêverait de prendre.

« Frangins » de Jean-Paul Wenzel. Mise en scène de Lou Wenzel, jusqu’au 11 octobre au Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre Dame des Champs, 75006, Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur www.lucernaire.fr.




« Les Géants de la Montagne » descendent sur La Colline

Copyright : Elisabeth Carecchio.
Copyright : Elisabeth Carecchio.

La rentrée de cette saison prometteuse, à La Colline, se fait en compagnie de Luigi Pirandello et Stéphane Braunschweig, avec la nouvelle création des Géants de la Montagne. Un peu comme en 2012, où le même tandem (à demi-posthume) auteur-metteur en scène donnait naissance à Six personnages en quête d’auteur. Dans ce texte encore, des thèmes chers à Pirandello : le théâtre qui se questionne sur lui-même comme le reflet du monde au travers duquel il est composé. Dans le contexte pirandellien : en plein fascisme mussolinien.

Les Poissards habitent une villa mystérieuse, habillés de fripes trouvées au grenier et vivant des économies de trois décennies d’aumône de l’un d’entre eux. Pauvres, mais libres, ils partagent (physiquement !) les mêmes rêves et cohabitent avec les esprits. Ensemble, ils composent un groupe de survivants au monde sauvage qui les a rendu fous et contre lequel ils luttent. La Compagnie de la Comtesse, des comédiens (sans doute comme Les Poissards) errent à travers le territoire, maudits de vouloir jouer la pièce d’un auteur suicidé. Un soir, ils se retrouvent dans la villa mystérieuse. La rencontre entre les deux troupes vire à la confrontation, débat autour de leur art et de leur devenir artistique.

Copyright : Elisabeth Carecchio.
Copyright : Elisabeth Carecchio.

La Compagnie incarne le regard adulte prisonnier du modèle imposé par l’extérieur, refusant de croire à l’incroyable. Les Poissards sont des enfants mûrs, dirigés par un Peter-Pan-Cotrone (Claude Duparfait), qui ont décidé de tout faire pour vivre dans le monde qu’ils jugeraient bon pour eux, acceptant que tout est possible. Ces derniers aideront les premiers à mener leur projet à bien.

Comme à son habitude, Braunschweig lie mise en scène et décor – ici, une sorte de théâtre miniature aux rideaux clos, devenant lieu indéterminé ouvert aux rêves après une rotation. Souvent, on est perdu dans une sorte de fouillis artistique – entraîné probablement par un texte demeuré inachevé. L’ensemble manque d’une direction claire, de dynamisme et les acteurs bénéficient sans doute de trop de liberté. A cette confusion générale s’ajoutent des questions – pourquoi l’un des rôles secondaires n’est-il pas traduit ? Les Géants de la Montagne, déjà peu narrative, devient ici une pièce difficile, habitée d’une introspection métaphysique intense. Cependant, deux acteurs se démarquent : Claude Duparfait incarne un grand rôle, Cotrone, avec justesse et ironie. La Comtesse, Dominique Reymond, est brûlante de tristesse à vouloir à tout prix rendre hommage à son idéal disparu.

Bringuebalés entre ennui et grandeur poétique, c’est finalement un manifeste – brouillon certes – pour une écoute accrue du monde qui nous entoure que signe Stéphane Braunschweig. Un entrainement à « être détaché de tout, jusqu’à la démence », comme le dit Cotrone, alter-ego de l’auteur et porteur du message essentiel de la pièce : résister à la barbarie par davantage de liberté.

« Les Géants de la montagne » de Luigi Pirandello. Mise en scène de Stéphane Braunschweig, actuellement au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020, Paris. Durée : 1h50. Plus d’informations et réservations sur www.colline.fr.




Bernarda Alba en sa sévère demeure

© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française.
© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française.

Bernarda Alba est vient de perdre son mari. Cette Calamity Jane espagnole de la vertu tiendra ses cinq filles d’une main de fer, comme elle l’a toujours fait. Pieuse à l’extrême, plus que Dieu, elle craint ce que pourraient cancaner les voisins. Afin de s’en prévenir, elle décrète que les 8 années de deuil se feront sans sortir de la maison, en compagnie de ses enfants.

Ainsi, Bernarda étouffe ses filles. Elle les maintient dans un monde d’une violence psychologique sclérosante. Mais bien vite, un homme bouleverse les plans de cet univers féminin à l’extrême, Pepe le Romano. Celui-ci désire épouser Angustias, la plus âgée des sœurs, car elle est aussi la plus riche. Mais c’est Adelia qui possède son cœur et, la nuit, quand Pepe a terminé de venir faire sa cour à Angustias, il emmène Adelia pour vivre un amour impossible. Martirio, la sœur cadette, découvre vite le manège. Celle qui est aussi éprise de Pepe le Romano conduira la benjamine à sa perte, entrainant le déshonneur sur la famille. Au grand dam de Bernarda Alba.

