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« Pierre. Ciseaux. Papier. » : banal ou absurde ?

Copyright : Philippe Bertheau
Copyright : Philippe Bertheau

Dans « Pierre, Papier, Ciseau », Clémence Weill dissèque la réalité, au premier abord banale, de trois personnages stéréotypés (le cadre quinqua, la jolie femme et le jeune séducteur). Elle montre ainsi que, finalement, personne n’est vraiment ce dont il a l’air. Cela grâce à des empilements d’approfondissements aux accents améliepouliniesques par lesquels ils se qualifient chacun leur tour (« cette femme adore les premières phrases », dit le quinquagénaire pour présenter sa voisine). Tout ce discours se déroule dans un univers robotisé, où une voix-off d’une neutralité toute informatique marque les temps de la pièce.

Certes, il y a une écriture, un réel talent, sous la plume de Weill, on entend l’exception. La figure de l’autre est creusée, fouillée pour être élevée au niveau de la conscience du spectateur. Elle expose la pensée qui est, selon ses personnages « la vraie intimité, encore plus que la peau ». Le texte souligne la vérité sur la stupidité qui dicte nos commentaires sur les autres, à commencer par le premier venu. Seulement, l’auteure glisse presque jusqu’à la leçon.

Laurent Brethome se met au service de ce texte, finalement peu théâtral. La mise en scène est linéaire en matière d’occupation de l’espace et dans le jeu des personnages. Les trois acteurs sont assis la majeure partie de la pièce dans de grands fauteuils comme des candidats ou des témoins sur un plateau télévisé. Après s’être présentés les uns les autres pendant une heure, ils passent les trente dernières minutes à interagir et créer des situations qui sont ce qu’elles sont, mais auraient pu être différentes. Autrement dit, la dernière partie achève d’ôter tout intérêt dramatique à la pièce : le plaisirs des mots est sabré par ces situations absurdes. L’ennui final laisse un goût amer par le contenu et nauséabonde par l’odeur, tellement les fumées diverses s’échappant de la scène (cigarette électronique ou non, pipe et machine) ont asphixiés l’espace pendant chaque minute de la représentation.

« Pierre. Ciseaux. Papier »,de Clémence Weill, mise en scène de Laurent Brethome, jusqu’au 14 mai 2016 au Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.manufacturedesabbesses.com




De l’ablution publique à l’invention d’un rituel secret et familier

Eugène Lomont, Jeune femme à sa toilette, 1898, huile sur toile, 54 x 65 cm, Beauvais, Musée départemental de l’Oise. © RMN Grand Palais / Thierry Ollivier
Eugène Lomont, Jeune femme à sa toilette, 1898, huile sur toile, 54 x 65 cm, Beauvais, Musée départemental de l’Oise. © RMN Grand Palais / Thierry Ollivier

« On a remarqué que de tous les animaux, les femmes, les mouches et les chats sont ceux qui passent le plus de temps à leur toilette », écrivait Charles Nodier dans ses Maximes et Pensées. Toute misogyne qu’elle soit et d’un humour piquant, elle ne semble pas moins vraie au regard de l’étonnante exposition du Musée Marmottan « La toilette. Naissance de l’intime ». Car vous ne trouverez pas ici d’hommes affairés à leurs ablutions ; cependant ne nous y trompons pas, ce n’est pas un parti-pris sexiste qui l’a emporté, mais bien la réalité matérielle : la toilette masculine, d’un point de vue pictural, reste encore à inventer.

Sous cet aspect plutôt trivial voire commun à première vue que pourrait révéler la thématique de la toilette, il n’en est rien : nous ressortons du musée, ravis de s’être immiscé au sein de cette sphère privée. Car c’est là tout l’intérêt de cette exposition : par son parcours chronologique et son propos à la fois esthétique et sociologique, les commissaires – Georges Vigarello et Nadeije Laneyrie-Dagen – parviennent à montrer habilement, la singulière évolution d’un rituel aujourd’hui si familier.

