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[Théâtre] Quand l’amour part en Sandre

© Pierre Planchenault

Ultime volet du cycle « À la vie, à la mort », Sandre de Solenn Denis est une sévère claque qui ne manque pas de sublime. En ce froid de fin-mars, La Maison des Métallos accueille un théâtre de l’horreur absolument glaçant. L’enfant, le couple, la famille sont abordés dans cette pièce sous un jour terrible. Et c’est Erwan Daouphars qui, à la place d’une femme, nous livre le monologue d’une mère déchue.

Assise dans son fauteuil, elle semble tourmentée. C’est ainsi que débute la confession distraite d’une épouse désenchantée. Des expressions changeantes, des faces terrifiantes, voilà ce qui donne vie à un texte conçu comme une balade dans un flot de souvenirs. Cette femme parle de sa vie, de son couple et découvre par ses propres mots qu’elle n’est plus heureuse. Elle semble se l’avouer à l’instant même où elle narre les préceptes de sa mère qui jusqu’ici l’ont guidés : bien nourrir son homme, s’occuper des enfants, être toujours patiente et surtout prendre sur soi…

À de nombreuses reprises la lumière modifie la tessiture de sa voix ainsi que le registre de ses expressions : on entre dans le regret, dans l’angoisse, la démence lorsque le désenchantement fait descendre la pression. Sans jamais s’épancher, parfois presque ironique elle tente de se comprendre, et de nous faire entendre un parcours embusqué. Mariée, deux enfants (et certainement pas trois) elle apprend comme bien d’autres, que son mari la quitte pour sa secrétaire, pour une fois plus âgée. Anesthésiée dans son corps depuis qu’elle a commis le pire crime de notre temps, le spectateur peut se pencher sur un cas de conscience qui fait tout basculer.

« Chaque chose en son temps », c’est le rythme de l’intrigue. On se demande avec elle, embarqué d’empathie, comment une ménagère de moins de cinquante ans commet l’irréparable pour cesser d’exister. Rien n’est dit à l’avance, on ne soupçonne pas trop tôt de quel crime il s’agit et lorsque l’on comprend le noeud de son histoire, le dénouement arrive sans se faire trop attendre.

Bien installée dans sa chaise elle s’emporte violemment et semble en fin de compte se saisir d’elle-même. Fin des lapalissades sur l’amour d’une épouse, elle crache à son auditoire des anecdotes ciblées qui valent comme explication du meurtre de son enfant. À mesure qu’elle se livre elle se vide d’un fiel dégoulinant de sa bouche. Elle bave désormais, tout en noir à l’image des mots qu’elle choisit de projeter à la face d’un certain archétype du bonheur conjugal. Heureusement pour la salle, la tempête se calme, elle s’essuie, se reprend et tente de se rassurer. Elle termine son récit dans un calme éreintant, tant pour le comédien que pour les spectateurs qui de concert hésitent entre rire et pleurer.

 

« Sandre » mise en scène de Solenn Denis, avec Erwan Daouphars
Durée 1h
Plus d’informations sur : http://www.maisondesmetallos.paris/2018/01/05/sandre

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[Cinéma] Call Me by Your Name

© Sony Pictures Classics

Dans une maison d’été en Italie du nord, Elio Perlman profite de son jeune âge ainsi que des beaux jours, pour lire, se languir, et découvrir son corps. La dernière création de Luca Guadagnino nous emmène, paisible, à l’aube d’un amour aussi doux que poignant. Le film n’a obtenu que l’Oscar de la meilleure adaptation, il méritait un peu mieux.

Avec grand raffinement, on entend résonner quelques notes de Bach, des portes qui se ferment et des pieds humides marchent sur la tomette fraîche. Repas et discussions s’enchaînent et s’entremêlent pour qu’une tension grisante se ressente dès les premiers instants. Deux garçons vont s’aimer, mais avant ils se cherchent. Le plus jeune se surprend attiré par les hommes, tandis que son aîné se frotte à l’inédit. Peut-être est-ce la langueur de la douce Lombardie qui fera que ces corps s’enflammeront mutuellement ? Ou bien est-ce la chaleur de l’été du bel âge qui permet à ces coeurs de s’aimer l’un et l’autre…Peut-être un peu des deux.

Elio Perlman apprivoise sans vraiment le vouloir la rudesse apparente d’un collègue de son père. Grand blond et élégant, Oliver est charmant mais s’interdit sans doute à séduire de front le bel adolescent. On assiste envoûté à l’exploration des corps, l’éveil d’une chair grisée par le soleil dans une quête de l’extase. Pourtant ce n’est pas de sexe dont nous parle ce film, mais de sensualité. Les deux hommes se frôlent. La connivence est telle que le spectateur peut, s’il se laisse embarquer, brûler dans son fauteuil.

D’aucuns pourraient s’attendre à une fade reprise d’un Blé en Herbe (Claude Autant-Lara, 1954) mais ils verront seulement une adaptation géniale du roman éponyme de André Aciman (2007). Une étreinte dans la grange, une sieste ombragée, des fruits mûrs dans les arbres, tout peut sembler « cliché » pourtant il n’en est rien. Dans chaque plan, chaque image la jouissance est de mise et installe le génie du réalisateur. La bande originale entretient les émois d’amants qui brûlent l’un pour l’autre dans de grands moments qui frôlent le sacré…

Ce qui est délicieux c’est aussi le mystère, car on ne sait déceler à quel moment commence la parade amoureuse de ces beautés antiques. Les personnages se meuvent, dans une bâtisse bourgeoise aux fenêtres grandes ouvertes à l’image des passions. Tout est beau, rien n’est faible, pas même l’ultime échange entre Elio et son père, sur l’amour d’homme à homme, ou la simple amitié. C’est en images suaves et par des mots délicats, empruntés au français, à l’italien, l’anglais,  que l’on peut pénétrer dans ce récit adroit d’une liaison torride. Une caresse en somme.

« Call Me by Your Name » de Luca Guadagnino, sortie au cinéma le 28 février.

Scénario : James Ivory

Elio Perlman : Timothée Chalamet (Nommé pour l’Oscar du meilleur acteur)
Oliver : Armie Hammer (Golden Globe du meilleur acteur dans un second rôle)
M. Perlman : Michael Stuhlbarg
Annella Perlman : Amira Casar
Marizia : Esther Garrel
Chiara : Victoire du Bois

 




[Cinéma] Moi, Tonya

© Mars Distribution

Courte mais intense, la carrière de la patineuse Tonya Harding inspire tumulte et violence au réalisateur Craig Gillespie (Une Fiancée pas comme les autres ou The Finest Hour). Si Moi, Tonya ne semble ni savoir où aller ni quoi nous dire, c’est peut-être pour coller à l’image d’une héroïne paumée.

Tonya Harding c’est d’abord une petite fille qui ne se remettra jamais du départ de son père, elle se crèvera d’entraînement pour la seule chose qu’elle sait faire : patiner. Adolescente en lutte éternelle contre elle-même, elle va quitter très tôt une maison toxique. Malmenée par une mère qui la frappe, la rabaisse, elle se barre à quinze ans, barbelé sur les dents avec un mec violent qui la cogne, lui aussi. Si elle sait se défendre avec son effronterie, elle maquille ses bleus dont elle a tant besoin. On la bat et cela la booste, elle rappellera même Jeff, devenu son ex-mari, la veille d’un championnat, tant elle a besoin de coups pour se remotiver.