Au moyen de la danse, la metteur en scène Lilo Baur fait de la figure masculine un spectre corporel quasiment-muet. La distribution féminine souligne activement à la montée en puissance dramatique de l’histoire, comme dans tout univers fermé. Cécile Brune joue la matrone avec sévérité et intransigeance. Aussi, elle arbitre avec force la rivalité poignante entre Jennifer Decker et Adeline d’Hermy, pour qui l’amour avec Pepe est inenvisageable.

L’écriture de Federico Garcia Lorca, traduite par Fabrice Melquiot, mélange le langage populaire domestique et celui, plus soutenu, de ces filles cloîtrées en le rendant toujours très illustré. On pense à Pagnol et à Audiard pour les images et les métaphores.

La scénographie d’Andrew D. Edwards achève de magnifier ce spectacle. Un mur noir tressé sépare la scène de façon horizontale. Celui-ci coupe la famille du monde extérieur ; le public voit les scènes de rues ainsi voilées : procession, exécution ou fuite. L’ensemble contribue ainsi à créer des images dignes de maîtres hollandais. Le charme opère au moyen d’un mélange intense entre pureté et austérité des lignes.

Enfermés, dans un vase clos, s’opèrent alors une alchimie et une empathie importantes de la part du public, pour ces femmes qui veulent simplement vivre libres du joug qu’elles s’imposent à elles-mêmes. Un cri pour plus de liberté. Une réussite totale.

« La Maison de Bernarda Alba » de Federico Garcia Lorca. Mise en scène de Lilo Baur, en alternance jusqu’au 25 juillet à la Comédie-Française, salle Richelieu, place Colette, 75001 Paris. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr.




Un plaisir tout en désuetude

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La première minute est effrayante : au lever de rideau, on est plongé dans les tréfonds immémoriaux que représentent pour nous le milieu du XXe siècle : musique, décors en carton, paroles frivoles, difficile de faire plus désuet. Puis, dès la deuxième minute on est conquis : tout n’est en fait qu’humour et le côté vieillot complètement assumé ajoute une touche extrêmement drôle à un spectacle qui l’est déjà beaucoup.


C’est l’histoire de deux frères et une sœur de la campagne qui montent à Paris afin de trouver un parti. Pour cela, ils se rendent à ce qu’ils pensent être l’agence matrimoniale. Par un quiproquo, ils se retrouvent embauchés comme domestiques chez un riche docteur de la ville, pensant que ce dernier, sa fiancée et sa sœur sont leurs futurs époux.


Ce revival est orchestrée avec rythme, les acteurs sont mis en scène de façon élégante et dynamique, chacun doté d’une personnalité est d’une voix particulière ce les rend d’autant plus intéressant à voir comme à écouter. On observera particulièrement la sœur venue de Loche qui campe une provinciale illuminée d’un grotesque totalement assumé : c’est irrésistible, sans oublier le personnage de la maîtresse, extrêmement coloré qui ajoute parfaitement le piment nécessaire à cette comédie bourgeoise.


Ce spectacle musical sans prétention est une adaptation, mais qu’on se rassure : la construction et l’humour caractéristique de l’auteur sont respecté, et comme dirait une dame (d’un âge respectable!) du public un soir de générale : « Feydeau aurait adoré ».


Pratique : « Les fiancés de Loches », actuellement au théâtre du Palais-Royal (1e arrondissement). Horaires et réservations sur http://theatrepalaisroyal.com et par téléphone au 01 42 97 40 00. – Reprise pour l’été 2015, du mois de juin au mois d’août




Danser contre l’oubli, « Dancefloor Memories »

© Cosimo Mirco Magliocca / coll. Comédie-Française
© Cosimo Mirco Magliocca / coll. Comédie-Française

De nos jours, Pierre et Marguerite Delorme fêtent leurs noces de camélias, soit 51 ans de mariage. Les souvenirs, des familles brisées par les guerres du XXe siècle, pour Pierre, la leçon principale de cette longévité est qu’il est plus facile de se souvenir du lointain passé que du proche présent.

Pierre a une maladie dégénérative, il oublie tout, de plus en plus. Par des post-it, sa femme lui rappelle qu’elle l’aime et que les toilettes se situent troisième porte à gauche. Afin de continuer à vivre, elle va danser avec Garry, son futur amant octogénaire. Pendant ce temps, Pierre est émoustillé quand l’aide à domicile antillaise lui fait sa toilette. Comme cette dernière, Garry finira par s’installer à domicile, dans la chambre d’ami. Marguerite devient une mère pour son époux, bien que son amant ne souhaite pas avoir d’enfant. Cette histoire est baignée de danse et de musique, de la biguine au tango en passant par le swing, l’émotion est à la nostalgie.

