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[Cinéma] Moi, Tonya

© Mars Distribution

Courte mais intense, la carrière de la patineuse Tonya Harding inspire tumulte et violence au réalisateur Craig Gillespie (Une Fiancée pas comme les autres ou The Finest Hour). Si Moi, Tonya ne semble ni savoir où aller ni quoi nous dire, c’est peut-être pour coller à l’image d’une héroïne paumée.

Tonya Harding c’est d’abord une petite fille qui ne se remettra jamais du départ de son père, elle se crèvera d’entraînement pour la seule chose qu’elle sait faire : patiner. Adolescente en lutte éternelle contre elle-même, elle va quitter très tôt une maison toxique. Malmenée par une mère qui la frappe, la rabaisse, elle se barre à quinze ans, barbelé sur les dents avec un mec violent qui la cogne, lui aussi. Si elle sait se défendre avec son effronterie, elle maquille ses bleus dont elle a tant besoin. On la bat et cela la booste, elle rappellera même Jeff, devenu son ex-mari, la veille d’un championnat, tant elle a besoin de coups pour se remotiver.

Mais pour qu’un scénario patine si lourdement, c’est qu’entre portrait, enquête, psychologie de comptoir ou simple tranche de vie, on ne sait pas où cela va. Qu’est-ce qu’un biopic qui balaie en trois dates et pas plus de scènes sur la glace, une carrière si houleuse ? Même si Margot Robbie excelle autant sur des patins que dans les baskets de la championne, l’histoire est trop brouillonne et part dans tous les sens. Sur une pseudo-rythmique d’allers-retours maladroits entre interviews de l’athlète et immersion dans son couple, le spectateur peut se perdre dans un film incomplet. L’envie irrépressible de trouver un documentaire sur la vie de la vedette peut être dérangeante car malgré le titre qui emphase sur le « moi » de Tonya, c’est plutôt sur le reste que la camera se braque. On sort peu renseigné de cette biographie satisfaite de la facette badass du personnage Harding.

L’explosion de sa carrière occupe à peine l’espace dans deux heures assez longues. Cinq minutes à l’écran pour ce coup de matraque qui secoua le monde du sport ainsi que toute la presse. Cela semble un poil court pour « l’affaire Harding-Kerrigan » que l’on ne présente plus, mais surtout mal jaugé pour l’instant fatidique qui fit basculer toute entière la vie d’une championne. Depuis qu’elle a trois ans elle s’exerce sur la glace mais c’est sur à Lillehammer qu’elle patinera hélas pour la dernière fois. Retour en 1994 quand les JO d’hiver se déroulaient en Norvège et que Tonya Harding amorçait son épreuve : le fameux programme court. Celle qui fut la première, femme et américaine à réaliser un triple axel est sous une pression monstre. Un lacet qui la gêne, elle demande au jury une seconde chance sur la piste : ils acceptent mais elle chute, et à plusieurs reprises. Dommage que Gillespie n’ait fait que survoler ce passage crucial… Trop déstabilisée par les soupçons qui pèsent sur elle et son entourage à propos de l’attaque de Nancy Kerrigan, adversaire éternelle, elle finira 10e. Alors que sa rivale blessée six semaines plus tôt décroche sur le podium la médaille d’argent, Harding est détrônée mais aussi démasquée comme complice dans cette histoire de coup-bas aux vestiaires.

Sans grande surprise alors un spectateur peut facilement se laisser aller à moult rebondissements. D’autant que le réalisateur ne manque pas de faire de l’humour, mais cela ne suffit pas pour que le film se tienne. Néanmoins on comprend, par un formidable finish, que la danseuse brutale va se reconvertir. Peu svelte sur la glace elle sautille sur un ring puisqu’elle choisit la boxe. Petite fille battue mais pas des moins robustes, on saisit (bien trop tard!) une femme inébranlable, et la boucle est bouclée.

« Moi, Tonya » de Craig Gillespie, sortie au cinéma le 21 février 2018

Tonya Harding : Margot Robbie (sélectionnée pour l’Oscar de la meilleure actrice)
LeVona Fay Golden : Allison Janney (Golden Globe de la meilleure actrice dans un second rôle)
Jeff Gilooly : Sebastian Stan

 




« Scènes de violences conjugales » à la Tempête : Du geste amoureux à la première claque

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Photo : Mandarine.