Mais pour qu’un scénario patine si lourdement, c’est qu’entre portrait, enquête, psychologie de comptoir ou simple tranche de vie, on ne sait pas où cela va. Qu’est-ce qu’un biopic qui balaie en trois dates et pas plus de scènes sur la glace, une carrière si houleuse ? Même si Margot Robbie excelle autant sur des patins que dans les baskets de la championne, l’histoire est trop brouillonne et part dans tous les sens. Sur une pseudo-rythmique d’allers-retours maladroits entre interviews de l’athlète et immersion dans son couple, le spectateur peut se perdre dans un film incomplet. L’envie irrépressible de trouver un documentaire sur la vie de la vedette peut être dérangeante car malgré le titre qui emphase sur le « moi » de Tonya, c’est plutôt sur le reste que la camera se braque. On sort peu renseigné de cette biographie satisfaite de la facette badass du personnage Harding.

L’explosion de sa carrière occupe à peine l’espace dans deux heures assez longues. Cinq minutes à l’écran pour ce coup de matraque qui secoua le monde du sport ainsi que toute la presse. Cela semble un poil court pour « l’affaire Harding-Kerrigan » que l’on ne présente plus, mais surtout mal jaugé pour l’instant fatidique qui fit basculer toute entière la vie d’une championne. Depuis qu’elle a trois ans elle s’exerce sur la glace mais c’est sur à Lillehammer qu’elle patinera hélas pour la dernière fois. Retour en 1994 quand les JO d’hiver se déroulaient en Norvège et que Tonya Harding amorçait son épreuve : le fameux programme court. Celle qui fut la première, femme et américaine à réaliser un triple axel est sous une pression monstre. Un lacet qui la gêne, elle demande au jury une seconde chance sur la piste : ils acceptent mais elle chute, et à plusieurs reprises. Dommage que Gillespie n’ait fait que survoler ce passage crucial… Trop déstabilisée par les soupçons qui pèsent sur elle et son entourage à propos de l’attaque de Nancy Kerrigan, adversaire éternelle, elle finira 10e. Alors que sa rivale blessée six semaines plus tôt décroche sur le podium la médaille d’argent, Harding est détrônée mais aussi démasquée comme complice dans cette histoire de coup-bas aux vestiaires.

Sans grande surprise alors un spectateur peut facilement se laisser aller à moult rebondissements. D’autant que le réalisateur ne manque pas de faire de l’humour, mais cela ne suffit pas pour que le film se tienne. Néanmoins on comprend, par un formidable finish, que la danseuse brutale va se reconvertir. Peu svelte sur la glace elle sautille sur un ring puisqu’elle choisit la boxe. Petite fille battue mais pas des moins robustes, on saisit (bien trop tard!) une femme inébranlable, et la boucle est bouclée.

« Moi, Tonya » de Craig Gillespie, sortie au cinéma le 21 février 2018

Tonya Harding : Margot Robbie (sélectionnée pour l’Oscar de la meilleure actrice)
LeVona Fay Golden : Allison Janney (Golden Globe de la meilleure actrice dans un second rôle)
Jeff Gilooly : Sebastian Stan

 




[Théâtre] Quills

© Stéphane Bourgeois

Guérir de ses désirs est-ce bien chose possible ? Le texte de Doug Wright détourne la question, convoquant la sagesse du Marquis de Sade. Et c’est inhabituel pour ce fin philosophe machinalement rangé dans la case « libertin ». Le terme prend tout sens et se voit amplifié par une mise en scène signée Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage. Avec charme et ivresse, il est donné à voir qu’au travers les époques, toutes les anatomies recèlent des mêmes envies.

Quelle est la part mentale dans la vue, les croyances, les désirs qui gravitent autour de notre chair ? Si le XVIIIe siècle se pose mille questions, Sade l’a fait plus fort et Quills le lui rend bien. Imaginer un corps comme une enveloppe charnelle, voilà qui est accessible. Entre autres certitudes, un corps cela se sent. On peut le voir aussi, en construire une image puisque l’Homme est capable de se représenter. Sondant l’esprit humain, cette création pénètre sans égards inutiles dans ses recoins terribles. Mais le siècle éclairé traverse une contrainte, celle de la société, citoyenne, civile et également coquine… Toutes les rues de Paris n’étaient pas faite d’orgies, bien que de libres plumes l’imaginèrent ainsi. Sade fût de celles qui, explorant les tréfonds des bassesses corporelles, décrivit nos fantasmes. Panel des penchants, même des plus enfouis, références au vulgaire voire à l’ignominie, les écritures de Sade sont proposée en purge des humeurs et des foules.

Littérateur des vices, il couche sur papier, sur ses murs de prison, sur ses draps, ses vêtements, tout ce qui sous son crâne fait bouillir ses membres. Sur scène Sade est ferré, détenu à Charenton. Ses geôliers à tout prix vont tenter de faire taire cet être jugé fou, qui avait eu l’éclair des troubles de son âme. Malicieux et mesquin il charme tant qu’il peut les personnes qui l’entourent, tâchant de supporter l’enfermement contraint. Or la ruse tourne court, on empêche bientôt un confort bien spécial à ce détenu à part. Faute de résultats dans la cure de ses maux, l’asile de Charenton s’acharne pour faire guérir cet homme pourtant si sain. Mais le Marquis tenace, profondément obscène, ne pourra s’empêcher d’extraire de sa tête ce qu’il lui faut écrire. Et lorsqu’il ne le peut plus, privé de tout moyen de son expression, il utilise les gens à sa disposition. Alors l’abbé en charge de sa guérison, épuisera sa foi ainsi que sa droiture. À force de se prescrire d’un devoir divin d’éradiquer un mal impossible à sonder, le dévot sombrera de l’issue de ses péchés. S’engage sur les planches l’atrophie d’un corps nu, celui du prisonnier qui encaisse la torture, suggérée subtilement, par de vrais beaux moments.

Sade manipule le vice, l’insinue dans les chairs, défendant l’athéisme au sein d’une société encore clouée à Dieu. Pierre-Olivier Grondin, dans la peau du Marquis, révèle avec finesse et un charme irradiant l’habile philosophe cherchant certes à jouir, mais peut-être encore plus à trouver le bonheur pour lui et ses semblables. L’essence même de Sade se vit dans un décor extraordinairement juste, perspicace et tranchant, manipulé de sorte qu’il passe du libre au clos. Les portes s’ouvrent et se ferment, exploitant par moment la transparence des murs pour laisser libre cours à des vues de l’esprit, sensuelles et électriques. La scène offre à la salle l’étude d’un être entier, mal assorti en somme, aux temps qui l’ont fait naître.

