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Le Cid, drôlement classique

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Écrit et présenté pour la première fois en 1637, Le Cid s’est imposé comme l’un des grands classiques du répertoire théâtral français dont Jean-Philippe Daguerre s’est emparé pour en proposer une mise en scène soignée et comique, qui laisse une belle place aux aspects tragiques de certaines situations de ce texte en alexandrins.

Sans aucun décor sinon la présence d’un blason déplié en fond de scène devant lequel jouent deux musiciens, le metteur en scène a misé sur la déclamation du texte et des costumes d’époque rouges de très belle facture, qui d’emblée indiquent un spectacle de qualité que le jeu des acteurs vient rapidement conforter. Comme enveloppés par une création sonore très appréciable composée par Petr Ruzicka et jouée par lui-même et Antonio Matias, les comédiens ont été dirigés dans un souci d’occupation de l’espace rythmée et soignée. Ils traversent et la scène, et le public, tout en  jouant dans les loges latérales. Dans leurs rôles, tous sont d’une justesse remarquable, ils n’en font jamais trop tout en se permettant quelques écarts très cocasses. Si cette mise en scène a tout d’un bon classique, quelques éléments dénotent à souhait, comme la dérision jetée sur le Roi qui a tout l’air d’une petite marionnette tout droit sortie d’un dessin animé. Grossi, serré dans son costume trop petit et plein de défauts de prononciation dès lors qu’il ouvre la bouche, il n’en finit pas de faire rire et d’ajouter beaucoup de comique au tragique de certaines scènes.

Sans grande prétention, ce spectacle plein de bonnes intentions nous livre aussi de très belles images comme les nombreux combats de sabre qui n’ont rien de ridicule tant ils paraissent maitrisés et occupent bien l’espace. Le Cid ainsi présenté s’adresse alors volontiers à un jeune public friand de situations chevaleresques liées à cette pièce faite d’amours et de vengeances, ici soignée par une troupe convaincante et drôlement classique.

« Le Cid », de Pierre Corneille, mise en scène de Jean-Philippe Daguerre, du 14 septrembre au 15 janvier 2017 au Théâtre du Ranelagh, 5, rue des Vignes, 75016 Paris. Durée : 1h40. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-ranelagh.com




« Polyeucte », fantatique historique

Photo : Mirco Magliocca
Photo : Mirco Magliocca

On se souvient des très rythmés « Nicomède » et « Surena » de Corneille et déjà mis en scène par Brigitte Jacques-Wajeman. Pour « Polyeucte », elle garde le même type de scénographie – un immense bloc mobile – mais prend le parti d’une direction d’acteurs plus sobre et centrée sur le vécu des personnages.

Polyeucte est l’époux de Pauline, fille du gouverneur romain d’Arménie, Félix. Le premier décide de se convertir soudainement au christianisme et mourra dans la journée – règles d’unités oblige – de son intransigeance religieuse. Sa femme, Pauline, essayera de le sauver jusqu’à la fin, elle se convertira après sa mort, baptisée par son sang. Tout cela sur fond d’intrigue politique et méfiance de la part de Félix, vis-à-vis de Sévère, que tous le monde pensait mort et qui est miraculeusement ressuscité.

Cette pièce est consacrée aux questions religieuses, mêlée et magnifiée par la violence des sentiments. Dans les liens qui nouent les personnages, des volontés supérieures interviennent, jusqu’à causer l’inévitable.

Le constat est récurrent, mais encore ici il s’impose : l’actualité des textes de Corneille – non pas prophétique mais simplement humaine – est encore brûlante ici. On ne doute pas que Brigitte Jacques-Wajeman invite à réfléchir à la figure du martyre et la volonté qui conduit à mourir par fanatisme, récurrente dans l’histoire de l’humanité. L’urgence du propos et son importance sont soulignés par l’esthétique épurée et les contrastes manichéens de couleurs (blanc, noir, rouge, bleu, gris).

On écoute Pauline, qui dans la scène 3 de l’acte III clame :

« Vous devez présumer de lui comme du reste :
Le trépas n’est pour eux ni honteux ni funeste ;
Ils cherchent de la gloire à mépriser nos dieux
Aveugles pour la terre, ils aspirent aux cieux ;
Et, croyant que la mort leur en ouvre la porte,
Tourmentés, déchirés, assassinés, n’importe,
Les supplices leurs sont comme à nous les plaisirs,
Et les mènent au but où tendent leurs désirs ;
La mort la plus infâme ils l’appellent martyre. »

Tout est dit. Le phrasé brisé, moderne, rend le texte limpide. La splendeur de la langue française ne tient décidément pas dans un seul accent circonflexe : il en faudra encore beaucoup pour dénaturer Corneille. Pris dans l’histoire, on accepte même le dénouement « quelque peu modifié » de la tragédie, car selon la metteure en scène, « Corneille ne s’en privait pas ». C’est certainement par cette volonté d’être sans cesse compris par son public, et le travail soigné de Brigitte Jacques-Wajeman, que l’auteur contemporain de Molière garde encore toute sa puissance en ce théâtre des Abbesses.

« Polyeucte », de Pierre Corneille, mise en scène de Brigitte Jacques-Wajeman, jusqu’au 20 février 2016 au Théâtre de la Ville – Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, 75018 Paris. Durée : 2h. Plus d’informations et réservations sur www.theatredelaville-paris.com.