Après deux ans de travail d’enquête au côté d’associations, de victimes et une immersion dans la lutte associative et judiciaire mise en place contre les violences conjugales, Gérard Watkins a écrit et mis en scène « Scènes de violences conjugales », oeuvre semi-fictive actuellement au Théâtre de la Tempête. Entre écriture de plateau et sujet proche du fait divers, le metteur en scène crée un spectacle saisissant pour comprendre et lutter contre la montée du geste violent au sein du couple et par extension, d’identifier les victimes directes et indirectes de ces violences, à commencer par les femmes, puis les enfants.

Sur un plateau en forme de triangle inversé donnant lieu à un espace tri-frontal et sans décor, entre d’abord une jeune femme qui prend place derrière une batterie, l’instrument surplombe la scène et n’aura de cesse de ponctuer la pièce, suggérant dès le départ une atmosphère marquée par la violence du geste.

Quand Annie rencontre Pascal, elle est en situation de précarité, elle vit chez ses parents et enchaine les entretiens ratés, notamment à cause du RER, toujours en retard. Pascal, sur le même quai qu’Annie, est un photographe dans une situation plus aisée, même s’il enchaine les échecs. D’un autre côté, Rachida est une jeune étudiante musulmane qui vit dans une cité, elle est dans un contexte familial compliqué quand elle rencontre Liam, jeune homme venu de Châteauroux sans rien sinon le désir d’une vie stable. De là, les couples emménagent ensemble chacun de leur côté, bercés par les idéaux d’une vie commune heureuse qui leur ferait échapper à leur passé et non reproduire leurs souffrances.

Avec beaucoup d’habilité et des comédiens bouleversants de spontanéité, Watkins plonge le spectateur dans le quotidien des personnages pour lesquels on se met à craindre le pire. Grâce à la création sonore et lumineuse, on guette le basculement dans la violence, impulsé par un quotidien qui, d’une certaine manière, pourrait être le nôtre. De Rachida qui ne sait pas aider Liam à monter une étagère Ikéa à Annie qui oublie comment on fait une mayonnaise, une tension s’installe, jusqu’à frôler l’insoutenable. Les femmes, en dépit de leur incompréhension, prennent le rôle de victime, une condition dont elles ne sortiront qu’après avoir vécu le pire, ce sera la perte d’un enfant pour l’une, et l’envie de disparaître pour l’autre.

Gérard Watkins parvient alors à créer un spectacle coup de poing qui invite à repenser le secours donné aux victimes et le manque de moyens déployé pour prévenir les heurts quand on sait que beaucoup de personnes violentes ne font que reproduire ce qu’elles-mêmes ont déjà subi. Lorsqu’on sait que rien qu’en France, quelques 143000 enfants vivent dans un foyer où des violences ont déjà été signalées, et qu’une femme décède tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Par une fiction au plus près de la réalité et d’une actualité quotidiennement ponctuée par ce genre de faits dramatiques, « Scènes de violences conjugales » est un spectacle qui peut être salué pour le silence qu’il permet de lever, sinon de rompre.

« Scènes de violences conjugales », texte et mise en scène de Gérard Watkins, du 11 novembre au 11 décembre 2016 au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris. Durée : 2h. Plus d’informations et réservations sur https://www.la-tempete.fr/




Le Cid, drôlement classique

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Écrit et présenté pour la première fois en 1637, Le Cid s’est imposé comme l’un des grands classiques du répertoire théâtral français dont Jean-Philippe Daguerre s’est emparé pour en proposer une mise en scène soignée et comique, qui laisse une belle place aux aspects tragiques de certaines situations de ce texte en alexandrins.

Sans aucun décor sinon la présence d’un blason déplié en fond de scène devant lequel jouent deux musiciens, le metteur en scène a misé sur la déclamation du texte et des costumes d’époque rouges de très belle facture, qui d’emblée indiquent un spectacle de qualité que le jeu des acteurs vient rapidement conforter. Comme enveloppés par une création sonore très appréciable composée par Petr Ruzicka et jouée par lui-même et Antonio Matias, les comédiens ont été dirigés dans un souci d’occupation de l’espace rythmée et soignée. Ils traversent et la scène, et le public, tout en  jouant dans les loges latérales. Dans leurs rôles, tous sont d’une justesse remarquable, ils n’en font jamais trop tout en se permettant quelques écarts très cocasses. Si cette mise en scène a tout d’un bon classique, quelques éléments dénotent à souhait, comme la dérision jetée sur le Roi qui a tout l’air d’une petite marionnette tout droit sortie d’un dessin animé. Grossi, serré dans son costume trop petit et plein de défauts de prononciation dès lors qu’il ouvre la bouche, il n’en finit pas de faire rire et d’ajouter beaucoup de comique au tragique de certaines scènes.