« Quills » de Doug Wright, mise en scène et espace scénique signés Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage.
Durée 2h20.
Plus d’informations sur : http://www.colline.fr/fr/spectacle/quills 

 

 




[Théâtre] Andromaque, les héritiers

© Denis Gueguin

Éclatement des lieux, éclatement des esgourdes, cet Andromaque s’échoue entre humour et sérieux. Damien Chardonnet-Darmaillacq, met grossièrement en scène cette pièce de Racine qu’il créé cette année au Phénix de Valenciennes. Andromaque, les héritiers, spectacle compliqué, occulte malheureusement les nuances de l’oeuvre. Rien ne circule alors sur ces planches encombrées. Jusqu’au 10 Février, au Théâtre de la Cité internationale. 

La première parisienne a-t-elle connu des problèmes techniques qui auraient rendu floue notre écoute ? A l’image de Pyrrhus, fils de l’illustre Achille, tant souverain d’Épire que geôlier d’Andromaque, qui a le souffle coupé par un micro qui « bug ». Sa voix porte haut, certes jusqu’à la chambre haute de cette captive qu’il aime, mais sa mâchoire fatigue au terme d’une scène et demie… Il n’articule plus, on entend plus les vers. La faiblesse du recours à la technologie trahit dans l’incident, des voix qui finalement, se suffisent à elles-mêmes. L’option « modernisation » n’est pas au point. Et si cela ne suffit pas pour prouver qu’il s’agit d’un outil maladroit, convoquons là Oreste, le fils d’Agamemnon, qui grésille atrocement lorsqu’il hausse le ton. L’ambassadeur des grecs bousille les enceintes ainsi que les tympans de la salle toute entière.

Comment souscrire d’ailleurs aux fureurs et folies de cet amant transit d’Hermione ? La rage d’Oreste explose à peine dans de tristes mouvements, complètement coincé dans son blouson de cuir. Définitivement ce n’est pas mieux sans veste, il gigote nerveusement sur une scène rétrécie. Il y avait de l’idée à segmenter l’espace par région et par villes, mais c’est trop compliqué. Les comédiens bloqués par toutes sortes d’obstacles, malheureux symboles fixes des cahots intérieurs, figurent l’engoncement. Dans une absence de rythme, la hausse ponctuelle des décibels n’y fait rien. Le numéro de l’acte en cours, froidement projeté sur un rideau, rappelle d’un clin d’oeil lourd que l’on est au théâtre… Chronomètre de l’ennui un spectateur peut, sans rien rater, s’amuser à couper deux heures en cinq pour savoir où il en est.

Pyrrhus assassiné, la chute s’annonce enfin pour évoquer fureur et désespoir. Adulée par Oreste, Hermione l’indécise fustige ce dernier une fois qu’il accomplit la tâche qu’elle-même avait manipulée. Vient alors une tambouille autour de la folie d’Oreste, mélangeant tous ensemble clips crades et insensés ainsi qu’une musique toujours trop véhémente. Le bruit empêche le verbe, le drame est inaudible. Cet Andromaque ne donne rien, et c’est revendiqué.

Pas partageur ? Dommage… « L’amour n’est pas un feu qu’on enferme en une âme ». Il n’en demeure pas moins que cela tourne au grotesque, voire même à l’opaque. Andromaque la pauvre, jolie mais monocorde, manque de densité. Cléone, une suivante confidente d’Hermione, pourrait sauver la pièce ainsi que toutes ses femmes et leurs beaux paradoxes. Mais son genre l’en empêche, puisqu’on en fait un homme ! Et Hermione transsexuelle, cela semble un choix net, sauf qu’une fois validée pourquoi moquer l’idée ? C’est triste d’en vouloir rire, au XXIe siècle, et signifier par là qu’une femme inflexible devrait cacher un homme. Pas de demi-mesure, pas de subtilité, peut-être que ce casting n’aime résolument, ni Racine ni les femmes ?

« Andromaque, les héritiers » d’après Jean Racine, mise en scène par Damien Chardonnet-Darmaillacq. 

Durée 1h45. Plus d’informations sur : http://www.theatredelacite.com/programme/damien-chardonnet-darmaillacq 




[Théâtre] Les Soldats & Lenz

© Le Festin – Cie Anne-Laure Liégeois

Il y a quelques semaines la compagnie du Festin dévoilait à Nantes sa dernière création, et la voilà passée au Théâtre 71 situé à Malakoff. Avant une grande tournée, Anne-Laure Liégeois livre aux spectateurs franciliens Les Soldats & Lenz, deux pièces quasi en une, de Lenz et de Büchner. Si Les Soldats suit le parcours tourmenté d’une jeune femme victime de ses désirs, c’est aussi le récit d’une société réglée par d’étroites conventions. L’œuvre prend de l’ampleur et se voit prolongée par le Lenz de Büchner, traverse initiatique tout à fait saisissante dans l’esprit tourmenté de l’auteur des Soldats.

Marie est une jeune femme qui découvre les hommes, ainsi que son désir. Inversons donc les lettres de ce prénom biblique afin de la décrire et l’ériger en « A-I-M-E-R », puisqu’elle ne veut que cela. Tout à la fois candide, terrible et provocante, elle lèvera un voile que son éducation avait mis sur les hommes. Elle séduit, s’en délecte, puis découvre à quel prix… Tout au long du spectacle qu’elle offre aux soldats, prédateurs insatiables de la caserne voisine, elle est une proie facile. Le fameux, mais subtil, « théâtre dans le théâtre », l’abandonne en pâture aux regards de ces hommes, sous les yeux d’une salle encore éclairée. Puis le foyer s’éteint et le texte devient sombre, avec pour toile de fond l’élite inaccessible par ascension sociale. La scène vomit alors aristos prétentieux et baronnes délurées. Au milieu de cette faune d’humanités vicieuses, c’est Elsa Canovas (Marie), irradiante et subtile, qui souffle la douceur de cette fille inconsciente. Fidèle à ses marottes, Anne-Laure Liégeois questionne sans tabous ni excès, le sexe et la violence : c’est trash mais pas gratuit alors c’est réussit. Pertinentes et sincères, les plusieurs scènes de viol sont infailliblement au service du propos, éminemment féroce.

Alors que les lueurs se rallument un instant, le décor s’allège et laisse place à Lenz. Olivier Dutilloy et Agnès Sourdillon donnent à ressentir ce texte de Büchner, autopsie frénétique de J.M.R. Lenz, dramaturge tourmenté et auteur des Soldats. Et c’est en sweat-basket que les deux interprètes s’empareront des planches, traçant par leurs cent pas la ligne imaginaire de la largeur de scène. Allers-retours terribles comme « tempête sous un crâne », on plonge dans le récit d’une nuit de janvier, dans la neige et dans l’eau où Lenz s’est tué. Tour de force corporel, les mouvements exacts de ces deux comédiens, ponctuent un texte amer, diagnostic douloureux de la folie d’un homme. Tout résonne et fait sens. L’usage des micros permet à chaque soupir d’accrocher le public, en miroir duquel se tiennent sept comédiens, assis en face de nous, à l’arrière de la scène. Néons braqués sur eux, parfois on les regarde, souvent on les ignore. Fantômes indélébiles du drame précédent, ils semblent immobiles mais cependant ils bougent au rythme ralenti d’une conception sonore habile et étincelante, signée François Leymarie.