Pays-Bas du Sud, Le bain, tenture de la vie seigneuriale, vers 1500, laine et soie, 285 x 285 cm, Paris, musée de Cluny – Musée national du Moyen Age. © RMN Grand Palais (musée de Cluny – Musée national du Moyen Age) / Franck Raux
Fig. 1 – Pays-Bas du Sud, Le bain, tenture de la vie seigneuriale, vers 1500, laine et soie, 285 x 285 cm, Paris, musée de Cluny – Musée national du Moyen Age. © RMN Grand Palais (musée de Cluny – Musée national du Moyen Age) / Franck Raux

La première salle s’ouvre sur une tapisserie du musée de Cluny : Le bain, tenture de la vie seigneuriale (Fig. 1), datée vers 1500. Il ne faut pas y chercher un témoignage de pratiques hygiéniques, bien au contraire : la finalité désirée n’est pas la réalité d’une gestuelle précise, mais plutôt la mise en valeur d’un idéal féminin. L’érotisme d’ailleurs, est perceptible : la baigneuse est bercée par les notes de musique, parée de bijoux et de voiles transparents au milieu d’une nature foisonnante. La toilette en public n’est pas encore devenue ce moment de l’intime. Aussi, n’oublions pas de citer cette très belle toile attribuée à l’Ecole de Fontainebleau, Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées et la duchesse de Villars au bain (Fig. 2), à même d’aiguiser la curiosité du visiteur : cachées derrières de lourds rideaux, ces deux femmes se baignent sous les yeux d’une nourrice allaitante ; vêtues de chemises couleur chair et joliment apprêtées, avec leurs corps qui se confondent dans la même eau du bain, elles expriment pourtant une pudeur certaine qui ne nous laisse pas indifférents.

La deuxième salle opère une rupture nette dans le temps et les rituels de propreté : au XVIIème siècle, il n’est plus question de se laver en public, ni même de se laver d’ailleurs…avec de l’eau, porteuse à cette époque de nombreuses maladies. On parle alors de « toilette sèche », on se frotte la peau avec des chiffons, mais surtout, il n’est plus temps de ritualiser la propreté de manière collective. Là commence véritablement l’intimité de la toilette, où les individus les plus pauvres chassent les parasites religieusement – à l’instar de l’admirable tableau La Femme à la puce (Fig. 4) de Georges de La Tour, et où les plus riches s’ornent de leurs plus somptueuses parures, symboles d’une beauté illusoire – telle cette Vanité ou Jeune Femme à sa toilette de Nicolas Régnier (Fig. 3).

Anonyme (Ecole de Fontainebleau), Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées et la duchesse de Villars au bain, fin du XVIème siècle, huile sur toile, 63.5 x 84 cm, Montpellier, Musée Languedocien, Collection de la société Archéologique de Montpellier.
Fig. 2 – Anonyme (Ecole de Fontainebleau), Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées et la duchesse de Villars au bain, fin du XVIème siècle, huile sur toile, 63.5 x 84 cm, Montpellier, Musée Languedocien, Collection de la société Archéologique de Montpellier.

Le parcours se prolonge par la découverte singulière de quatre petits tableaux de François Boucher, mis en valeur par une muséographie très réussie. Quatre œuvres fonctionnant par paire, dont l’histoire ne manquera pas d’étonner tout en nous instruisant sur leur fonction première ; car ces petites toiles, sont en fait de grandes cachottières. Leur forme ovale, tout d’abord, n’est pas due au hasard ; elle nous suggère que nous entrons dans la sphère de l’intime, et même au-delà, elle nous place dans la peau du voyeur : l’ovale métaphoriserait alors, selon notre imagination, deux trous de serrures ou deux paires d’yeux indiscrets. Puis, nous découvrons le stratagème derrière les chastes apparences : les deux portraits de femmes jouant avec un bambin pour l’une et un petit chien pour l’autre, cachent lorsqu’on les soulève, des scènes grivoises, où ces mêmes femmes s’affairent à leurs besoins quotidiens dans des positions équivoques. Ces tableaux libertins, réservés aux cabinets privés de ces messieurs au XVIIIème siècle, ne se font toutefois pas remarquer uniquement pour leur caractère licencieux : le modelé des chairs, la beauté des parures et l’éclat des couleurs, font de cet ensemble une des pièces maîtresses de l’exposition (Fig. 5 et 6).