Le texte de Lucie Depauw a été le coup de cœur des spectateurs de la Comédie-Française en 2012 lors d’une mise en lecture. L’écriture de la jeune auteur est hachée. Elle oscille entre poésie et narration, passé et présent, élégance et trivialité – on pense notamment à Garry qui, pendant qu’il danse avec Marguerite, hurle à qui veut l’entendre qu’il « bande ». Les idées grivoises modernes viennent nourrir cette romance pour public mûr (« sucer n’est pas tromper », dira Garry à Marguerite qui, par jeu, l’écoute). Ces réflexions nous questionnent : comment ceux qui se souviennent vivent avec ceux qui s’oublient ? Comment faire quand le désir est plus fort que la mémoire, plus intense que la fidélité jurée il y a des décennies à une personne qui n’est plus vraiment la même ? Lucie Depauw raconte une histoire d’amour, une seconde vie pour personnes du troisième âge qui, comme les adolescents, peuvent avoir des petits problèmes auxquels il y a forcément des solutions.

Elsa Lepoivre porte les mots avec classe et prestance, habilement épaulée par Christian Gonon (Garry) et Hervé Pierre (Pierre). La scénographie apporte une belle touche esthétique : trois miroirs entourent une piste de danse qui change de couleur en fonction des lumières. Hervé Van der Meulen signe ainsi une mise en scène un peu surannée, en décalage avec notre époque ; mais le résultat est élégant et le questionnement très moderne : les âges passent, mais le désir de danser subsiste.

 « Dancefloor Memories » de Lucie Depauw. Mise en scène d’Hervé Van der Meulen, jusqu’au 10 mai au Studio-Théâtre de la Comédie Française, Carrousel du Louvre, 75001 Paris. Durée : 1h10. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr/.




Grandes filles et blagues grasses

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Dans Les Grandes Filles, Edith, Claire, Judith et Geneviève commencent par se présenter, un peu comme dans Amélie Poulain de Jean-Pierre Genet. Chacune confesse ses petits travers et comment elle se voit. Le public passe avec elles un an de leur vie, de mois en mois. Au fil de l’année, elles se raconteront un peu plus et auront même droit à leur moment de gloire fugace – sous la forme d’un monologue –, où l’on se rendra compte que leurs vies ont été, à chacune, plus compliquées que la première impression faite à celui qui les observe pour la première fois. 

Dès le mois de janvier, la bonne année souhaitée, le quatuor cherche à tromper l’ennui comme la bande de veuves délaissées qu’elles sont. Dans la veine de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, elles sont amies mais sont chacune d’une confession différente : juive, musulmane, catholique et témoin de Jéhovah. La dernière est jouée par une Edith Scob particulièrement à côté de ses pompes : on n’en aurait pas moins attendu de la fidèle d’une secte. Claire Nadeau, la catholique, est lesbienne mais pratiquante et Geneviève Fontanel raconte comment, durant son adolescence, elle a été victime du racisme à son arrivée en France depuis le Maghreb. Ensemble, elles rigolent de tout et tentent – gentiment – de bousculer les codes de la société arrêtée dans laquelle elles ont grandi, en faisant preuve d’autodérision sur leurs croyances respectives.

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De cette tendre idée, Stéphane Guérin n’arrive pas à construire une pièce. Il n’y a pas d’histoire, seulement du temps qui passe, même pas une suite de sketchs. Les mois se suivent, indiqués sur un écran du décor, et se ressemblent. Les enchaînements sont abrupts et il semble que la seule motivation du dramaturge soit de faire se succéder les bons mots. Le leitmotiv ? Faire dire des grossièretés à de vieilles dames pour plonger la salle dans l’hilarité générale. Mais avouons-le, quand on a moins de 60 ans, on se sent gêné de cet humour à la Bigard : lorsque l’une demande à l’autre si elle a lu « Marcel Prout », ou lorsque quelques mois plus tard Edith est prise d’incontinence dans un cimetière alors que Judith lui propose un post-it pour boucher son orifice.

Malgré quelques phrases cinglantes dont Guérin a le secret, la grande partie du texte est vulgaire. Sans doute la mise en scène linéaire de Jean-Paul Muel y est aussi pour beaucoup. Il est difficile de se dire que l’auteur est celui de Kalachnikov, qui avait tant enchanté dans une mise en scène de Pierre Notte au Théâtre du Rond-Point en 2013. Pour son entrée dans le privé, on a l’impression que Guérin fait du théâtre de digestion. Il a bradé son talent et vendu son âme à une bande de vieilles dames aux cheveux teints en orange ; malheureusement pour nous, c’est celles de la salle qui ont fait la meilleure offre.