Manœuvrés tous ensembles pour s’adresser aux sens, les outils du théâtre sont maniés de telle sorte que l’on se laisse faire. D’un drame social sublime à l’histoire ténébreuse de son compositeur, le spectacle est un tout. Jamais pris à parti, le spectateur est libre de vagabonder de l’œil ainsi que de l’esprit. Divaguant dans son coin sur Dieu, sur l’art, sur l’homme, il se saisit des thèmes de ces textes portées hauts par l’harmonie géniale de cette adaptation.

« Les Soldats & Lenz » d’après JMR Lenz, traduction adaptation et mise en scène de Anne Laure Liégeois. Durée 3h10, plus d’informations sur : http://www.lefestin.org/fiche_spectacle.cfm/272420-6813_les-soldats–lenz.html

 

 

 

 

 




[Critique-Théâtre] « Aigle à deux têtes » pour acteurs sans direction

« L’Aigle à deux têtes » nous fait prendre le chemin du Théâtre Le Ranelagh d’abord pour l’affiche : Alexis Moncorgé y tient l’un des principaux rôles. Mais le lauréat 2016 du Molière de la Révélation masculine (justement remporté pour « Amok ») se retrouve fauché dans son envol, empêtré dans un spectacle où ni son talent, ni celui des autres acteurs, n’ont de place pour s’exprimer.

Quelle idée de ressortir ce drame médiévo-socialo-romantique de Jean Cocteau, monté sur mesure pour un Jean Marais au sommet de sa gloire (on est en 1949) ? Cette intrigue, très librement inspirée de la mort du roi Louis II de Bavière, montre la rencontre improbable entre la veuve du roi (Delphine Depardieu) et un poète anarchiste qui cherche à l’assassiner (Alexis Moncorgé). L’un comme l’autre se redonneront goût à la vie pour mourir en même temps, évidemment.

Pour ne rien arranger à l’ennui de cette histoire, les acteurs la jouent – on l’imagine ! – comme à sa création : dans un premier degré inouï de candeur dégoulinante. La mise en scène d’Issame Chayle ne permet aucune distance : l’histoire se déroulant dans un château du XIXe siècle, les costumes, les draperies, l’éclairage à la torche, tout est là « pour faire comme ». Aucune réflexion sur l’intériorité des personnages ne vient donner de corps à l’œuvre. Et pourtant, cet orage fracassant que l’on entend au début de la pièce, n’est-il pas une image des sentiments qui habitent la reine ? Rendu ici trop visible, il perd toute sa force, une évidence qui s’affirme tout au long du spectacle. L’étrangeté n’est qu’artifice lumineux, aucun personnage ne l’incarne.

N’oublions pas que deux personnes que tout sépare socialement, qui s’aiment à la folie et qui connaissent une histoire dramatique, cela peut donner « Roméo et Juliette » mais aussi « Titanic ». Malheureusement, sur le baromètre de la niaiserie, « L’Aigle à Deux têtes » ferait passer le film de James Cameron pour une réflexion complexe sur la relation homme-femme.

« L’Aigle à deux têtes », de Jean Cocteau, mise en scène d’Issame Chayle, avec Delphine Depardieu et Alexis Moncorgé (Molière de la Révélation Masculine 2016), François Nambot, Julien Urrutia, Salomé Villiers, actuellement au Théâtre Le Ranelagh, 5 rue des Vignes, 75016 Paris. Durée : 1h40. Plus d’informations ici : www.theatre-ranelagh.com




[Exposition] « Oscar Wilde. L’impertinent absolu » sous les projecteurs

Événement de la rentrée de septembre, l’exposition Oscar Wilde ne désemplit pas. Et pour cause, elle se targue d’être la première grande rétrospective parisienne dédiée à la figure du dandy. Du petit garçon irlandais à l’homosexuel persécuté, Wilde nous est présenté dans toute sa splendeur et sa décadence.

L’espace aménagé par le Petit Palais pour abriter l’exposition est relativement petit mais très densément occupé par plus deux-cents œuvres et documents divers. On y découvre tout d’abord un Oscar Wilde enfant et jeune homme, entouré de sa famille et de ses mentors dans un intérieur au papier peint qui rappelle le mouvement Arts & Crafts. A travers une reconstitution des expositions de 1877 et 1879 à la Governor Gallery, c’est Wilde critique d’art en tant que défenseur des préraphaélites qui est ensuite mis à l’honneur. La scénographie de ces premières salles plonge le visiteur dans l’atmosphère d’un XIXe siècle élégant où évolue le dandy, partisan du « Beau » et figure de proue de l’Aesthetic Movement.

Photo : Quelques écrits d’Oscar Wilde, vue de l’exposition Oscar Wilde, 28 septembre 2016-15 janvier 2017, Petit Palais, Paris. © Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris.
Photo : Quelques écrits d’Oscar Wilde, vue de l’exposition Oscar Wilde, 28 septembre 2016-15 janvier 2017, Petit Palais, Paris. © Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la ville de Paris.

Les écrits de l’esthète sous vitrines sont augmentés de citations qui tapissent les murs de l’exposition, soit en commentaire immédiat d’un tableau, « […] deux jumeaux flottant au-dessus du monde en une étreinte indissoluble. Le premier déployant le manteau de ténèbres, tandis que l’autre laisse tomber de ses mains distraites les pavots léthéens en une averse écarlate » à propos de La Nuit et le Sommeil de Pickering, soit de manière plus paradigmatique, « Tout art est parfaitement inutile ». Malheureusement, ces citations très abondantes manquent de contexte pour faire sens.

Photo : Evelyn Pickering, La Nuit et le Sommeil, 1878. © De Morgan Foundation
Photo : Evelyn Pickering, La Nuit et le Sommeil, 1878. © De Morgan Foundation

Parce qu’elle est dédiée à un critique d’art du XIXe siècle, on ne peut s’empêcher de rapprocher Oscar Wilde. L’impertinent absolu à l’exposition L’Œil de Baudelaire au Musée de la Vie Romantique.

Photo : Napoleon Sarony, Portrait d’Oscar Wilde #26, 1882. © Bibliothèque du Congrès, Washington.
Photo : Napoleon Sarony, Portrait d’Oscar Wilde #26, 1882. © Bibliothèque du Congrès, Washington.

La contemporanéité de ces deux manifestations soulève de fait des interrogations dans le petit monde de l’histoire de l’art. Certains suggèrent que notre époque est à la recherche de grands hommes, d’autres soulignent le regain d’intérêt pour la critique dans la recherche universitaire, mais ne seraient-ce pas justement ces deux points qui sont traités différemment ? On a vu comment le Musée de la vie romantique s’intéresse à la question de la critique et de l’univers visuel de Baudelaire, alors que les commissaires de Oscar Wilde, Dominique Morel et Merlin Holland, ont plutôt axé leur propos autour de la personnalité de l’écrivain. Vedette lorsqu’il est photographié par Napoleon Sarony aux États-Unis, intellectuel quand il fréquente Victor Hugo à Paris, et enfin décadent parce que condamné pour ses écrits indécents et ses penchants homosexuels : Wilde est finalement un « impertinent absolu ».

Quand on aime les toiles fleuries des préraphaélites, les Salomé séduisantes, les scandales d’un siècle qui ne cesse d’attiser nos imaginaires, et les fins tragiques, cette exposition a de quoi séduire, autrement, il n’est peut-être pas nécessaire d’augmenter la foule qui s’y presse déjà.