Nicolas Régnier, Vanité ou Jeune femme à sa toilette, Circa, 1626, huile sur toile, 130 x 105.5 cm, Lyon, Musée des Beaux-Arts. © 2014 DeAgostini Picture Library / Scala, Florence.
Fig. 3 – Nicolas Régnier, Vanité ou Jeune femme à sa toilette, Circa, 1626, huile sur toile, 130 x 105.5 cm, Lyon, Musée des Beaux-Arts. © 2014 DeAgostini Picture Library / Scala, Florence.

Georges de La Tour, La femme à la puce, 1638, huile sur toile, 121 x 89 cm, Nancy, Musée Lorrain. © RMN Grand Palais / Philippe Bernard.
Fig. 4 – Georges de La Tour, La femme à la puce, 1638, huile sur toile, 121 x 89 cm, Nancy, Musée Lorrain. © RMN Grand Palais / Philippe Bernard.

François Boucher, L’enfant gâté, 1742 ? Ou années 1760 ?, huile sur toile, 52.5 x 41.5 cm, Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle Karlsruhe © akg-images
Fig. 5 – François Boucher, L’enfant gâté, 1742 ? Ou années 1760 ?, huile sur toile, 52.5 x 41.5 cm, Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle Karlsruhe © akg-images

François Boucher, L’Œil indiscret ou La Femme qui pisse, 1742 ? Ou années 1760 ?, huile sur toile, 52.5 x 42 cm, Collection particulière © Christian Baraja
Fig. 6 – François Boucher, L’Œil indiscret ou La Femme qui pisse, 1742 ? Ou années 1760 ?, huile sur toile, 52.5 x 42 cm, Collection particulière © Christian Baraja

Avec la salle suivante consacrée au XIXème siècle, une césure esthétique s’installe progressivement. Nous sommes plongés avec tendresse au cœur d’une intimité féminine où les corps sont certes moins idéalisés, mais où ils gagnent assurément en humanité, en simplicité ; une simplicité pourtant, qui ne perd rien de sa sensualité. Les peintres, à l’instar d’Edouard Manet et de sa Femme nue se coiffant – ou de Berthe Morisot avec Devant la psyché (Fig. 7), marquent les courbes sensuelles, les plis de la chair ; ils soulignent les dessous des bras de traits rougeoyants pour figurer qu’à cet endroit, la peau est plus détendue. Et dans cette peau imparfaite qui pend subtilement, il y a la vie. Les mots de Nadeije Laneyrie-Dagen à ce propos sont touchants : « ces femmes sont tendrement érotiques », explique-t-elle. En effet, ces imperfections les humanisent avec douceur et bienveillance. Les sujets grivois n’ont plus leur place au milieu de ces toiles impressionnistes, où la finalité du dévoilement corporel se fait plus délicate ; seuls les derniers instants de la toilette sont esquissés. Mais il n’y a pas que ce changement esthétique qui mérite d’être souligné : la clarté chronologique du parcours imaginé par les commissaires d’exposition, permet aisément de comprendre l’évolution des rituels de propreté. Dès le XIXème siècle en effet, l’eau est intégrée au quotidien, son usage devient plus accessible ; et d’un sujet que l’on pensait somme toute ordinaire, émerge une complexité captivante et insoupçonnée.

Berthe Morisot, Devant la psyché, 1890, huile sur toile, 55 x 46 cm © Fondation Pierre Gianadda, Martigny.
Fig. 7 – Berthe Morisot, Devant la psyché, 1890, huile sur toile, 55 x 46 cm © Fondation Pierre Gianadda, Martigny.

