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« Sales gosses » : quand l’école pète les plombs

Copyright : Eric Didym
Copyright : Eric Didym

Aux premiers instants, sur fond de rock, Alexandra Castellon bondit sur scène gesticulante et désarticulée. Le ton est donné : « Sales gosses » sera corporel, ce corps incroyable de l’actrice qui tour à tour sera chacun des personnages de la pièce. Entre ironie et espoir, elle danse, virevolte sur scène, inattendue et, tel un chat, retombe toujours sur ses pattes. Ce corps est capital à la réussite de la pièce.

Les multiples rôles qu’elle incarne sont les différents personnages, sales gosses, qui se construisent autour de la figure du bouc-émissaire. Alexandra Castellon est la petite fille brimée, sa mère irresponsable, sa maîtresse qui pètera les plombs et ses camarades de classe qui imitent l’enseignante. Elle est la société qui stigmatise, brutalise… Tous les points de vue sont représentés. L’auteure du texte, Mihaela Michailov, signe un texte poético-réflexif qui illustre le vécu d’une écolière différente. Elle sera victime d’un déchainement de violence de la part des élèves de sa classe. Une histoire extrême où l’on assiste à une scène de brimade brutale et excessive. Tout est vécu par l’actrice : les coups, les cris, les détails les plus sordides. On retrace par les mots le chemin qui guide à la mort d’âmes innocentes.

Copyright : Eric Didym
Copyright : Eric Didym

La mise en scène de Michel Didym emploie ingénieusement la scénographie de Philippe Poirot. Alexandra Castellon est entourée de casiers de collégiens. Si, aux premiers abords, ils paraissent simplement orner les murs, chacun renferme des surprises permettant une circulation inédite du décor et des différentes ambiances. Cette collaboration entre metteur en scène et scénographe illustre comment Didym ne s’enferme pas dans une esthétique : il se renouvelle à chacune de ses créations.

On est marqué par ces « Sales gosses » qui luttent contre la société pour œuvrer à la construction de leur individualité. Michailov questionne la maturité et la volonté de grandir à tous les âges et toutes les responsabilités. Un texte roumain, dans lequel il faut voir la société Européenne mise face à ses démons de négation de la différence.

« Sales gosses » de Mihaela Michailov. Mise en scène de Michel Didym, jusqu’au 18 décembre à La Manufacture, CDN de Nancy, 10 rue Baron Louis, 54000, Nancy. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-manufacture.fr




Le Malade Imaginaire, bal de névrosés cartoonesque

Copyright : Serge Martinez
Copyright : Serge Martinez

Le 13 janvier 2015, dans le théâtre de la Manufacture de Nancy, Michel Didym (directeur du CDN et metteur en scène du spectacle) prend la parole avant le lever de rideau. Il tient à marquer sa solidarité vis-à-vis des victimes des tueries de la semaine passée : « les artistes sont nécessaires. Ils doivent faire appel au sens critique, à l’intelligence du spectateur. C’est ce que faisait Molière, un français, cela est important car en France, plus qu’ailleurs, notre génie réside dans la critique. Dans ce théâtre, notre façon de résister, c’est donc de porter Molière ». L’acte de résistance est totalement réussi.

Le « Malade Imaginaire » est connu pour être la dernière pièce jouée par Molière. La légende voudrait qu’il soit mort dans le fauteuil du héros, Argan (André Marcon). Dans cette comédie, celui-ci est un hypocondriaque prêt à tout – dont sacrifier le bonheur des siens –, pour s’entourer de nombreux médecins et recevoir leur science.

Ici, l’objet du rire n’est pas le médecin, ni même le malade. C’est le ridicule dans lequel certains se complaisent en se croyant importants. En cela, la comédie n’est pas cruelle ou offensante, elle conduit le spectateur (bien avant la création de la psychanalyse) à la prise de conscience que seul un regard extérieur peut nous apporter. Dans le « Malade Imaginaire », on retrouve certains personnages de Tartuffe : un homme qui en idolâtre un autre alors que celui-ci n’a aucun mérite, un frère qui incarne la raison, une servante désinvolte – l’esprit critique –, et une fille soumise aux colères de son père.

