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[Théâtre] Juste la fin du monde au Théâtre de Verre

Photo : Victoria Sitja

En avril dernier, Victoria Sitjà nous avait éblouis pour sa mise en scène des « Trois Sœurs » de Tchekhov, et sa capacité remarquable à créer, sans moyens, de très belles images. Elle nous a marqué également par son idée d’aborder les questions de l’héritage et de la nostalgie à travers une trilogie composée à partir d’auteurs et de messages différents. Pour continuer ce travail, elle a mis en scène « Juste la fin du monde », de Jean-Luc Lagarce, s’inscrivant ainsi autant qu’elle se détache de l’actualité autour de cette pièce.

« Je décidais de retourner les voir, revenir sur mes pas, aller sur mes traces et faire le voyage », dès les premiers mots de Louis, la question de l’héritage chère à Victoria Sitjà est palpable. On ne cesse jamais de découvrir sa propre famille. À chaque retour chez soi, qui ne se rend pas compte que ces personnes qui nous élèvent ne nous connaissent finalement que peu ?

Le dispositif bifrontal, qui place toute l’action sur la longueur, bien que nous offrant l’excitante position de voyeur, ne porte pas toujours ses fruits dans les effets attendus par le spectateur. Parfois, la famille autour de Louis apparaît telle une brochette, figée, comme tenue par un pique. Une lecture carnassière de l’origine de Louis ? Ce parti pris souligne néanmoins la solitude évidente d’un héros isolé de par le regard de sa propre famille. À plusieurs reprises, le rythme des scènes le laisse à l’écart, en quelques échanges, il se retrouve seul si bien que les glissements vers les monologues se font avec fluidité. Autour de lui, les mots fusent, ils sont coupés, mâchés, débités, le dire des autres personnages crée une musique qui assaille, surcharge les épaules de Louis qui est le seul à parler posément. La mise en scène concoure toujours à renforcer cet effet. Dès que Louis est en famille, les lumières clignotent, les scènes s’enchaînent de même que le choix des musiques effectués par Victoria Sitjà qui nous donne à voir des images spectaculaires allant directement contraster avec les moments de solitude du héros qui, pour autant, sont particulièrement esthétiques. On se souvient par exemple de la famille qui, d’une marche synchronisée, soulève l’estrade depuis laquelle Louis déclame ses souffrances, annonçant le cortège funèbre prochain. À plusieurs reprises, la jeune metteure en scène réussit à nous saisir par ses tableaux devançant le texte et défiant l’action à venir.

On est marqué par le jeu classique d’Alexandre Risso (Louis), il contraste avec une Suzanne touchante, sincère, dont le rôle nous rappelle celui de Macha dans les « Trois Sœurs » où la comédienne s’était déjà illustrée. Mais la plus marquante, celle qui le mieux « cherche la vérité de son personnage, et arpente la réalité onirique de la représentation qu’elle crée », pour reprendre les mots de Krystian Lupa, reste la mère, vécue plus qu’incarnée par Dorothée Le Troadec, si jeune mais évoquant pourtant tant d’expérience, elle marque l’ensemble de la troupe par la puissance de son talent.

Par les contrastes dans le jeu et la plus grande simplicité de la mise en scène « Juste la fin du monde » marque une étape, certes moins aboutie que « Les Trois Sœurs », mais qui trouve une logique dans le travail en cours de Victoria Sitjà. Une étape qui accroit notre désir de découvrir cette trilogie dans son ensemble.

« Juste la fin du monde », de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Victoria Sitjà, au Théâtre de Verre en décembre 2016.




Mélancolie, paillettes et « Music-Hall »

Fondue dans un rideau rouge aux milliers de paillettes, Jacques Michel est une femme superbe. Seul en scène, il incarne une danseuse de revue d’un certain âge, imaginée par Jean-Luc Lagarce. Elle raconte son expérience avec précision, détails et plaisir : sa façon d’entrer en scène, les problèmes techniques rencontrés à de multiples reprises, comment y remédier avec ses « boys », les soucis avec les pompiers, goguenards… Des descriptions imagées qui, malgré les accidents, bercent celui qui les écoute dans ce qui a été, peut-être, une vie de féerie.

Copyright : Marc Vanappelgem
Copyright : Marc Vanappelgem

Jacques Michel prend le temps de nous montrer cette existence, de ses gestes « lents et désinvoltes », mis en scène par Véronique Ros De La Grange. Le spectateur est lui aussi dans les paillettes. L’envers du décor nous enchante au son des multiples variations de la chanson « De temps en temps » de Joséphine Baker, tantôt métallique, tantôt sobre ou passée dans une chambre d’écho immense, au fil des tableaux.

Ce plaisir, si intense soit-il, nous conduit inévitablement dans les coulisses, un miroir qui se fissure. La critique du monde et l’autocritique de soi auxquelles se livre la vieille danseuse, dessine le portrait d’une ancienne star, ainsi réduite à sillonner les salles de fêtes des banlieues grises comme un vieux microsillon parcourt un disque gondolé : un certain charme se dégage mais plus le temps passe et plus les imperfections sont audibles. D’une langue subtile évoluant au fil du spectacle, Lagarce nous conduit de l’onirisme étoilé à la nuit sans lune. On entend l’anxiété et l’angoisse de l’envers, d’une artiste en désuétude mais aussi de nous-mêmes. Car tout cela, elle l’a dit seule, face à une salle vide, attendant patiemment qu’elle se remplisse. Mais c’est déjà fini.

« Music-Hall » de Jean-Luc Lagarce. Mise en scène de Véronique Ros De La Grange, du 12 janvier au 2 avril au Théâtre de la Reine Blanche, 2bis passage Ruelle, 75018 Paris. Durée : 1h10 minutes. Plus d’informations et réservations sur www.reineblanche.com/.