Sans grande prétention, ce spectacle plein de bonnes intentions nous livre aussi de très belles images comme les nombreux combats de sabre qui n’ont rien de ridicule tant ils paraissent maitrisés et occupent bien l’espace. Le Cid ainsi présenté s’adresse alors volontiers à un jeune public friand de situations chevaleresques liées à cette pièce faite d’amours et de vengeances, ici soignée par une troupe convaincante et drôlement classique.

« Le Cid », de Pierre Corneille, mise en scène de Jean-Philippe Daguerre, du 14 septrembre au 15 janvier 2017 au Théâtre du Ranelagh, 5, rue des Vignes, 75016 Paris. Durée : 1h40. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-ranelagh.com




Au Théâtre de l’Odéon, Dom Juan fait trembler les dames

Photo : Jean-Louis Fernandez
Photo : Jean-Louis Fernandez

En 2013, déjà sur les planches de l’Odéon, Jean-François Sivadier proposait une mise en scène punk se jouant des codes de la théâtralité du Misanthrope de Molière, dans laquelle Nicolas Bouchaud jouait Alceste. Alors qu’il incarne aujourd’hui un Dom Juan qui ne se contente plus de rire de tout ni de ne croire en rien, Bouchaud s’entiche des femmes du public, leur offrant même des fleurs. Son personnage veut des « Marie, des Fatima », il veut plus encore si bien qu’à nouveau, le metteur en scène parvient à relever le défi de renouveler Molière et plus précisément, de réveiller Dom Juan.

Éternellement suivi d’un Sganarelle ici incarné par Vincent Guédon, Dom Juan, pour qui le plaisir de l’amour réside dans le changement, n’en finit pas de séduire dans une scénographie très esthétique constitué de boules suspendues qui nous font penser à des astres voire même d’énormes boules de Noël. À cela vient s’ajouter un décor toujours éclaté, déglingué, qui vient régulièrement faire trembler la salle. Dans son rôle de Dom Juan toujours plus transgressif, Nicolas Bouchaud séduit et performe. Tout dans sa diction et ses mimiques laisse à penser qu’il est fait pour le personnage, désinvolte au possible, la transgression est portée à son comble lorsqu’il nous lit un extrait de La Philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade, comme si, un siècle plus tôt, il annonçait le Valmont des Liaisons dangereuses.

Jean-François Sivadier, en plus d’actualiser son Dom Juan au point de lui faire chanter « Sexual Healing » de Marvin Gaye en se déchaînant sur scène, a pris le parti d’insister sur des scènes de charmes notamment entre Charlotte et Pierrot. D’autres moments émergent tout autant comme la scène où Dom Juan tente de faire blasphémer un pauvre, assisté d’un Sganarelle qui ferait tout pour racheter son âme. Enfin, quelques farces émergent par leurs habiles ressorts scéniques mis en œuvre, on pense par exemple à un combat que mène Dom Juan face à; non pas trois acteurs jouant les bandits, mais face à trois piñatas qui rendent la situation des plus comiques.

Ce Dom Juan finalement très empreint de magie nous interpelle : jusqu’au bout il défie ce ciel qui paraissait de prime abord si calme et si serein.

« Dom Juan », de Molière, mise en scène de Jean-François Sivadier, jusqu’au 4 novembre 2016 au Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon, 75006 Paris. Durée : 2h30. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-odeon.eu/fr




Avignon OFF 2016 « King Kong Théorie », dans l’ombre des hommes : accéder à l’humanité ou rester dans la honte

Photo : Émilie Charriot

Paru en 2006, l’essai de Virginie Despentes est devenu emblématique de la lutte d’un nouveau féminisme qui intègre les questions de genre. L’auteure y relate l’expérience du viol et de la prostitution, la sexualité féminine y est abordée sans détours, le langage est cru. Par sa sobre mise en scène de « King Kong Théorie », Emilie Charriot mise sur la force du verbe et du texte pour faire du théâtre le terrain de prolongations d’une lutte à peine en marche.

