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[Théâtre – Avignon] Comme une parenthèse avignonnaise en somme

Anouk Grinberg dans « Et pourquoi moi je dois parler comme toi » © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

 

Pupitres, instruments, micros, projos. Anouk Grinberg et Nicolas Repac avancent sans décors ni costumes. Pourtant vêtus de noir ils semblent complètement nus. Une musique émouvante, une voix envoûtante,  la poésie diffuse nous transperce sans qu’on s’en aperçoive. « Et pourquoi moi je dois parler comme toi »  une mise en mot bouleversante de « Textes Bruts » puissants.

Certains passent pour de l’écriture automatique, technique de rédaction spontanée très prisée par les surréalistes et dadaïstes. Mais cette littérature est celle d’internés en hôpital psychiatrique. La plupart des auteurs ne sont donc pas artistes, et pourtant…  Bien que la société les ait écartés, ils sont les mieux placés pour exprimer un désir de vie. Si certains sont malades, d’autres sont juste sensibles. Leur point commun est d’être tous des incompris, privés de parole artistique et sociale.

Leurs mots s’échappent un temps des murs des hôpitaux, de même que leurs maux s’enfuient par leurs plumes. Ce sont des lettres à leurs proches qui les ont enfermés, ou des journaux intimes où sont librement rédigés leurs désirs les plus fous. Les textes que l’on entend sont assez tristes souvent, mais drôles aussi, parfois. Et lorsque l’on s’amuse, c’est rarement volontaire, comme à la dérobée. Car le geste artistique d’un tel spectacle est loin d’être voyeur, encore moins impudique.

Sur un plateau simple, dénué d’artifice, le duo se saisit de ce phrasé dit « brut » et gagne le spectateur d’une osmose caressante. La souplesse des notes de Nicolas Repac épouse la chair des mots qu’Anouk Grinberg souffle d’une voix brune et suave. Le passage à Lili rend une grâce authentique à un cri pour un corps qui conquiert l’assemblée. Dans un savant mélange de musique et de verbe, « Et pourquoi moi je dois parler comme toi » nous murmure à l’oreille un tumulte intérieur qui peut faire chavirer.

 

« Et pourquoi moi je dois parler comme toi » par et avec Anouk Grinberg et Nicolas Repac

 




Un roman épistolaire prémonitoire

Inconnu à cette adresse, la force époustouflante d’un roman épistolaire fictif et prémonitoire.

D’un côté de l’atlantique Max Eisenstein de l’autre Martin Schulse. Leur correspondance débute, lorsque l’exil de Martin aux Etats-Unis prend fin en 1932. Max reste sur le sol américain pour affaire et Martin retourne en Allemagne avec sa femme et ses fils. Partenaires dans la vie professionnelle (co-gérants d’une galerie d’art) et amis dans la vie privée et presque beau-frère c’est donc très naturellement que débute leurs échanges. Échanges très libre au cœur desquels la famille, leur patrie l’Allemagne et le rôle qu’ils tiendront dans sa re-construction.

 

La force du roman de Kressman Taylor réside dans le fait qu’en quelques mots on est totalement plongé dans l’intimité des deux acolytes. En quelques lettres on devient le témoin muet de leurs échanges. Ancêtre de la télé réalité, les recueils épistolaires en partagent la dynamique principale, le voyeurisme. On partage les moments les plus intimes des correspondants, petits bonheurs ou grands malheurs. Embarqué avec eux dans la projection malheureusement visionnaire de Taylor de la montée du nazisme. Le roman terminé un an avant que la guerre n’éclate prend ainsi une sombre résonance prophétique.

 

La force de l’adaptation sur scène de Michèle Levy-Bram est que ce qu’on perd dans l’intimité feutrée du papier on le gagne en interactivité et en fulgurance. La mise en scène est conçue comme un match. Deux bureaux douillets éclairés successivement et c’est les yeux rivés à la scène que le regard passe de gauche à droite et de droite à gauche. La balle, la lettre. Le filet, l’océan. Le rythme des échanges permet aux duos successifs interprétant Martin et Max* de poser chaque mot et de monter en intensité dans leur jeux. Qui dit match dit gagnant et perdant mais ici le but n’est pas les honneurs et une belle coupe en cristal le but c’est la vie et les échanges n’en seront que plus décisifs.

 

Quand deux histoires personnelles rencontre la grande Histoire, voici une occasion percutante d’aborder autrement le sujet de la seconde guerre mondiale.

 

* les duos interprétant les deux personnages de Max et Martin au Théâtre Antoine :

  • Janvier : Gérard Darmon et Dominique Pinon
  • Février : Thierry Frémont et Nicolas Vaude
  • Mars : Thierry Lhermitte et Patrick Timsit
  • Du 4 Septembre au 29 Septembre : Richard Berry et Franck Dubosc
  • Du 2 Octobre au 3 Novembre: Stéphane Guillon et Pascal Elbé
  • Du 6 Novembre au 1° Décembre: Jean-Paul Rouve et Elie Semoun

 

Pratique : Jusqu’au 1er décembre au théâtre Antoine, 14 boulevard de Strasbourg (75010 Paris)
Réservations par téléphone au 01.42.08.77.71 ou sur http://www.theatre-antoine.com/
Tarifs : entre 19€ et 36 € – Du mardi au samedi à 19h00

Durée : 1 h 00

Mise en scène : Michèle Lévy-Bram et Delphine de Malherbe