Oscar Wilde, L’impertinent absolu, jusqu’au 15 janvier 2017 au Petit Palais, avenue Winston Churchill 75008 Paris. Plus d’informations ici : http://www.petitpalais.paris.fr/




Feuilleton théâtral : semaine n°48

© Elisabeth Carecchio
« Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni » © Elisabeth Carecchio

Bientôt les vacances de Noël ? Les scènes françaises semblent ne jamais dormir et offrent chaque semaine leurs lots de surprises. Un coup d’œil sur les créations nouvelles qui tiendront l’affiche jusqu’au milieu du mois et parfois même après ailleurs en France…

Si la crise grecque paraît lointaine dans l’actualité, elle est de nouveau sur scène, aux Ateliers Berthier, mise en scène par les italiens Daria Deflorian et Antonio Tagliarini que Stéphane Braunschweig avait déjà accueilli alors qu’il était directeur de la Colline. Ils présentaient cette semaine « Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni » (« Nous partons pour ne plus vous donner de soucis »). Spectacle minimaliste où le plateau est occupé par moins d’objets que de comédiens. Ces derniers assument leur impuissance à recréer la vraisemblance d’un fait divers marquant : le suicide collectif de quatre personnes âgées en Grèce qui n’avaient plus les moyens de vivre. Ils jouent alors à chacun ce à quoi leur fait penser ce geste. Brûlant d’intensité avec des mots simples, les chanceux pourront voir une autre création du même groupe la semaine prochaine, « Il cielo non è un fondale », à laquelle je n’assisterai malheureusement pas.

Qu’il peut être difficile de voir plusieurs créations collectives à la suite, surtout si la seconde est aussi ratée que la première était réussie. Le Théâtre Silvia Monfort accueille les « Apaches » qui opèrent à une variation sur le thème de la famille sous le nom « Une place particulière ». Verbeux, trouble et sans logique – pas même absurde –, ce spectacle ne mérite pas le déplacement : tous les inspirateurs du collectif – dont le plus visible est Joël Pommerat – sont imités sans être à moitié égalés.

Autre ratage, pourtant plein de bons sentiments : la Pièce d’actualité n° 7 à la Commune d’Aubervilliers. Cette invitation faite à la Revue Éclair à faire s’exprimer les « gens d’ici » sur scène (comprenez, les habitants du 9-3), permet au plateau de la petite salle du théâtre d’être transformée en tatami géant pour jeunes lutteurs s’entraînant. Pendant que Corine Miret débite un texte parfumé d’exotisme de bon aloi, le niveau de bons sentiments qui s’en dégage est tellement abject qu’on imagine son personnage faisant partie de ceux qui « adorent Barbès », mais se plaignant des vendeurs à la sauvette. Les mêmes qui suivent les sentiers touristiques au mois d’août et se plaignent qu’il y ait du monde. Ce spectacle montre la fracture sociale avec une lumière crue. Ce petit scandale se poursuit jusque dans les cuisines du théâtre où pour se sustenter avant la représentation, comptez 14,50 euros pour un croque-monsieur et deux boissons sans alcool : des tarifs que même les théâtres intra-muros n’oseraient pas pratiquer, et qu’on imagine peu convenir aux « gens d’ici ».

Zvizdal
Zvizdal

Le week-end s’est déroulé sous de meilleurs auspices : au 104, j’ai assisté à la nouvelle création du collectif en résidence, Berlin. Nommé « Zvizdal », il est un objet scénique composé d’un écran et de trois maquettes. On y observe la vie des deux derniers habitants d’un village de la zone interdite autour de Tchernobyl. Loin des sentiers catastrophistes habituels, la vie est ici mise en valeur. Cette volonté coriace de Nadia et Pétro qui vivent en ces lieux contaminés depuis 25 ans, coupés du monde, est palpable.

Plus léger, j’ai assisté à la dernière de l’Amphitryon de Molière, mise en scène par Guy-Pierre Couleau. Le directeur de la Comédie de l’Est est, comme dans le « Songe d’une nuit d’été » que j’ai vu l’été dernier à Bussang, un magicien qui utilise de vieux dispositifs pour faire des images magnifiques. Si le texte traîne parfois en longueur, on est toujours bluffé et surpris par les effets de lumières et la direction donnée aux acteurs qui semble plus tenir de la chorégraphie que de la simple mise en espace. Avec cette histoire extraite de la Fable où les dieux viennent abuser de leur pouvoir chez les hommes, Couleau parvient à mettre de l’onirisme et nous faire rêver.

Hadrien Volle

  • « Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni », jusqu’au 7 décembre au Théâtre de l’Odéon/Berthier

  • « Une place particulière », jusqu’au 14 décembre au théâtre Silvia Monfort

  • « Pièce d’actualité n°7. Sport de combat dans le 93 : la lutte », jusqu’au 15 décembre à la Commune d’Aubervilliers

  • « Zvizdal », jusqu’au 17 décembre au 104

  • « Amphitryon », en tournée (janvier 2017 au Théâtre des Célestins de Lyon, en mars à Bagneux et en mai à Dunkerque)




« L’Œil de Baudelaire » : du romantisme à la modernité

Photo : Cabinet où sont présentées les gravures de maîtres, Exposition « L’Œil de Baudelaire », 20 septembre 2016-29 janvier 2017, Paris, Musée de la Vie Romantique. © Esther Jakubec
Photo : Cabinet où sont présentées les gravures de maîtres, Exposition « L’Œil de Baudelaire », 20 septembre 2016-29 janvier 2017, Paris, Musée de la Vie Romantique.
© Esther Jakubec

Il y a bientôt cent-cinquante ans, Baudelaire mourait. Dans une volonté de commémoration, le Musée de la vie romantique propose une exposition riche qui offre un aperçu de l’univers visuel propre à l’auteur. Bien que célèbre pour ses poèmes, c’est le critique qui est ici mis à l’honneur. En effet, grâce au commissariat de Robert Kopp, Charlotte Manzini et Jérôme Farigoule partagé entre littérature et histoire de l’art, L’Œil de Baudelaire permet de confronter directement des œuvres majeures du milieu du XIXème siècle aux commentaires pointus du jeune auteur.

Lorsque l’on entre dans la première salle de l’exposition, on découvre un ensemble d’œuvres d’une grande diversité. Tout d’abord, les gravures d’œuvres iconiques telles que La Joconde, Le Pèlerinage à l’île de Cythère de Watteau, l’un des Capricos de Goya, le Marat assassiné de David, Faust dans son cabinet de Delacroix. Ces planches, accompagnées d’éditions d’époque des compte-rendus de Salon de 1845 et 1846, sont présentées dans une vitrine qui évoque plus l’intérieur bourgeois que le white-cube muséal. Cet ensemble, le premier dans le parcours de l’exposition, présente ainsi les artistes que Baudelaire admire, comme il l’exprime dans son poème Les Phares, titre repris pour nommer cette première salle. Outre ces grands maîtres, sont présents des peintres contemporains dont les tableaux colorés contrastent fortement avec les gravures en noir et blanc du cabinet d’entrée. Parmi eux, Delacroix, bien sûr, mais également Catlin et ses portraits d’indigènes, ou Chazal et Le Yucca gloriosa, tous les tableaux ayant en commun d’avoir été présentés au Salon de 1845 ou 1846 et commentés par Baudelaire à cette occasion.