Dans un espace sombre sans aucun décor ni artifices, une comédienne (Julia Perazzini) et une danseuse (Géraldine Chollet) s’adressent frontalement au public, sans donner l’impression de réciter, leur présence est tout à la fois timide et imposante, elles transpirent le texte. La première, en s’en écartant, avec sincérité, nous parle de son expérience de l’échec notamment au vue de sa carrière de danseuse. Avec une émotion à peine retenue, elle raconte ce que signifie la défaite à ses yeux, un sentiment étroitement lié à l’espoir : avoir l’impression d’avoir beaucoup échoué, c’est d’abord avoir beaucoup espéré. Par des mots qui sont les siens et quelques pas de danse, elle transmet la difficulté qu’il y a à se maintenir en vie, à se sentir déviante tout en voulant malgré tout accéder à l’humanité pour sortir de la honte. Les larmes aux yeux, la danseuse est d’une justesse saisissante.

De son côté, la comédienne prend le relais de ce moment presque intimiste comme pour inscrire cette confession personnelle dans un combat universel, et rappeler que notre système culturel et sociétal doit être repensé. Porte-parole des femmes et de Virginie Despentes, elle raconte le viol qu’a subi l’auteure ainsi que son expérience de la prostitution. Campées au milieu de la scène, les deux femmes ne bougent pas, ce qu’un jeu d’ombres et de lumières vient accentuer. Droites, elles nous toisent et par une grande économie de gestes, elles laissent une belle place aux silences, révolution muette s’il en est une, le féminisme est aussi une attitude. Par ses regards, son élocution et sa présence scénique, Julia Perazzini déclame le texte de Virginie Despentes avec force, les mots noue heurtent et chaque respiration, chaque instant qui se meurt est laissé à notre imaginaire et notre propre réalité.

Dans une société où « femme inapte » est devenu un pléonasme, où une femme qui se fait agresser doit d’abord se justifier de ne pas avoir provoqué ou mérité avant d’être écoutée, dans une société où la possibilité de la mort a été intégrée par les femmes, où être féministe ne semble être ni pertinent, ni urgent : que faire ? Dans cette même société qui attend des hommes qu’ils soient virils, certainement pas émotifs, forts et travailleurs, quelle place est laissée à ceux qu’on appelle les « minorités » que sont les intersexués, transgenres, bisexuelles et homosexuels que l’on devrait délivrer de telle catégories verbales ? Plus que jamais, le texte de Despentes devrait être porté par des voix comme celles de ces deux comédiennes qui redonnent de la force aux mots dans une société qui se nourrit d’images. Avant toute chose, avant d’être un cliché ou accessoire, le féminisme devrait être évidé du féminin, de la binarité sexuelle que l’on s’impose et nous désert pour sortir de l’obstacle des genres.

Le théâtre est là pour dire que tout le monde devrait être féministe et qu’est féministe un homme ou une femme qui se lève et dit qu’il y a un problème avec le rôle des sexes aujourd’hui, un problème réparable.

King Kong Théorie, d’après Virginie Despentes, mise en scène Émilie Chariot, avec Géraldine Chollet, Julia Perazzini.

Festival d’Avignon, Théâtre Gilgamesh, 11, boulevard Raspail, 84000 Avignon, jusqu’au 24 juillet, relâche le 18, 17h50, durée 1h30.




Niki de Saint Phalle – Nana Power au Grand Palais

Le Grand Palais rend hommage aux femmes.
A une femme. Niki de Saint-Phalle. Artiste rebelle.
Morte d’avoir pratiqué son art. Elle aurait eu 84 ans.
A la Femme ensuite. A toutes les femmes.
A leur destin souvent imposé. A leurs libertés bafouées. A leur honneur sali.
A leur place dans la société moderne. A leurs espoirs.


Portrait Niki de Saint Phalle

L’art violent, en réponse à la violence

Au début, il y eut la violence. La violence d’un père, puissant parmi les puissants. L’indifférence d’une mère. L’irréparable se produisit. Acte inavouable. Acte impardonnable. Effroyable inceste.
L’adolescence arriva. La vie continua, quotidien familial imperturbable dans les années noires du deuxième conflit mondial.
Niki offrit alors sa beauté aux grands magazines de l’époque.