« Les Grandes Filles » de Stéphane Guérin. Mise en scène de Jean-Paul Muel, actuellement au Théâtre Montparnasse, 31 rue de la Gaité, 75014 Paris. Durée : 1h35. Plus d’informations et réservations sur theatremontparnasse.com.




Dear White People : des noirs dans un monde de blanc

© Happiness Distribution
© Happiness Distribution

Grinçant, railleur, cynique, la nouvelle et toute première réalisation de Justin Simien, interpelle tant sur la forme que dans le fond. Une comédie américaine satirique qui ne manque pas de surprendre, décriant les relations entre noirs et blancs sur un campus d’université.

Des films autour du racisme aux Etats-Unis, il y en a eu et il y en aura encore. Dear White People s’attache à suivre la marche tout en restant de l’autre côté de la rampe, demeurant ainsi un véritable ovni dans le paysage cinématographique. Justin Simien nous emmène dans les coulisses des plus prestigieuses universités américaines, au cœur des rapports blancs-noirs où se mêlent questions d’appartenances et de dominations.

Le début du film nous projette directement sur le campus de l’université de Winchester où se côtoient différents clans, aux personnalités ou couleurs bien distinctes : le groupe des afro-américains, la bande des intellos à lunettes, celle des fils à papa ou encore des bimbos en plastique. On suit le quotidien de quatre jeunes noirs, lâchés dans le milieu hostile d’une université majoritairement blanche dans laquelle il faut choisir entre lutter ou rejoindre le troupeau. Quatre personnages et autant de perceptions et de manières de s’intégrer ou non, à une communauté au teint plus pâle. De la charmante mais agaçante Sam, désinvolte et rebelle qui n’a de cesse de moquer ouvertement les blancs à travers son émission de radio ; de l’affriolante et extravertie Coco, qui n’a de noire que sa couleur de peau et qui se rêve en star du net ; en passant par Tony l’athlète et élève modèle, aux ambitions de futur président de l’université.

Dès la présentation des personnages, l’overdose de clichés nous submerge, venant rajouter à ces personnages d’autres encore plus caricaturaux que les premiers : le vice-président noir aigri de la place qu’il occupe au sein de l’université devancé par un blanc moins méritant ou encore le brut et insolant élève américain, fils du directeur de l’école. Mais très vite, on sent derrière cette accumulation l’envie d’aller plus loin qu’une simple comédie stéréotypée bas de gamme. C’est une vraie réflexion qui s’installe à travers cette surenchère toujours plus excessive de ces personnages en quête d’identité et de reconnaissance. Qui sommes-nous et quelle est notre place ?

© Happiness Distribution
© Happiness Distribution

Les noirs veulent devenir blancs et les blancs se déguisent en noirs : paradoxe et questionnement sur la race à l’ère post-Obama. Et puis le rythme du film finit par nous emporter avec des scènes drôles et des dialogues incisifs qui ne manquent pas de faire rire la salle aux éclats. Même si on regrette le côté parfois excluant pour la communauté « blanche » qui passera surement à côté de quelques bonnes vannes ou jeux de mots bien trouvés propre à la culture afro-américaine.

Il y a quelque chose d’audacieux et d’arrogant à la fois dans la réalisation de Simien, en jouant la satire sur un sujet polémique et encore très controversé aux USA, il prend tout le monde à contre-pied et déstabilise totalement son spectateur. On ne sait plus quoi penser des personnages ; les moquer, les aimer ou bien les haïr. Prendre parti pour les blancs ou bien les noirs. Tout s’entremêle si brillamment que nous perdons la tête à chercher un sens, peut être inexistant. On se moque, on s’attache, on cogite mais surtout on se marre face à des situations cocasses et des répliques tordantes : « le nombre d’amis noirs désormais requis pour ne pas apparaître raciste vient de passer à deux. Et désolé, cela n’inclut pas Tyrone, votre dealer de shit… » Rajouter à cela une véritable esthétique des couleurs et des décors à la hauteur de l’affiche du film : brillante et haute en contrastes ; des acteurs talentueux et le prix du jury spécial au festival de Sundance 2014 et le tour est joué. Un message transmis et des spectateurs conquis, un bon début pour un premier long métrage.

 « Dear White People », de Justin Simien, sortie au cinéma le 24 mars 2015.




Que ne ferait-on pas pour la liberté ?

Copyright : François Berthier
Copyright : François Berthier

Prenons l’action à son commencement. Quatre hommes (en fait le même : Henry), style gentlemen au chapeau melon, se saluent. Un wagon en fond de scène et quelques chaises font office de décor. Les fauteuils se transformeront au gré de l’action en sièges de voiture ou de train. Ces quatre visages pris dans ce décor mouvant, racontent comment leur vie a changé du rien au tout.