Cette résonance avec la pièce-symbole de la critique de la religion, conforte le spectateur dans la confiance d’assister à une pièce absolument moderne. L’hypocondrie n’est pas le sujet principal. Cette comédie pose la question de notre rapport à la médecine, mais plus encore à toutes les drogues ou objets de dépendance. La médecine devient un culte, car c’est en elle que tous les espoirs de vie sont placés. La contradiction entre les discours des docteurs, l’absurdité des remèdes, rien n’ébranle Argan dans sa croyance. La mise en scène vient souligner cet aspect évident : on serra notamment effrayé par l’arrivée du médecin-inquisiteur, lorsque le frère du héros, Béralde (Jean-Claude Durand), ordonne que « le lavement de monsieur » soit reporté.

Copyright : Eric Didym
André Marcon / Copyright : Eric Didym

André Marcon incarne ici un malade extrémiste, fanatique de ses gourous médecins. Il est prêt à leur donner sa fille (Jeanne Lepers) pour venir à bout de la maladie contre laquelle il croit se battre. La servante (Norah Krief) s’assoit sur les tables devant Argan pour mettre les pieds dans le plat. Elle le brutalise, lui met son nez dans le ridicule dans lequel il baigne. C’est elle qui fera ouvrir les yeux à son maître en lui faisant simuler sa mort. Toinette « est Charlie ».

Sous la baguette de Michel Didym, ce combat devient film d’animation aux multiples facettes. Cartoon, par la couleur et la forme de la scénographie, à la fois classique et futuriste. Une grande pièce à vivre classique est installée en diagonale, cachant une scène de cabaret derrière un voile doré. Dans l’exagération contrôlée des personnages, il y a du Tex Avery. Chacun est marqué de traits névrotiques distinctifs (hypocondrie, hystérie, psychopathie …), ce qui soutient le comique du texte à merveille. Pour souligner ces traits, les acteurs semblent parfois pris d’accès burlesques, très maîtrisés.

Enfin, ce « Malade Imaginaire » est plein de surprises. La pièce ne s’installe dans aucun cycle répétitif – notamment au moyen des intermèdes, trop souvent supprimés. Didym réussit la prouesse d’ajouter à cela, une fidélité sans faille au texte que l’on entend très bien. On en ressort (a)guéri.

Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« Le Malade Imaginaire » de Molière, mise en scène Michel Didym, actuellement en tournée : jusqu’au 24 janvier à la Manufacture de Nancy, du 27 au 29 janvier 2015 à l’Opéra-Théâtre de Metz, les 31 janvier et 1er février à La Nef (Saint-Dié-des-Vosges), du 3 au 5 février au Théâtre de Lorient, le 7 février à Ris Orangis, les 9 et 10 février au Manège (Maubeuge), le 12 février à la Maison de la Culture de Nevers, les 16 et 17 février à Limoges, les 19 et 20 février à La Comète (Chalons-en-Champagne), du 22 au 24 février à Clermont-Ferrand, les 26 et 27 février au Théâtre Anne de Bretagne (Vannes), le 1er mars à Cesson-Sévigné, les 3 et 4 mars à la Comédie de Caen, le 6 mars à Epinal, du 10 au 21 mars au Théâtre National de Strasbourg, les 23 et 25 mars à Annecy, du 27 au 29 mars à Montpellier (au Domaine d’O), du 31 mars au 10 avril, aux Célestins (Lyon), du 14 au 17 avril à la Comédie de Béthune, du 21 au 24 avril au Volcan (Le Havre), les 28 et 29 avril à Quimper, les 5 et 6 mai à Perpignan, les 12 et 13 mai à Tarbes, les 15 et 17 mai à Recklinghausen (Allemagne), du 19 au 23 mai à la MAC de Créteil, du 26 mai au 6 juin à Rennes (TNB). Durée : 1h50.