Mais les démons se firent plus forts. Ils l’entraînèrent dans un profond désarroi, une méchante dépression. Internement. Repos. Puis la révélation.
L’art sera son échappatoire. La condition de sa libération intérieure.

Commence alors une période de découvertes pour Niki. Découverte de ses aspirations. Découverte du champ des possibles. Découverte du soulagement artistique. Et découverte de l’art brut, avec Jean Dubuffet, duquel Niki sera très proche.

Collages, peintures, sculptures pour démarrer. Pollock est très présent dans l’esprit de ces premières œuvres. Puis apparaît la femme. La femme mariée. La femme donneuse de vie. La femme déesse. La femme veuve. La femme se constitue d’objets du quotidien. Telles les compositions massives présentées dans cette deuxième salle de l’exposition du Grand Palais.

Ensuite viennent les Tirs. Réponse violente à la violence de la société. Cette société où les hommes dominent. Cette société où les femmes vivent pour les hommes. Où les femmes vivent pour la famille.

Saint Sébastien/Portrait of my lover, 1960-1961

La femme, source de création et de vie

Les Tirs proposent une nouvelle approche de l’art. Une approche féminine des armes et de la violence. « Bang bang, I shot you down ». Voilà le credo classique d’une société où les armes sont reines. Où les armes détruisent et tuent. Niki souhaite les faire créer. La naissance et la création sont à portée de canon.

L’exposition présente des extraits de ces spectacles de rues pour le moins inhabituels. Et le résultat de ces séances de tirs d’arrière-cour. Des poches de peintures explosées. Des vomissures de couleurs. Laissées dégouliner à leur bon vouloir sur des obstacles tout de blanc peints. Ces compositions aléatoires cohabitent avec des œuvres un peu différentes. Collages, moulures, sculptures présentant les grands du monde d’alors. Et mêlant fantaisie et politique. Le monde masculin est un monde de guerre et de violence. De pouvoir et d’affrontement. La femme est là pour veiller sur la création. Sur la vie.

 

La Nana Power, ou l’imagination en grand

Cette vie et cette création, Niki la voit en grand. Elle lui donne corps. Dans une Eve nouvelle, porteuse d’espoir, porteuse de couleurs, porteuse de joies. Les Nanas voient le jour dans les mains de l’artiste pour révéler la force de la femme. Leur grandeur est censée représenter le champ de l’imaginaire féminin, la puissance de cette énergie créatrice. Et la petitesse de sa tête, telle une tête d’oiseau, marque la place qu’on lui accorde dans la société. Elle n’est pas censée réfléchir. Elle n’est pas censée utiliser son esprit. Son corps la porte au fil de la vie. Selon les décisions et le bon vouloir des hommes.

Quel merveilleux hommage au génie de l’artiste que la salle présentant ce Nana power. Une mise en espace réussie. Un effet saisissant. Une mise en valeur remarquable de ces corps de femmes surdimensionnés. Le tout agrémenté d’interviews de De Saint Phalle, et de dessins. Ces dessins, à la fois journal intime d’une vie bousculée. Correspondance avec ses amis à travers le monde. Dessins aux motifs enfantins mais à la gravité si adulte. Une plongée en apnée dans l’univers intérieur de celle qui fut mannequin puis créa la beauté de ses mains. Et la destina au grand public. La beauté et la création comme lieux de vie et de récréation.

Affiche “Vive l’amour”, 1990

Le Jardin des Tarots, le Golem

Profondément bouleversée par la visite du parc Güell, Niki de Saint Phalle décide de créer un jardin idéal. Plus beau encore que la pièce maîtresse de Gaudi. Plus grand. Plus spectaculaire. Son Jardin des Tarots sera en Toscane. Les sculptures démesurées seront autant de lieux de vies. Autant de cartes de vies, mais aussi de mort. De personnages sacrés. Elle y consacrera les dernières années de sa vie. Pour ce qui sera réellement l’œuvre de sa vie.

Cette dernière salle, à grands renforts de maquettes et de vidéos, nous propose une immersion dans ce pays imaginaire. Il y avait eu le Hon pour représenter la femme comme source de la vie. Puis le Golem comme aire de jeux. Il y eut finalement le Jardin des Tarots, aire de vie. Promenade dans l’imagination et la rêverie d’une femme qui consacra son existence aux femmes.