Le chamboulement débute le jour de l’enterrement de la mère d’Henry. C’est à cette occasion qu’il rencontre tante Augusta, ex-effeuilleuse à la grande gueule revendiquant sa liberté face à toute morale. Le neveu, jeune retraité d’une banque, est casanier et angoissé en la présence de ce drôle d’oiseau. Il s’empresse d’écourter la rencontre car il craint d’avoir laissé sa tondeuse à gazon en proie à l’humidité. L’histoire de sa vie ordinaire prend un tour drôle grâce au regard qu’il y porte. Face à cette globe-trotteuse décidant de le prendre sous son aile, il est comme Bilbo le Hobbit face à Gandalf et les nains qui viennent le chercher pour partir à l’aventure : très frileux.

Copyright : François Berthier
Copyright : François Berthier

Elle lui propose de la suivre à Istanbul, il la convaincra de choisir Brighton. Finalement, après la rencontre avec une voyante, il cède pour l’Orient. Le voyage initiatique prend des airs d’épopée familiale jonchée de rebondissements burlesques et de la Turquie, ils se retrouvent au Paraguay afin de rejoindre l’amour d’Augusta (qui lui a déjà plusieurs fois volé ses économies). L’intrigue est presque aussi trépidante que le Tour du Monde en 80 Jours et aussi riche que Candide : plus que sa tante, c’est lui-même qu’il rencontre et son jardin qu’il cultive.

La prise de conscience se fait dans avec une vision caustique sur la vie écoulée. Henry a un sursaut brutal, sa tante lui a transmis son goût d’une liberté gardée à tout prix. Il abandonne sa vie Londonienne bordée de gazon millimétré pour devenir contrebandier dans la pampa.

Sur scène : Claude Aufaure, Jean-Paul Bordes, Dominique Daguier et Pierre-Alain Leleu. Pas de stars, mais des comédiens au sommet de leur talent. Chaque action est mimée, ils sont Henry mais aussi tous les autres : de la fille de 16 ans au perroquet moqueur, la vieille voyante et le gorille-amant de la tante. Ils sont aussi les détails (surtout Leleu) : l’horloge et le bruit de la sonnette. Ce sont quatre gueules, quatre élocutions marquées et placées dans le tourbillon de la mise en scène dynamique de Nicolas Briançon, qui fait se succéder les situations comme autant de mondes.

« Voyage avec ma tante » d’après Graham Greene, mise en scène de Nicolas Briançon, actuellement au Théâtre de la Pépinière, rue Louis-le-Grand, Paris. Durée : 1 h 40. Plus d’informations et réservations sur theatrelapepiniere.com




Des jambes d’azur pour une vie en rose

La Dame aux jambes d'azur - Labiche - Jean-Pierre Vincent - Studio-Theatre-Comedie-Francaise
Copyright : Brigitte Enguérand

Cette – très – courte pièce d’Eugène Labiche n’en est en fait pas une. Avant-même le lever du rideau, Arnal, l’auteur (Gilles David) se confond en excuses face au public : les acteurs ne sont pas prêts, mais ils vont répéter toute la nuit pour nous jouer le spectacle demain. Ceux qui, dans l’assemblée se sont levés, croyant à la bonne foi du narrateur, sont cependant invités à rester : ils vont pouvoir assister à ce work in progress du XIXe siècle, après tout, nous ne nous sommes pas déplacés pour rien. Se montre alors devant nous, une vraie farce sur le drame d’une pièce qui ne commence jamais…

Néanmoins, le rideau se lève pour laisser place à une série de gags ininterrompue pendant une cinquantaine de minutes. Tout est absurde : le décor est une forêt de Venise (!), dans celle-ci, Arnal est rejoint par Ravel (Pierre Louis-Calixte), qui n’a rien à faire là mais qui vient lui tenir compagnie pendant la répétition. Les catastrophes en amènent d’autres : le souffleur est souffrant, un machiniste analphabète le remplace, les comédiens ne connaissent pas leurs textes, et tiennent leurs chiens en laisse sur scène pour éviter que les mâtins ne se battent en coulisse. L’un des acteurs a oublié qu’il déménageait aujourd’hui à midi (Gérard Giroudon) : il quitte donc la scène précipitamment avant de revenir pour déclamer son texte de doge de Venise, un parapluie trempé sur le bras.

Copyright : Brigitte Enguérand
Copyright : Brigitte Enguérand

L’absurdité commence dès le titre, car on apprend que l’héroïne de la pièce vient d’épouser un prince qui tient le bleu en horreur. Mais la malheureuse, crapahutant dans l’atelier d’un teinturier – qui n’est autre que le Tintoret lui même -, se retrouve les pieds teints couleur azur. Elle ne peut donc plus reparaître devant son mari.