Photo : Antoine CHAZAL, Le Yucca gloriosa fleuri en 1844 dans le parc de Neuilly, 1845, huile sur toile, 65x54 cm, Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre)
/ Gérard Blot
Photo : Antoine CHAZAL, Le Yucca gloriosa fleuri en 1844 dans le parc de Neuilly, 1845, huile sur toile, 65×54 cm, Paris, musée du Louvre. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre)
/ Gérard Blot

Suite à cet espace introductif hétéroclite, les trois autres salles sont plus homogènes et conforment à leurs titres. Isolé dans une petite pièce exiguë, le second espace s’attèle à reconstituer « le musée de l’amour » rêvé par Baudelaire dans son Salon de 1846, où pourraient se côtoyer amour maternel et désir érotique. Quant aux thèmes annoncés pour les salles III et IV, L’héroïsme de la vie moderne et Le spleen de Paris, on remarque qu’ils se recoupent à travers l’idée de modernité. Le premier traite ce concept sur le ton de l’humour, par la caricature de Daumier, Traviès, ou Nadar, présenté comme ami proche de Baudelaire. Le second dédié au spleen est de fait plus sombre. Grands et petits formats se côtoient, plutôt liés par l’idée de spleen que du thème parisien. Au centre de la salle des lettres, des romans d’époque, Les Fleurs du Mal évidemment, ou encore des petites esquisses réalisées par le poète.

Photo : Honoré DAUMIER, Le Public du Salon 4. Amateurs classiques de plus en plus convaincus que l'art est perdu en France, 1852, estampes, 37,5x26 cm, Paris, Musée Carnavalet. © Musée Carnavalet
Photo : Honoré DAUMIER, Le Public du Salon 4. Amateurs classiques de plus en plus convaincus que l’art est perdu en France, 1852, estampes, 37,5×26 cm, Paris, Musée Carnavalet. © Musée Carnavalet

 

Mêlés aux tableaux, les textes de Baudelaire jalonnent ainsi toute l’exposition, sous forme de correspondances, de compte-rendus de Salon ou encore d’articles de presse. La présence de ces écrits est augmentée par les livrets de salle et les cartels qui comprennent souvent des citations. C’est cette omniprésence discrète des textes et leur dialogue avec les œuvres qui permet au visiteur de comprendre la pensée du critique.

Grâce à un parcours chrono-thématique ainsi qu’à la dialectique texte-image, L’Œil de Baudelaire retrace l’évolution de la pensée critique du poète entre 1840 et 1867, du romantisme vers une nouvelle définition de la modernité.

L’Œil de Baudelaire, jusqu’au 29 janvier 2017 au Musée de la Vie Romantique,
16 rue Chaptal 75009 Paris. Plus d’informations ici : http://www.vie-romantique.paris.fr/




Feuilleton théâtral : semaine n°47

Photo - Michèle Laurent
Une chambre en Inde (Photo – Michèle Laurent)

Une nouvelle semaine théâtrale marquée, comme d’habitude, par tous les contrastes. De spectacles à faire naître une aversion pour le théâtre à la naissance de nouveaux chefs d’œuvres, on a traversé tous les états : ennui, colère, en passant par l’aveu, une fois de plus, de la vision de notre impuissance.

Au théâtre des Déchargeurs, en allant voir « Le Chant du cygne », j’ai pensé assister à la petite pièce en un acte d’Anton Tchekhov. J’avais bêtement lu l’affiche, sans chercher à en savoir davantage. Si le lever de rideau est conforme à ce à quoi le spectateur peut s’attendre, après la première dizaine de minutes, c’est le plongeon vers l’inconnu. Du dialogue nostalgique et triste de Tchekhov, on tombe dans les histoires de coulisses et échanges de techniques théâtrales entre un vieux et un jeune comédien. Les vies personnelles de ces derniers sont racontées à un public qui, légitimement, n’en a pas grand chose à faire. D’autant qu’il n’y a ni cohésion, ni recherche d’unité. Robert Bouvier, le metteur en scène, justifie cela en disant que son spectacle est à l’image de l’existence : imprévisible. Imprévisible, peut-être, mais faussement rocambolesque, parsemée de détails qui n’intéressent que ceux qui les vivent, cela n’engageait que Robert Bouvier, et personne ne lui en aurait voulu de garder ça pour lui !

Autre catastrophe, mais dont les raisons diffèrent : « Iphigénie en Tauride » de Goethe, interprétée comme à la Comédie-Française dans les années 60 par une Cécile Garcia faussement détachée qui semble ne pas comprendre ce qu’elle dit. Elle a des airs d’une bonne copine qui, en fin de soirée, imite Florence Foresti qui imite Isabelle Adjani en tragédienne. Et que dire des acteurs habillés comme une troupe amateur ayant comme contrainte de trouver ses costumes dans la pire des friperies ? Le mauvais goût est conforté par le manque de finesse de la mise en scène illustrative de Jean-Pierre Vincent – on est sur une île alors on entend le bruit de la mer… Tout ici, hormis Pierre-François Garel est à dégoûter du théâtre de la fin des Lumières pourtant porteur d’un message encore brûlant.

Le Chant du cygne (Photo : Fabien Queloz)
Le Chant du cygne (Photo : Fabien Queloz)

Classique, mais réussi, « L’Avare » de Jacques Osinski à l’Artistic Théâtre. Jean-Claude Frissung y campe un Harpagon tout en nuance, colérique mais sans cesse prêt à sombrer dans la folie. Ne devient-il pas fou errant lorsqu’on lui dérobe sa « cassette » ? Entouré d’un groupe d’acteurs qui, par un jeu élégant, soulignent la force du personnage central, le propos et le texte restent actuels à l’oreille du spectateur moderne.

Autre propos, d’autant plus en prise avec l’actualité : « Une chambre en Inde ». La nouvelle mise en scène d’Ariane Mnouchkine – certains racontent que ce serait la dernière – singe une troupe de théâtre dirigée au pied levé par une certaine Cornélia. On assiste à la débâcle d’un groupe d’acteurs financés par l’Alliance Française de Pondichéry, venus pour travailler sur le Mahabharata mais que les attentats du 13 novembre font changer de direction : après de tels événements, quelle est l’utilité du théâtre dans le monde ? Une suite de questions, illustrées par une succession de scènes où sont ouvertes les blessures les plus flagrantes d’une planète en crise : on voit les guerres, l’écologie, les violences sociétales… Et pourtant, sans perdre de vue la gravité intense, on rit. On s’amuse des personnages, des méchants, des terroristes caricaturés à la manière des bras cassés du film « We are Four Lions ». Cet appel du Théâtre du Soleil invite chacun à se tourner résolument vers le réel, à plonger dans la parole quotidienne contemporaine qui ne bénéficie pas de la même résonance que les textes les plus classiques du théâtre, et qui pourtant mérite tout autant, surtout aujourd’hui, d’être écoutée.