Jardin des Tarots

 

 

Niki de Saint Phalle
Du 14 décembre 2014 au 2 février 2015
Galeries nationales du Grand Palais – Paris




Pauline Bureau montre ses « Modèles »

Après sa création en 2011 au Nouveau Théâtre de Montreuil, « Modèles » s’installe jusqu’en novembre au Rond-Point. Cette pièce signée Pauline Bureau est le fruit d’un travail d’écriture collective effectué par la metteur en scène et les actrices elles-mêmes, mêlé de textes de Pierre Bourdieu, Marguerite Duras ou Virgine Despentes. Les femmes sont-elles vraiment l’égal des hommes ?

Celles qui posent la question étaient gamines dans les années quatre-vingt. Officiellement, elles ont les mêmes droits que leurs homologues masculins, elles ont toujours eu la possibilité de voter et de travailler… Mais dans « Modèles », elles parlent également de tout ce qu’on ne leur avait pas dit : de la maîtresse de maison à celle qui s’est faite violer et à qui on dit qu’elle ne s’en remettrai jamais. Des hommes, ces héros, dès qu’il mettent les pieds dans un supermarché, pendant que leurs épouses jouent à Cendrillon chez elles, d’ailleurs, elles en sont ravies ! Pendant 1 h 45, on grandit avec elles, elles nous guident par leurs expériences, parodiant ce qu’on attend d’elles.

Le féminisme actuel, pilier de cette création, est évoqué de façon poétique et ingénieuse, peu guerrière, jamais frontale. L’approche humoristique et sincère fonctionne. Leurs histoires, qu’elles soient tristes ou heureuses, nous passionnent. Naturellement, l’évidence des mots employés suffiraient à gommer la notion « d’avortement de confort » de la pensée des êtres obtus qui imaginent que cela peut exister.

Il est difficile, d’autant plus pour un individu masculin, d’imaginer le foyer comme une prison. Encore plus difficile pour la société d’imaginer la Femme comme étant encore asservie par son mari en 2012. Et pourtant, les questions évoquées dans « Modèles » font mouche et posent de justes bases de réflexions.

La mise en scène soutient finement le propos. Que les mots soient déclamés face au public sur un plateau nu, au milieu d’une cuisine ou bien à quelques mètres de hauteur, en studio. La force du spectacle réside dans le jeu des cinq actrices qui s’incarnent en donnant l’impression de jouer des rôles. Moment magique où on ne sait plus trop si c’est la femme ou la comédienne qui nous parle. On s’en fiche : c’est passionnant. 

Pratique : Jusqu’au 10 novembre au théâtre du Rond-Point, 2bis av. Franklin D. Roosevelt (8e arrondissement, Paris) – Réservations par téléphone au 01 44 95 98 21 ou sur www.theatredurondpoint.fr / Tarifs : entre 11 € et 30 € – Du mercredi au samedi à 21 h. Dimanche à 15 h 30.

Durée : 1 h 45

Mise en scène : Pauline Bureau

Avec : Sabrina Baldassarra, Laure Calamy, Sonia Floire, Gaëlle Hausermann, Marie Nicolle (musicien live : Vincent Hulot)

 




Lundi – La guerre amoureuse

« Une rencontre finlandaise ».

Le dernier roman de Jean-Marie Rouart, de l’Académie Française, publié début 2011, commence par cette citation de Nietzsche : « L’amour dont la guerre est le moyen et dont la haine mortelle des sexes est la base ».

Dans ces quelques mots, tout est dit de la suite.
Cette guerre est sans doute la seule que toutes et tous recherchent, à laquelle tous se livrent à corps et à coeurs perdus.

Et à la lecture des pages de l’académicien, on en vient à penser que la seule issue est la défaite.
Pour chacun des camps. Drôle de guerre s’il en est.

Celle à laquelle il nous est donné d’assister dans ce roman, s’est déclarée en Finlande.
Une rencontre, qui s’est très vite muée en certitude. En passion. En déchirements.

France. Finlande.
Mariage. Séparation.
Adultère. Fidélité.

L’être désiré, l’être aimé, se transforme en tyran.
Le narrateur en subit les conséquences.
Sado-masochisme, mensonges, jalousie, délaissement.
Toute l’éventail de la torture sentimentale lui devient familier, bien malgré lui.