Jean-Pierre Vincent fait ressortir tout le comique de situation cumulé au comique de gestes. Les personnages sont très marqués dans leurs corps comme dans leurs caractères, Arnal le premier. On rigole de ce faux érudit autoproclamé auteur de théâtre et qui transforme les « lagunes » en « lacunes » au moyen de prétextes pompeux. Il est sûr de tout de qu’il dit, et plus c’est bête, plus il défend son génie. Après tout, comme il le rappelle à plusieurs reprises, il a écrit les 129 pages de sa pièce en 12 jours, et sans une rature ! Il est un dottore de comedia dell’arte face à l’arlecchino Ravel qui ne rate pas une occasion de lui montrer l’étendue de sa stupidité. Il dirige une bande de saltimbanques plus amusés par l’idée de leurs métiers que de le pratiquer vraiment. On pense notamment à la princesse truculente et joyeuse campée par une Julie Sicard déchaînée aux airs de Sarah Bernhardt des faubourgs, chanteuse de cabaret trop à l’étroit dans son personnage. Elle ne monte pas sur scène avant d’avoir fini sa saucisse et bu une choppe. Quant à celui qui lui fera lâcher, pendant qu’elle déclame, ses aiguilles de tricot, il n’est pas encore né ! Tout comme celui qui ne rira pas en allant voir cette bande de joyeux drilles déchaînés, d’ailleurs…

Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« La Dame aux jambes d’Azur » d’Eugène Labiche, mise en scène Jean-Pierre Vincent, jusqu’au 8 mars au Studio-Théâtre de la Comédie-Française,au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Carrousel du Louvre, du mercredi au dimanche à 18h30.. Durée : 55 minutes. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr




« La petite fille aux allumettes » : la flamme ne prend pas

Copyright : Cosimo Mirco Magliocca
Copyright : Cosimo Mirco Magliocca

Jusqu’en janvier 2015, le Studio-Théâtre de la Comédie-Française accueille une adaptation de La petite fille aux allumettes d’après Hans Christian Andersen. À la fille (Anna Cervinka), l’adaptation d’Amrita David et Olivier Meyrou ajoute la présence d’un père (Nâzim Boudjenah) et d’une mère (Céline Samie). La nuit du Nouvel An tragique d’un XIXe siècle danois a été transposée à une Saint-Sylvestre de la fin du XXe siècle français, dans un environnement pauvre et misérable.

La scène d’exposition montre la petite famille dans le photomaton d’une gare. Les parents viennent faire des photos pour leur fille, peut-être dans un but administratif. Assez vite, un drame éclate après cette après-midi semblant heureuse : la mère se fait renverser par une voiture, la tristesse et la douleur conduisent le père à envoyer sa fille, affamée, subvenir toute seule à ses besoins en vendant des allumettes dans la rue.

L’ambiance est voulue extrêmement sombre. Le père hurle sur sa fille : il est effrayant pour elle et pour le spectateur. L’enfant se retrouve seule sur scène, abandonnée. Un dispositif scénographique nous permet de voir ses rêves : sur un écran ou derrière celui-ci apparaissent des visions rassurantes – la mer et son bruit – ou cauchemardesques – l’image du père extrêmement violent, frappant sur un caddie, car elle rentre les mains vides.

Le physique et le jeu d’Anna Cervinka se prêtent bien au rôle. Elle est fine, timide et seule sous la neige, tendant sa marchandise. Elle est fragile comme une flamme légère qui vacille. Parfois, elle brûle une allumette pour se réchauffer les doigts, ce qui lui fait avoir des visions réconfortantes, accompagnées de la jolie musique de François-Eudes Chanfrault.

Malheureusement, c’est tout. L’expérience pour le spectateur se résume à assister à l’agonie de l’enfant pendant une heure. Ses visions – luxuriantes dans le conte originel – sont minimales et ne nous conduisent à aucun moment dans un quelconque onirisme, pourtant promis dans les intentions du metteur en scène. Le conte originel, bien qu’aussi tragique, laisse place à une sorte d’espoir : la jeune fille voit sa grand-mère dans une ultime hallucination et elle décide de la suivre. Rien de cela n’est gardé dans ce spectacle qui reste d’une noirceur assumée et où l’aïeule a une voix de monstre. Anna Cervinka est seule, jouant avec des ordures, elle mange des morceaux de journaux en guise de friandise et l’unique personne avec qui elle dialogue est un pou.

