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Arias, patissier en dramaturgie

Copyright : Fred Goudon
Copyright : Fred Goudon

Alfredo Arias s’installe, en ce début de saison, dans la petite salle du Théâtre de la Tempête, baptisée Copi, du nom du compatriote avec lequel Arias a travaillé en arrivant à Paris. Le décor nostalgique est ainsi planté avant même l’entrée en scène. La Comédie patissière à laquelle nous allons assister fait forcément écho à la Comédie policière du jeune Arias, qui revendique tout au long de ce nouveau texte sa volonté de « rester enfant ».

Et qu’est-ce que c’est, l’enfance d’Arias ? Élevé dans une banlieue modeste de Buenos Aires, ses premières années paraissent n’être vécues dans le seul but d’assister à l’émission culinaire de Dona Petrona – jouée ici par une Sandra Macedo sévère –, au grand dam de sa mère qui pense que cela le rend « féministe » ! Les créations délirantes de la cuisinière télévisuelle sont, pour le jeune Arias, un remède à la morosité de sa vie et au régime péroniste.

Sur scène, ces souvenirs prennent un air coloré, de grandes toiles aux couleurs de l’Argentine occupent le fond de scène et l’action se déroule entre un grand plan de travail et le divan d’un psy. Alfredo Arias – jouant le rôle de son double – et Sandra Macedo ressemblent à un couple échappé d’une pièce montée. Une troisième personne, la chanteuse Andrea Ramirez, chante ou fredonne, parfois, contribuant à installer une ambiance entre kitsch et onirisme enfantin : elle est la part de rêve. Arias veut nous faire entrer dans son enfance, sans tristesse.

Le texte est beau, gourmand et fin à la foi. Le plaisir de partager l’instant hebdomadaire est bien là. Cette joie est prétexte à revivre aussi certaines douleurs : une mère intrusive et un père absent. Jusqu’au jour où la maîtresse de ce dernier l’abandonne, alors qu’il est devenu infirme. Si ces drames sont racontés, aucun n’est lourd : Dona Petrona est là pour nous faire oublier tout ça à grand renforts de glaçages. La volonté de cette « héroïne nationale » était d’éclairer les foyers modestes par sa force de création. Pari tenu.

On est cependant troublé par l’absence d’une mise en scène claire dans ce spectacle. Le mouvement des acteurs, le choix des lumières, rien ne semble défini. Chaque déplacement parait être effectué à l’envie, comme une partie des recettes de Dona Petrona qui conseille de doser la levure en fonction de la température ambiante. On est aussi ennuyé par les gestes didactiques des acteurs, quand l’un parle, l’autre mime ce qu’il dit. Rien ne le nécessite, pourtant. La folie qui devrait se dégager du spectacle se retrouve ainsi happée par un manque de rigueur.

Aux saluts, Alfredo Arias clame encore : « restez enfants ! », en trottant un peu partout autour du décor. Et si Arias semble avoir réussi à garder les qualités de ses jeunes années, il semble aussi – par l’aspect déconstruit – en avoir gardé certains défauts.

« Comédie Pâtissière » d’Alfredo Arias. Mise en scène de l’auteur, jusqu’au 18 octobre 2015 au Théâtre de La Tempête, La Cartoucherie de Vincennes, route du Champs de Manoeuvre, 75012 Paris. Durée : 1h20. Plus d’informations et réservations sur www.la-tempete.fr




Mailles à l’envers – Marlène Tissot

La cruauté de la vie n’épargne pas la narratrice de cette histoire, une petite tête blonde. Sous la plume d’une enfant, d’une adolescente et d’une jeune adulte, les faits les plus cruels et révoltants sont parfois bien peu de choses.

Naïveté de l’écriture, innocence de l’enfance, la vie et ses méandres apparaissent comme un concours de circonstances perdu d’avance.
De l’ivresse alcoolique du père  à la débauche amoureuse de la mère : la cellule familiale de la narratrice est en perpétuelle mitose, perpétuelle séparation reproduisant à l’infini le même cauchemar.

La violence du quotidien la frappe de plein fouet. Toutes les violences y passent : verbales, physiques, psychologiques. C’est trop pour une seule et même personne, surtout quand cette jeune personne sort tout juste de l’enfance ou de l’adolescence.

Extrait 1 :
« C’était pas de la jalousie que j’avais au fond du ventre. Pour ça, il aurait fallu de l’amour. Et l’amour, j’y étais réfractaire. Mon coeur dormait dans un congélateur. Mais la fidélité avait un je-ne-sais-quoi d’essentiel à mes yeux. Le genre de truc un peu étrange, un peu magique, auquel j’avais besoin de croire. »

Marlène Tissot nous emmène, vous l’aurez compris, dans un récit fort, dont on ne peut sortir indemne. Dans ce premier roman, elle jongle entre les âges de sa narratrice, entre ses souffrances, ses peurs, ses espoirs, aussi maigres soient-ils.
L’écriture est à l’image de celle qui écrit son journal : crue, amère et directe. Parfois un peu trop directe d’ailleurs, où l’on regrette alors le choix de l’auteure de se fondre complètement dans la peau de son personnage, s’attacher à un langage se voulant enfantin / adolescent, et s’y retrouver comme coincée.

Une traversée de la souffrance humaine (hélas) ordinaire.
Poignant. Saisissant.

Extrait 2 :
« J’ai obtenu mon bac. Haut la main, avec un putain de mention. Val était recalée. Apparemment, elle s’en foutait. On s’est bu un jus au bistrot d’à côté. Puis elle m’a raccompagnée. Rocade. Cent quarante kilomètres à l’heure. Sa rage un peu plus appuyée sur l’accélérateur. Sirotant les feux rouges comme des grenadines. Bercée par le cri du moteur, je me suis remise à espérer un accident. Un truc violent, rapide, définitif. Histoire de clore le chapitre en beauté. Mais j’étais pas seule dans la carlingue. »

 

Mailles à l’envers, de Marlène Tissot
Editions Lunatique
www.editions-lunatique.com
156 pages
Date de parution : février 2012