Et naturellement, personne n’en ressort indemne.
Qui du bourreau ? Qui de la victime ? Bien malin saurait y apporter une réponse.

La guerre amoureuse.
Histoire d’une vie.

Auteur : Jean-Marie Rouart
Editeur : Gallimard
Date de parution : janvier 2011
ISBN : 2070131041

 




Une pomme et tout part en compote … Pietragalla !

Une pomme et tout part en compote …


Excusez ce jeu de mots  culinaire, et permettez-moi de vous conter l’histoire de la femme revisitée par Marie-Claude Pietragalla dans son dernier spectacle « La Tentation d’Eve ».

Et c’est hélas bien d’histoire que l’on parle ici, et non de réelle ôde à la femme.
L’histoire de la femme originelle tout d’abord, Eve. Celle qui succomba au péché. Celle qui croqua la pomme. Celle qui éloigna l’humanité du jardin d’Eden.


Puis l’histoire de la femme à travers différents âges.


La préhistoire, avec ses hurlements, hors de toute structuration, seule transcription d’une humeur, d’un instinct, mais sans articulation possible.
Puis la femme séductrice, aussi bien en Asie qu’en Grèce Antique. La parole fait son apparition.
Le Moyen-Age, la Renaissance s’enchaînent ensuite. La parole est secondaire. La condition de la femme également. Heureusement qu’il y la danse, à la Cour comme aux bals.

Le dernier centenaire vient clôturer le bal.
Le Paris de Barbara … le cabaret, les histoires d’amour, le Paris romantique … sur un air de « Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous » … Troublant de réalisme.
La folie des années 50, la femme-mère, l’enfant-roi, les tâches ménagères … et la danse comme seul échapatoire.
Et pour terminer cette course frénétique … la femme de début de 21e siècle, enfin parvenue (à quelques inégalités résiduelles près) à obtenir son naturel statut d’égal de l’homme, et jouissant de cette façon, de la même fureur du travail, du stress.



Et si tout ceci ne tenait qu’à une pomme ?


Le rythme du spectacle nous propose ainsi un véritable crescendo dans la folie.
Sous couvert de nous présenter les traits d’une structuration de la pensée, de la danse, et par là, de la vie, on assiste en fait à une destructuration de la pensée, de nos modes de vie et de communication et de nos rapports à l’autre.

Pour preuve, j’en veux cette analogie établie entre les chevaliers en armure moyen-âgeux qui paraissent tellement humains en comparaison des robots que l’on introduit progressivement dans nos foyers en ce début de 21e siècle.


Marie-Claude Pietragalla rend hommage à la femme, la femme originelle, Eve.
Mais elle lui rend un hommage particulier, presque sous forme de reproche. On sent arriver sur toutes les lèvres la question : « Mais pourquoi ? Pourquoi avoir croqué cette pomme ? » Puis, naturellement, cette interrogation : « Et si ? », oui et s’il n’y avait pas eu de pomme ?
Nous rentrons là dans des considérations théologiques …


Et Pietragalla dans tout ça ?


Pietragalla, divine, saisissante, est hélas contrainte par la scénarisation du spectacle. On souhaiterait tellement la voir s’échapper vers davantage de liberté et d’entreprise, vers une performance extraordinaire. Elle nous confirme « seulement » ses talents de danseuse étoile, bien loin d’être perdus.

Mention toute particulière à l’interprétation de « Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous », et au spectacle de marionnette, emplissant la salle d’une émotion non dissimulable, bercée par de tendres sourires.






Plus d’informations sur : http://www.pietragallacompagnie.com/



La tentation d’Eve, en tournée dans toute la France
22 mars : Lille (59), Théâtre Sébastopol
28 mars : Nantes (44), Cité des Congrès
08 avril : Genève (Suisse), Théâtre du Léman
11 avril : Clermont Ferrand (63), Maison des Congrès
19 avril : Le Mans (72), Palais des Congrès
20 avril : Angers (49), Cité des Congrès
10 et 11 mai : Toulouse (31), Casino Théâtre
12 mai : Béziers (34), Zinga Zanga
14 et 15 mai : Lyon (69) Amphithéâtre
17 mai : Nancy (54), Salle Poirel
20 mai : Nice (06), Acropolis


Billets disponibles sur FnacSpectacles
http://www.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Danse-contemporaine-MARIE-CLAUDE-PIETRAGALLA-PPIET.htm%23blocSeances