Dans cette situation, les acteurs font ce qu’ils peuvent, c’est la transposition qui semble mauvaise. Elle est l’œuvre d’une monteuse (Amrita David) et d’un documentariste (Olivier Meyrou). Cela ne veut pas dire qu’ils sont donc incapables de produire un bon travail d’adaptation, mais dans ce cas précis c’est un échec. En inventant un avant, on retrouve les erreurs récurrentes inhérentes aux travaux de jeunes artistes qui se sentent obligés de tout expliquer. Il y a aussi ici la volonté manifeste de faire le lien avec la situation actuelle des sans-abris, l’appel de 1954 prononcé par l’abbé Pierre est diffusé plusieurs fois à la suite lorsque le père, inquiet, part à la recherche de sa fille. La culpabilité de celui-ci est complètement inventée et la mise en scène y accorde une grande importance. Nous sommes face à une métaphore simpliste à volonté culpabilisante où nous (le père) abandonnons les sans-abris (la fille) à leur sort. Il n’y a aucune place pour l’imagination du spectateur. À vouloir déborder de bons sentiments, le résultat devient donc l’inverse d’une démarche optimiste : le conte nous effraye plus qu’il ne suscite pitié et crainte. Cela revient à dire à un fumeur, « si tu n’arrêtes pas, tu vas mourir », avec l’efficacité que l’on sait d’une telle posture.

Olivier Meyrou est doué pour faire parler le monde réel dans ses documentaires. Mais la nécessité de relier un conte presque initiatique à une existence sordide connue de tous lui enlève tout intérêt (au conte !). Ici, le réalisateur assume mal le rôle de metteur en scène, laissant la comédienne livrée à elle-même créant ainsi de longs moments de solitudes.

Pour terminer ce tableau, on déplore un décor composé d’ordure. La scène ressemble plus aux prémices d’une habitation occupée par une victime du syndrome de Diogène que l’espace d’un sans-abri. La scène est transformée en champs de déchets, même les rêves de la petite fille sont laids, sa mort, libératrice, est moche. La recherche d’une esthétique semble absente. À cela, ajoutons la question de l’exemple : ce spectacle étant destiné à un jeune public, il semble légitime de s’interroger sur l’intérêt de montrer une héroïne se couvrant la tête de divers sacs en plastique et où l’acte de bruler des allumettes est réduit à un geste normal…

C’est bien à cela que l’on pourrait résumer le problème de ce spectacle : à la volonté d’imposer une sorte de normalité dans le sordide sans aucune recherche de transcendance qui permettrait au spectateur de trouver la volonté de changer le monde. Ou au moins le regarder tel qu’il est.

Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« La Petite fille aux allumettes » d’après Hans Christian Andersen, mise en scène d’Olivier Meyrou, jusqu’au 4  janvier au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Carrousel du Louvre, du mercredi au dimanche à 18h30. Durée : 1h10. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr




Morne Yasmina Reza

commentvousracontez

Dans la nouvelle pièce de Yasmina Reza, « Comment vous racontez la partie », la salle Renaud-Barrault du théâtre du Rond-Point devient la salle polyvalente de Vilain-en-Volène, qui accueille l’un de ses « Samedi Littéraire ». Ce soir, Nathalie Oppenheim (Zabou Breitman), écrivaine à succès, va passer sur le grill de la journaliste Rosana Ertel-Keval (Dominique Reymond), « enfant du pays » de retour dans sa province natale. Quelques détails viennent parfaire l’ambiance. Du larsen au crépitement de la sono, en passant par les poivrots du village qui parlent fort en coulisses. L’entrevue publique est orchestrée par Roland Boulanger (Romain Cottard), jeune érudit et organisateur de l’événement, poète à ses heures.

La mise en scène de l’auteur est basée sur un théâtre diapositive (déjà utilisé dans Art, en 1994). Cela consiste à faire se succéder des scènes, des situations, en créant le noir entre chacune d’elles, évitant ainsi peut-être, de devoir trouver des idées pour faire bouger les personnages. Quoi qu’il en soit, ici, cela rend la mise en scène très statique.

La rencontre, qui fait l’objet du spectacle, reprend à l’entretien en public tout ce qu’il a de plus détestable. Yasmina Reza fait en ce sens, une critique du « monde littéraire », entourant les sorties d’ouvrages. Et du point de vue du public profane, il faut avouer qu’elle vise très juste.

A commencer par la définition du caractère même des personnages : la journaliste blonde inquisitoriale, qui fait sentir à ses invités que la star, c’est elle, nous fait penser à une journaliste bien connue du monde ici critiqué. Elle est spécialiste du name dropping et ne cherche pas à mettre en valeur l’humain qu’elle interroge, mais plutôt elle, sa vie et ses expériences, tombant parfois dans la psychanalyse naïve. Nathalie Oppenheim – l’écrivain face à elle – grande, brune et séduisante, victime de la journaliste vautour, nous fait songer à l’auteur de la pièce elle-même. Cette idée est confortée par le fait que le lien autobiographique est une question récurrente dans la bouche des personnages du drame. Enfin, les deux provinciaux, l’animateur littéraire efféminé et érudit, ainsi que le maire rustre et amateur de sangria (André Marcon) sont tous les deux des clichés purs et simples.