Un peu en retrait, pris à la fois dans le flot de l’exposition et dans l’intimité de son alcôve, se trouve une toile qui ne manquera pas de nous interpeller. Prêtée par le Musée départemental de l’Oise, la Jeune femme à sa toilette d’Eugène Lomont se révèle inclassable : sa beauté mystérieuse et son charme ténébreux, légitiment assurément l’accrochage spécifique qui lui est réservé. Puis, avec Pierre Bonnard, la toilette devient le moment privilégié où l’on peut s’extraire de la foule et du bruit de la ville ; les corps changent à mesure que les salles de bains gagnent en confort : si l’artiste peint sa femme Marthe au tub en 1903, les corps qu’il figure vers 1940, finissent par se mêler aux reflets de l’eau dont les vertus ne sont plus simplement hygiéniques, mais apaisantes pour le corps et l’esprit.

Au tournant du XXème siècle, les avant-gardes se questionnent sur le corps féminin et les modalités de sa représentation. Les enjeux dépassent la simple mimesis : c’est le temps de l’exploration, de la déconstruction, où les artistes s’évertuent à explorer toutes les facettes de ce cérémonial privé de la propreté et de l’apprêt. La toilette sert ici de prétexte alors que la forme prévaut sur l’objet – osons l’expression, du désir : le spectateur a quitté son statut de voyeur pour céder à la délicatesse humanisée de corps tendrement familiers pour observer, enfin, la vitalité extraordinaire des Femmes à la toilette de Fernand Léger (Fig. 8). Au fond, à l’épreuve de la Grande Guerre, succède l’envie de retrouver la simplicité des gestes forgés par le quotidien. Il semble dès lors que la toilette se prête de manière évidente à cet exercice de réappropriation du corps, tant psychologique que picturale.

Fernand Léger, Les femmes à la toilette, 1920, huile sur toile, 92.3 x 73.3 cm, Suisse, Collection Nahmad © Suisse, Collection Nahmad / Raphaël BARITHEL ADAGP, Paris 2015.
Fig. 8 – Fernand Léger, Les femmes à la toilette, 1920, huile sur toile, 92.3 x 73.3 cm, Suisse, Collection Nahmad © Suisse, Collection Nahmad / Raphaël BARITHEL ADAGP, Paris 2015.

Enfin, vient le temps de faire face à notre propre époque ; à nos mœurs engoncées dans une quête perpétuelle de perfection esthétique, où la publicité se fait l’écho de nos passions nombrilistes et quasi prophylactiques. Devant ces photographies de femmes-objets, on se surprend à repenser affectueusement à celle peinte par de La Tour, chassant religieusement ses puces à la lueur tamisée d’une bougie. Pour autant, fidèle à sa volonté de dévoiler une évolution sensible des usages liés au corps, le propos véhiculé par cette dernière salle n’est pas figé ; tout ne tourne pas autour de ces simulacres de la beauté. Et même si les artistes féminines qui se sont emparées du sujet, ne semblent pas vouloir s’émanciper du motif de la femme, les enjeux ici sont sensiblement différents. Les femmes sont à présent observatrices, parfois cruelles, se jouant ironiquement du regard posé sur elles par les hommes – à l’image du mannequin Karen Mulder photographiée par Bettina Rheims (Fig. 9). Ici, le malaise est palpable, mais surtout, il est voulu : le propos n’est pas érotique comme nous pourrions le penser à première vue ; il est moqueur, effronté, rejetant les individus masculins aux portes de la salle de bain. Elle est à présent le sanctuaire des femmes dont elles seules connaissent les secrets de beauté.