Hadrien Volle

  • « Le Chant du cygne », jusqu’au 22 décembre au Théâtre des Déchargeurs

  • « Iphigénie en Tauride », jusqu’au 10 décembre au Théâtre de la Ville – Les Abbesses

  • « L’Avare », jusqu’au 15 janvier 2017 à l’Artistic Théâtre

  • « Une chambre en Inde », jusqu’au 28 février 2017 au Théâtre du Soleil




Avignon OFF 2016 « Monsieur Kaïros » : une rencontre du deuxième type

Christophe Leclaire
Christophe Leclaire

Kaïros est une création de Fabio Alessandrini, auteur, comédien et metteur en scène. C’est l’histoire d’un écrivain qui, seul chez lui face à son ordinateur, est en train de retaper son roman qui parle d’un médecin humanitaire en zone de guerre, jusqu’à ce que sans qu’il ne s’aperçoive, le personnage de son roman fasse irruption dans la nuit. L’intrigue se tisse autour de cette rencontre inopinée faisant sombrer le romancier dans la folie grâce à une mise en scène très mentale.

Dans un espace sombre, l’écrivain se trouve assis à son bureau qui fait lui-même face à un store blanc qui va devenir lieu de projections abstraites évoquant souvent le sang lié au métier du chirurgien dès son apparition. Alors qu’il est seul et qu’il parle à voix haute tout en retranscrivant son roman, l’homme apparait. Perdu, cherchant à passer un coup de fil, l’homme se révèle être le personnage du roman de l’écrivain après un interrogatoire surprenant. Incrédule, le romancier commence alors à discuter avec le médecin convaincu d’être réel, qui se met à lui raconter ce qu’il vit en zone de guerre, accusant par là celui qui l’a fait naître de ne pas avoir conscience de ce qu’il dépeint dans son roman.

Si derrière les échanges entre les deux hommes émerge un discours sur la guerre, l’engagement et l’existence, le personnage voudrait profiter de la présence de l’auteur pour que sa vie soit réécrite, comme améliorée, la pièce reste psychologique. Entre situations cocasses et plus graves, comme lorsque le médecin évoque ce qu’il aimerait voir être changé dans sa vie comme s’il faisait une liste de courses et le romancier qui ne se soucie que des ventes, les comédiens sont naturels et captent l’attention du public sans exagérer. Malgré tout, le spectacle de Fabio Alessandrini reste un spectacle très mental, l’ambiance semble irréelle, on en vient à douter de la rencontre de ces deux types. Après tout, le personnage ne serait-il pas une projection mentale et le romancier en plein délire ?

Kaïros n’est pas un chef d’œuvre, mais quelque chose d’inquiétant s’en échappe, créant une situation en suspens, de sorte que le spectateur ne sombre jamais dans l’ennui.

Monsieur Kaïros, écrit et mis en scène par Fabio Alessandrini, avec Yann Collette, Fabio Alessandrini.

Festival d’Avignon, Chapeau d’Ebene Théâtre, Place de la Principale, 84000 Avignon, jusqu’au 30 juillet, à 11h et 15h, durée 1h10, à partir de 13 ans.




Avignon IN 2016 « Lenz » : de l’idéalisme à l’ennui

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

En 2012, à l’occasion du Festival de Salzbourg, Cornelia Rainer a présenté Lenz, une création qui vise à réhabiliter le poète et dramaturge allemand Jakob Michael Reinhold Lenz à partir de son séjour en 1777 au Ban de la Roche, dans les Vosges chez le Pasteur Oberlin, resté dans l’ombre de Goethe. Alors que le théâtre de Lenz est traversé par des portraits de la société allemande du XVIIIe et de son aristocratie, la mise en scène de Rainer ne donne à voir qu’un poète devenu naïf à force d’idéalisme, écrasée par des détails.

Dès le départ, toute la pièce est centrée autour de l’arrivée de Lenz dans la demeure du Pasteur dans les montagnes. C’est une énorme structure de montagnes russes en bois qui contient la maison où le mobilier et les costumes des personnages sont d’époque. Dans ce décor très esthétique un batteur fait son entrée et se met à utiliser tout ce que la scène réserve pour faire du bruit et jouer de la musique, mais cette introduction captivante qui laisse présager un spectacle bien mené et surprenant laisse rapidement place à de longs silences, discours plats et à un jeu d’acteurs qui sonne faux. Dans le rôle de Lenz, Markus Meyer en fait trop, son idéalisme et son besoin de réclamer la vie dans tout auront raison de lui, il finira désespéré , seul dans les montagnes.

Le travail de réhabilitation de Cornelia Rainer n’a pas l’effet escompté car en nous plongeant dans cette maison sans vie sinon domestique où l’on épluche des pommes de terre en continu, Lenz appelle au rejet. On comprend alors le fait qu’il soit resté dans l’ombre et on regrette que le rythme lancé par les dix premières minutes du spectacle n’ait pas été tenu davantage, le batteur infernal ne refaisant une apparition qu’une fois la fin venue. Loin d’être aiguisée, notre curiosité ne nous pousse pas à nous renseigner quant aux écrits du poète, la mise en scène de Cornelia Rainer, à vouloir en dire trop manque de cohérence, seule la scénographie parvient à attirer notre attention le temps de la représentation.

Lenz, adaptation et mise en scène Cornelia Rainer, scénographie et costumes Aurel Lenfert, dramaturgie Sibylle Dudek, avec Markus Meyer, Heinz Trixner, Cornelia Köndgen, Jakob Egger, Noah Fida, Merlin Miglinci, Jele Brückner, Julian Sartorius

Festival d’Avignon, Cour du Lycée Saint-Joseph, 62, rue des Lices, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 13 juillet, 22h, durée 1h40.




Avignon IN 2016 : « Alors que j’attendais » : le théâtre comme acte de résistance

Photo : Didier Nadeau
Photo : Didier Nadeau

Si cette année le Festival d’Avignon revendique son caractère politique, la pièce « Alors que j’attendais » mise en scène par le syrien Omar Abusaada met le focus sur le Moyen-Orient et sa brûlante actualité. À partir d’un fait réel, à savoir la mort en 2013 d’un jeune syrien battu après deux mois passé dans le coma, le metteur en scène qui était allé à la rencontre de la famille au moment des faits, a construit son spectacle sur ce moment d’inconscience qui éclate, qui rapproche les familles et fait émerger des sentiments inavoués que seul un contexte mêlant si brutalement espoir et deuil peut faire émerger. Avec Mohammad Al Attar qui est à l’origine du texte, Omar Abusaada s’inscrit alors dans un théâtre documentaire résistant.

Les événements se déroulent à Damas où Taim a été admis à l’hôpital après avoir été retrouvé inconscient à un checkpoint, gisant dans son sang sur le siège de sa voiture dans des circonstances inexpliquées. Depuis, il est dans le coma, allongé sur un lit d’hôpital au milieu d’une scène vide, surmontée d’une structure métallique imposante sur laquelle l’esprit du jeune Taim va s’élever pour surplomber et le public, et le checkpoint familial qu’est devenue sa chambre d’hôpital. En effet, depuis son coma le jeune homme entend tout et croit pouvoir se déplacer au milieu de ses proches venus se recueillir, se rencontrer et souvent, se heurter. Face à l’incompréhension de cet accident, sa mère, sa sœur, sa compagne et d’autres proches apportent leur version des raisons qui auraient pu le conduire là. Autour de l’inconscient, la famille fractionnée depuis longtemps se trouve bouleversée par des silences enfin levés, comme ce qui avait poussé Salma, la sœur de Taim, à partir pour Beyrouth. Avec quelques touches d’humour qui rendent le spectacle moins difficile d’accès qu’il n’y paraît au début, des sujets d’actualité comme la situation de la Syrie, et graves comme la peine de cette famille sont abordés.