Cependant, les acteurs sont tous excellents et, pour le coup, très bien dirigés. Cela semble contradictoire, car l’auteur sauve ici son texte grâce à la direction et les nombreux temps de silence, drôles et parfois clownesques, qui ponctuent la mise en scène. On pense notamment à Romain Cottard, keatonien dans son utilisation des objets qui semblent toujours lui en vouloir, donnant ainsi lieu à des images burlesques très réussies.

Le tout est forcément bien écrit, sans être transcendant à l’aune du reste de l’œuvre de Yasmina Reza. Les dialogues donnent l’illusion d’êtres spontanés, et l’on est amusé par le mélange des écritures : directe et littéraire, puisque les personnages lisent à plusieurs reprises des extraits du roman de Nathalie Oppenheim et la poésie de Roland Boulanger. Malheureusement, quelques répliques cinglantes ne sauvent pas la pièce qui reste un drame bourgeois moyen. Parfois drôle, mais surtout où il ne se passe pas grand chose : il n’y a pas de nœud dramatique, pas de coup de théâtre. L’action est linéaire, désenchantée et pour ainsi dire assez morne.

« Comment vous racontez la partie » de Yasmina Reza, mise en scène de l’auteur, jusqu’au 6 décembre au Théâtre du Rond-Point, 2bis, avenue Franklin D. Roosvelt, du mardi au dimanche à 21h. Dimanche à 15h. Durée : 1h50. Plus d’informations et réservations sur www.theatredurondpoint.fr




Le Poche-Montparnasse à « Huis-Clos »

Huis Clos - Jean-Paul Sartre - Daniel Colas
Copyright : Brigitte Enguerand

Alors que Chère Elena occupe le rez-de-chaussée, le théâtre de Poche-Montparnasse accueille en sous-sol, Huis-Clos, œuvre dramatique la plus célèbre de Jean-Paul Sartre. De ce classique, le public retient souvent l’une des dernières phrases, « l’enfer, c’est les autres ». La formule reprise, débattue parfois, incomprise souvent, est ici remise dans son contexte, à savoir un huis-clos infernal pour trois personnages en un acte et cinq scènes, qui, ensemble, font de cette expression une évidence.

Joseph Garcin est accompagné en enfer par un garçon d’étage. Seul, il découvre le lieu où il va passer l’éternité. Un endroit démythifié, sans pals et sans entonnoirs de cuir ; un espace où sont installés trois canapés, un coupe-papier et un bronze de Barbedienne, peut-être Dante ou Aristote. Pas de miroir ou de brosse à dent : les accessoires de la vanité sont laissés aux vivants. Rapidement, l’homme est rejoint par deux femmes : Inès puis Estelle.

Chacun des personnages a une approche différente de son nouveau lieu de villégiature. Si Joseph, vieux-beau, est désabusé, Inès déjà mauvaise de son vivant, se sent dans son élément. Estelle, belle jeune femme narcissique est inquiète et angoissée. Ceux qui se sentent innocents se laissent peu à peu aller à la résignation et finissent par admettre leurs méfaits terrestres.

Huis Clos - Jean-Paul Sartre - Daniel Colas
Copyright : Brigitte Enguerand


Ensemble, ils forment une sorte de mariage forcé, composé de trois caractères très différents. Soumis aux jugements de chacun, ils sont les artisans de leur propre supplice et de celui des autres. Les pals et autres instruments de douleurs semblent bien doux comparés à l’idée de passer l’éternité en compagnie d’autres personnes détestables pour soi-même. Difficile d’imaginer plus cruel supplice. De plus, la vie qui continue sur terre hors de leur contrôle, est aussi une torture ; car ils accordent encore de l’importance à l’existence des vivants par rapport à eux-mêmes, bien qu’ils soient libres de n’y accorder aucune attention. Tout cela constitue un manifeste existentialiste important, d’une grande limpidité dans cette mise en scène de Daniel Colas.

On entend très bien le texte qui, à lui seul, mérite de voir ce spectacle. On assiste à une évolution du langage signifiante : d’abord très beau, poli et lisse au début (les morts sont appelés « les absents »), il finit dans un registre familier parfois violent dans la dernière partie.

L’espace étant restreint, le public est très rapidement pris dans l’angoisse et l’enfermement avec les acteurs. On subit l’huis-clos. Un décor sobre et familier contribue à la création de cette ambiance prenante. On y entre avec joie, on en sort avec soulagement et peut-être plus libre dans nos rapports avec « les autres ».

 

« Huis-Clos » de Jean-Paul Sartre, mise en scène de Daniel Colas, jusqu’au 11 janvier au Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse (6e arrondissement), du mardi au samedi à 21h. Dimanche à 15h. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.theatredepoche-montparnasse.com/.