Bettina Rheim, Karen Mulder portant un très petit soutien-gorge Chanel, janvier 1996, Paris, 1996, C-print, 120 x 120 cm, Signé au dos sur le cartel, Paris, collection de l’artiste © Bettina Reims copyright Studio Bettina Rheims
Fig. 9 – Bettina Rheim, Karen Mulder portant un très petit soutien-gorge Chanel, Paris, 1996, C-print, 120 x 120 cm © Bettina Reims copyright Studio Bettina Rheims

Assurément, cette exposition est probante tant dans l’originalité de son sujet que dans sa réalisation. La muséographie est véritablement au service des œuvres parmi lesquelles se trouvent de très beaux prêts : l’atmosphère y est de circonstance, intime et feutrée, mais sans jamais sombrer dans l’excès ; l’éclairage, très abouti, participe à la mise en valeur des toiles et des quelques sculptures exposées. Finalement, comme un écho à la toile Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées et la duchesse de Villars au bain (Fig. 10), répond une photographie d’Alain Jacquet intitulée Gaby d’Estrées : deux femmes dans leur bain qui selon les commissaires d’exposition, seraient prêtes à se jeter avidement sur cet intrus voyeur ; mais pourquoi ne voudraient-elles pas plutôt, le laisser entrer au sein de leurs rituels intimes ? Puisqu’après tout, à travers cette captivante exposition, c’est bien de cela qu’il s’agit.

Thaïs Bihour

Alain Jacquet, Gaby d’Entrées, 1965, sérigraphie quatre couleurs sur toile, 119 x 172 cm, Courtesy Comité Alain Jacquet et Galerie GP & N Vallois, Paris © Comité Alain Jacquet ADAGP, Paris 2015.
Fig. 10 – Alain Jacquet, Gaby d’Entrées, 1965, sérigraphie quatre couleurs sur toile, 119 x 172 cm, Courtesy Comité Alain Jacquet et Galerie GP & N Vallois, Paris © Comité Alain Jacquet ADAGP, Paris 2015.

« La toilette. Naissance de l’intime »  – L’exposition se tient jusqu’au 5 juillet 2015 au musée Marmottan-Monet, 2, rue Louis-Boilly, 75016 Paris – Métro « La Muette » (ligne 9) / RER « Boulainvilliers » (Ligne C). Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 21h. Tarifs : 11/6,50€. Plus d’informations sur www.marmottan.fr




« La barque le soir », difficile de ne pas sombrer

Claude Régy est un grand metteur en scène. Découvreur de texte, de talents, il cherche à pousser le théâtre dans de profonds retranchements pour en faire sortir une énergie nouvelle, au delà des mots et du geste. Il aime que le spectateur laisse aller son imagination.

« La lecture de La Barque le soir m’a beaucoup frappé. L’écriture y est très différente de celle des romans antérieurs de Tarjei Vesaas. D’œuvre en œuvre, son écriture n’a cessé de se chercher, de se transformer ; elle ne s’est jamais fossilisée dans un « style ». On a l’impression que pour lui, chaque œuvre nécessitait l’invention d’une nouvelle langue ».

Cette citation est de Claude Régy, extraite d’un entretien retranscris dans le dossier de présentation du spectacle. Mais le format de « La barque le soir » était connu d’avance : un texte dit de façon monocorde. Un comédien fixe (Yann Boudaud), esquissant quelques mouvements pour entraîner vers le haut les mots qu’il distille. Très peu de lumière, un trait furtif sur le visage du comédien. Et du silence, beaucoup de silence, une dizaine de seconde entre deux idées parfois. Où est le renouveau ? Comment ne pas croire à la « fossilisation dans un style ? » de la part de Régy ?

Ces procédés qui ont révolutionnés leur temps (le metteur en scène les utilise depuis des dizaines d’années), ont-ils encore un écho moderne aujourd’hui ? Tout ce qu’il se passe sur scène est connu du public averti, il n’y a plus de surprise.