Au-delà de leurs émotions respectives face au corps inanimé, c’est une réflexion sur la situation de Damas, sur Bachar el-Assad et l’islam radicalisé qui traverse le spectacle. Grâce à une création sonore réalisée à partir de bruits de bombardements, d’appels à la prière, de « soupirs de ceux qui font encore l’amour » et de circulation routière, l’ambiance créée saisit l’imaginaire du spectateur déjà plongé dans la langue des comédiens qui parlent en arabe. À cela, viennent s’ajouter des images de manifestations auxquelles aurait participé Taim qui préparait un film sur Damas au moment de l’accident – jamais la violence n’y est montrée. Le spectacle réussit à parler d’actualité à travers aussi bien le prisme d’images réelles ne montrant pas le sang que les médias nous ont déjà trop diffusé, et les sentiments singuliers de la famille de Taim où tous incarnent à leur manière une façon de résister, que ce soit dans le renoncement au niqab de sa sœur à l’avortement tant remis en question de sa compagne.

En explorant le chaos d’une ville qui n’évoque plus pour les occidentaux que le sang, l’auteur et le metteur en scène syriens assistés d’une troupe de jeunes comédiens talentueux parviennent à dire l’horreur d’une cité sans la montrer, et faire de la peine et l’égarement de ceux qui y vivent encore un acte de résistance.

Alors que j’attendais, de Mohammad Al Attar, mise en scène Omar Abusaada, avec Mohamad Al Refai, Mohammad Alarashi, Fatina Laila, Nanda Mohammad, Amal Omran, Mouiad Roumieh.

Festival d’Avignon, Gymnase Paul Giéra, 1, rue Paul Achard, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 14 juillet, relâche le 10, 18h30, durée 1h40.

Tournée : 18 au 20 août 2016 au Theater Spektakel (Zürich), 26 et 27 août au Festival Noorderzon de Groningen (Pays-Bas), 31 août et 1er septembre au Theaterfestival Basel (Suisse), 4 et 5 septembre à La Bâtie Festival de Genève (Suisse), 8 au 10 septembre au Schlachthaus Theater Bern (Suisse), 29 et 30 septembre au Vooruit de Gent (Belgique), 12 au 15 octobre au Tarmac dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, 26 et 27 octobre ay Onassis Cultural Center (Athènes), 18 et 19 novembre à Bancs publics – Festival Les Rencontres à l’échelle (Marseille), 24 au 26 novembre au Théâtre du Nord Centre dramatique national Lille Tourcoing Nord-Pas de Calais.




Avignon IN 2016 : « Ceux qui errent… » : quand la démocratie éclabousse

Photo : Christophe Raynaud de Lage
Photo : Christophe Raynaud de Lage

Sur une scène noire de laquelle n’émergent que des isoloirs blancs faisant office d’écran, une élue zélée entre et installe méticuleusement une urne en attendant l’arrivée du maire. À la capitale le bureau 14 est prêt, c’est jour de vote ! Alors que tout le monde prend place, les heures défilent et, toujours aucun électeur en vue, les isoloirs n’isolent personne : est-ce à cause de la tempête de pluie battante ? Les responsables du bureau aimeraient s’en convaincre, tous se mettent à appeler leurs proches à voter et deviennent fous à la vue du seul électeur venu, ce qui donne lieu à des scènes pleines d’humour au milieu du chaos. Lorsqu’enfin les électeurs se déplacent, le résultat est édifiant : le pays a enregistré un taux d’abstentionnisme record, 80% de votes blancs.

De là, tout s’accélère, les politiques sur-réagissent et la pièce s’emballe. Maëlle Poésy construit alors une comédie noire sur le monde politique et la démocratie. En effet, elle met tour à tour en scène un petit groupe de ministres reclus, tous stéréotypés et appelant à la comparaison avec notre propre paysage politique. Que se passerait-il si demain, un tel scénario avait lieu ? Dans la capitaless, un état d’inquiétude est proclamé, des cellules de crise, des collectifs d’infiltration pour la vérité sont créés et plutôt que de tenter d’écouter le peuple, on assiste aux revers du pouvoir et au recentrement des ministres sur leur petite personne. Pour eux, gouverner c’est mettre ses sujets hors d’état de vous nuire, qu’advient-il alors des libertés fondamentales de la démocratie une fois les « gens radicalisés » et devenus « nuisibles » ?

Finement orchestrée, la pièce met en lumière le fossé existant entre les politiques et le peuple et entre en écho direct avec le contexte actuel. Si l’on regrette quelques longueurs et que le spectacle aurait gagné à être plus ramassé pour ne pas souffrir de coupures de rythme, la scénographie est hypnotique, l’ambiance sonore et lumineuse est très réussie. Le chaos, signifié par la pluie qui envahit le plateau pour laisser place à une ambiance lourdement tropicale, laisse imaginer une capitale ravagée, irradiée par les actes fous des ministres. Prêts à sortir des lance-flammes pour réprimer un peuple inactif, ils se disent en état de siège bien que pour certains, les souvenirs du siège remontent à des cours de latin du collège.

Tournée en dérision avec lucidité, la soit disant franchise des politiques perd toute sa crédibilité dans ce spectacle, les mises en scène successives de discours télévisés achèvent de les rendre risibles. Bien assis, le public s’y retrouve d’autant plus invité à une remise en question qu’il est considéré comme ce peuple qui, rassemblé, détient le vrai pouvoir : la république est morte, vive la république !

Ceux qui errent ne se trompent pas, de Kevin Keiss en collaboration avec Maëlle Poésy, d’après « La Lucidité » de José Saramago. Mise en scène de Maëlle Poésy, avec Caroline Arrouas, Marc Lamigeon, Roxane Palazzotto, Noémie Develay-Ressiguier, Cédric Simon, Grégoire Tachnakian.

Festival d’Avignon, Théâtre Benoît XII 12 rue des Teinturiers, 84000 Avignon, 04 90 14 14 14, jusqu’au 10 juillet.

Tournée : 5 novembre 2016 au Théâtre Firmin-Gémier (La Piscine), 8 novembre 2016 au Rayon Vert (Saint Valéry en Caux), 17 au 19 novembre 2016 au Théâtre du Gymnase-Bernardines (Marseille), 26 novembre 2016 à la Ferme du Buisson (Marne-la-Vallée), 1er et 2 décembre 2016 au Granit (Belfort), 5 au 18 décembre 2016 au Théâtre de la Cité Internationale (Paris), 10 et 11 janvier 2017 au Théâtre de Sénart, 18 et 19 janvier 2017 au Théâtre de Sartrouville, le 26 janvier 2017 au Phénix (Valenciennes), 31 janvier 2017 au Rive Gauche (Saint-Étienne-du-Rouvray).