D’un côté sont réunis les passionnés, connaisseurs du personnage, convaincus avant même d’entrer dans le théâtre et qui apprécieront la prestation quoi qu’il arrive. Comme lorsqu’on va déguster son plat favori : on ne le découvre plus, mais le plaisir est là à chaque fois. Et puis il y a les autres, ceux qui sont dans l’attente de voir du neuf, ou qui (cela peut arriver) ne connaissent pas bien le travail de Claude Régy, ou tout simplement qui y sont hermétique. Pour ceux-là, le voyage s’avère difficile.

Ici le texte est une métaphore de la vie qui s’arrête, sombre et vivote encore un peut à la surface de la rivière du monde. Elle respire péniblement à travers le comédien, touche le fond puis remonte… Les mots sont poétiques mais difficile. Notre imagination a non seulement le temps de naître entre les phrases, mais elle a également le temps de nous échapper. Cette sensation est d’ailleurs assez étrange, le temps ne semble pas long durant la pièce, ce n’est pas l’ennui qui apparaît, c’est juste notre esprit qui s’en va. On pense au week-end, à nos lectures ou bien à la vie en général, comme lorsqu’on est assis dans une rame de métro. « La barque le soir » est un excellent moment de lâcher prise, où notre esprit peut complètement divaguer. Certain font de la médiation, d’autre regardent du Claude Régy.

Yann Boudaud chuchote les mots comme un mourant. Ou plutôt comme quelqu’un que l’on interroge pendant son sommeil et qui répond la bouche à demi-ouverte, pensant ne parler qu’à soit-même. Souvent même, on n’entend pas des pans entiers de textes, ce n’est pas très grave car pendant ce temps, notre imagination occupe le vide.

Cette expérience pourrait s’avérer intéressante. Seulement si nous (le spectateur peut sensible à toute cette mise en scène), ne nous sentions pas prisonnier du sanctuaire dans lequel nous installe le créateur. Avant même le début du spectacle, il est interdit de parler, et durant la représentation, on n’ose à peine bouger de peur de gêner le cérémonial. Le comble : on se sent pris au piège.

Claude Régy est un homme important dans le théâtre Français, un artiste de génie. Mais qui dans cette création semble être arrivé à une limite. Réduit à faire ce que le public qui le connaît attend de lui, comme de la bonne cuisine, délicieuse pour ceux qui l’aime, mais qui n’a plus rien de surprenante.

Pratique : Dans le cadre du Festival d’Automne, jusqu’au 3 novembre au théâtre de l’Odéon (Petite salle des Ateliers Berthiers), 38 boulevard Berthier (17e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44 85 40 40 ou sur www.festival-automne.com/ / Tarifs : entre 14 € et 30 € (plein tarif) – Relâche le lundi.

Durée : 1 h 20

Texte : Tarjei Vesaas (édité chez « Corti »)

Mise en scène : Claude Régy

Avec :  Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian

Tournée :

  • Du 13 au 24 novembre 2012 au Théâtre National de Toulouse et Théâtre Garonne
  • Du 5 au 8 décembre 2012 à la Comédie de Reims
  • Du 18 au 25 janvier 2013 au CDDB – Théâtre de Lorient
  • Du 6 au 15 février 2013 au Centre Dramatique National d’Orléans-Loiret-Centre



« L’enfant », terrible drame rural

Copyright : Guillaume Lavie

 

Pour imaginer cette création, Carole Thibaut s’est installée en résidence à Saint-Antoine l’Abbaye, commune de l’est de la France en 2009. Un village comme il en existe des milliers. A partir de témoignages reçus, elle crée son décor, une fiction où elle dénonce à quel point l’immobilisme des « honnêtes gens » (au sens auquel l’entendait Brassens), peut conduire aux pires horreurs. Ce texte est le premier volet d’un vaste projet baptisé « Les communautés territoires ».

L’Enfant – Drame rural part d’une métaphore biblique, celle de la destruction de Sodome (qui a été détruite, non pas pour le péché de sodomie qu’on y pratiquait comme il est courant de l’entendre, mais pour le mauvais traitement fait à des étrangers de passages, contrairement à la coutume antique de l’hospitalité). Ici, un enfant est abandonné de bon matin au pied de la ferme la plus isolée d’un village de l’Isère. Ses occupants (une idiote et son père) ne peuvent le garder et le confient au maire, qui le confie à sa sœur qui demande à sa femme de ménage d’en prendre soin. Au final, l’enfant se trouve à nouveau chez l’idiote, qui s’enfuira avec lui pour éviter qu’on ne le lui prenne de nouveau.

Tout au long de l’intrigue, on suit l’Enfant de main en main, le spectateur entre donc dans chaque foyer. Se retrouve du bon côté de la porte pour observer ce qu’il se déroule dans le salon des habitants, dans leur intimité, jusque dans les moindres détails du mobilier… Comment peuvent-ils être monstrueux au point de ne pouvoir garder un bébé quelques heures ? Finalement l’Enfant est prétexte à une fresque effroyable par sa vérité. On est effaré de ce que peut faire l’humain par égoïsme ordinaire. Et bien que ce thème paraisse évident, la façon dont il est montré est particulièrement étonnante.

De belles lumières, un dispositif scénographique ingénieux (qui ressemble à celui de « Ma chambre froide » de Pommerat) et une bande son nous plaçant dans un espace temps radicalement bouleversant font de ce drame un portrait qui semble terriblement réel. Monstrueusement réel. Sans pour autant tomber dans le réalisme gorgé de larmes et d’angoisses. Carole Thibaut a créé un monde dans l’écriture, elle arrive très bien à le faire rejaillir théâtralement, avec une pincée de cynisme grinçant bienvenue.

La création dure 2 h 15, et pourtant elle s’arrête au bon moment, à aucun instant cela ne semble long. Et elle réussit la prouesse de ne pas tomber dans la tragédie sanglante inutile. En choisissant de faire narrer la fin du drame à l’Enfant, elle ne se préoccupe pas de faire mourir chacun de ses personnages, elle se contente juste de nous montrer leur chute, leur vie en somme.

Les acteurs sont tous excellents dans ces rôles, bien marqués et, une fois de plus, tellement crédibles. Ce drame rural ne touche pas que ses protagonistes. Il est affreusement universel.

Pratique : Jusqu’au 27 octobre au théâtre la Tempête, La Cartoucherie de Vincennes, Route du Champ-de-Manoeuvre (75012, Paris) – Réservations par téléphone au 01 43 28 36 36  ou sur www.la-tempete.fr/ / Tarifs : entre 12 € (étudiants, chômeurs) et 18 € (plein tarif) – Du mardi au dimanche.

Durée : 2 h 15

Texte et mise en scène : Carole Thibaut

Avec :  Marion Barché, Thierry Bosc, Eddie Chignara, Sophie Daull, Emmanuelle Grangé, Donatien Guillot, Fanny Santer, Boris Terral.

Tournée :

  • Le 8 novembre, ATP de Millau
  • Le 10 novembre, ATP de Dax
  • Le 13 novembre, ATP d’Aix-en-Provence
  • Le 14 novembre, ATP d’Avignon
  • Le 16 novembre, ATP de l’Aude, Pennautier
  • Le 20 novembre au théâtre Roger Barrat, Herblay
  • Le 22 novembre, ATP d’Uzès
  • Le 24 novembre, ATP de Nîmes
  • Le 27 novembre, ATP d’Epinal
  • Le 30 novembre à l’Apostrophe, Scène Nationale de Cergy-Pontoise
  • Le 8 janvier, ATP d’Orléans
  • Le 18 janvier, ATP de Roanne
  • Le 22 janvier, ATP de Poitiers
  • Le 1er février à la Ferme de Bel Ebat, Théâtre de Guyancourt
  • Le 16 avril, ATP de Lunel
  • Les 27 (ou 28) juillet au festival « Textes en l’air » de Saint-Antoine l’Abbaye