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« Le Bal des Vampires », rencontre glacée entre Dracula et Obispo

© VBW / BRINKHOFF/ M÷GENBURG
© VBW / BRINKHOFF/ M÷GENBURG

Depuis quelques années, la direction du Théâtre Mogador importe à Paris ce genre si apprécié de nos voisins anglo-saxons : le « musical ».  Mamma Mia !, Le Roi Lion, Sister Act ou encore Cendrillon : des titres connus de Broadway au Victoria Palace. La production 2014-2015, Le Bal des Vampires, est une création de la fin des années 90 reprenant la trame du film éponyme de 1967 réalisé par Roman Polanski, dans une mise en scène signée de lui-même.

On retrouve les principaux personnages du film : le professeur Abronsius, Shagal, l’aubergiste juif, futur vampire insensible de part sa religion au crucifix. On retrouve Sarah, sa fille qui sera enlevée par le comte Von Krolock et Alfred, l’assistant du professeur qui en est amoureux. Le spectacle, divisé en deux parties, se déroule entre l’auberge de Shagal et le château du comte noctambule.

L’humour et le burlesque de l’histoire (qui s’attache à faire ressortir l’aspect bassement humain des vampires) sont ici mis en valeur par une mise en scène précise. Les maquillages et les costumes magnifiés par la lumière sont très esthétiques et donnent au spectacle un aspect onirique souvent enchanteur. Quelques très belles images défilent sous nos yeux, soutenues par une machinerie importante. On remarque aussi de belles chorégraphies de masse, notamment celle de la deuxième partie où des monstres virevoltent autour du lit que le professeur et son assistant occupent dans le château hanté. On est aussi effrayé positivement par une scène fantastique où les cercueils d’un cimetière vomissent des vampires en continu, avant que ces derniers ne se rendent au bal. Tout cela sans oublier un final épuré et réussi.

L’utilisation de la vidéo est un avantage qu’exploite bien le metteur en scène : course en forêt, chute de neige, apparition du château dans la brume, tout cela contribue à la beauté du spectacle.

Malheureusement, tout cet étalage de technique est fortement atténué par la pauvreté du livret. Du transport fantastique on sombre régulièrement dans la mièvrerie : la potentielle histoire d’amour entre Alfred et Sarah est l’histoire directrice et les chansons suivent ce parti pris. On se surprend à penser que Gérard Presgurvic, à l’origine de la comédie musicale Roméo et Juliette aurait proposé des paroles moins niaises ; au Mogador, c’est plus Twilight que Le Bal des Vampires. Pour noircir le tableau, c’est comme si le comte Von Krolock se transformait en Pascal Obispo dès qu’il ouvre la bouche.

La musique semble résulter d’une rencontre fortuite du titre « Final Countdown » d’Europe et un Hans Zimmer ivre. Très peu d’éléments nous plongent dans une quelconque ambiance hantée comme on pourrait s’y attendre. Les instrumentations sont d’une désuétude incroyable : on est en droit de se demander si aucun progrès n’a été fait dans ce domaine depuis Starmania en 1978. Et c’est bien dommage, la version muette du spectacle aurait été sans doute plus réussie.

« Le Bal des Vampires », mise en scène Roman Polanski,  actuellement au Théâtre Mogador, mardi au samedi à 20h, le samedi et le dimanche à 15h. Durée : 2h30 (entracte compris). Plus d’informations sur www.lebaldesvampires.fr.




Sans visage – Chronique de l’horreur peu ordinaire

Pekka Hiltunen - Sans visage - Couverture
Pekka Hiltunen – Sans visage – Couverture

Un thriller qui nous vient du froid et interroge sur notre société contemporaine. Par l’intermédiaire des yeux d’une étrangère émigrée à Londres (Lia Palaja), Pekka Hiltunen nous fait réfléchir sur les mutations en cours au sein de nos sociétés occidentales.

La montée en flèche de violences toujours plus sordides, la prise de conscience et l’engagement citoyen, la crise de confiance croissante envers les institutions et administrations, police en tête.

Deux événement déclencheurs de toute l’histoire.
Le premier : une découverte macabre à l’arrière d’un coffre de voiture. Des restes humains, oeuvre d’un passage acharné d’un rouleau compresseur de chantier, déposés aux yeux de tous en plein coeur de la City. Voilà pour l’origine du mal.
Le second : la rencontre entre deux Finlandaises en terre étrangère (Lia et Mari), qui dès les premiers instants, comprennent qu’elles ont une histoire à écrire et vivre ensemble. Voilà pour l’origine du bien.
Vision quelque peu manichéenne qui va toutefois se voir nuancée au fil du récit.

Ce thriller, premier d’une trilogie londonienne, est un manifeste non dissimulé pour un certain féminisme, en guerre active contre la prostitution et les violences faites aux femmes. Un combat fortement teinté d’engagement politique, pour prévenir notre société moderne des dérives que peut engendrer la tentation de se rallier aux extrêmes. Notamment au regard de l’immigration et des débats publics que l’on connaît actuellement dans de nombreux pays européens.

« Sans Visage » peut se lire comme une ode au multiculturalisme. Au coeur d’un Londres composé de populations de tous horizons (est-ce qu’il le restera ? Les débats en cours en Grande-Bretagne pourraient modifier la donne). Avec deux héroïnes finlandaises. Et des personnages venus d’Europe de l’Est. Quel destin pour ces émigrés, en quête d’un nouvel avenir ?

Des ingrédients assez basiques finalement dans la littérature, mais qui font mouche sous la plume du finlandais Pekka Hiltunen. Sans doute grâce aux personnalités fortes des différents personnages, Lia et Mari en tête, et au rythme haletant du récit. Malgré certaines invraisemblances ou « heureux hasards » dirons-nous, « Sans Visage » ne vous laissera de répit qu’une fois achevé. Impossible de s’y soustraire en cours de lecture … 

Extrait :
La panique se propagea dans la rue. Elle se répandit sur les visages des passants et dans leurs gestes inquiets.
Encore écrasée par la torpeur matinale, Lia fixa la scène à travers la vitre du bus. Tous les passants arboraient soudain la même expression, comme une grimace provoquée par une terrible nausée.
On était début avril. Lia se rendait à son travail. C’était une cérémonie de soumission quotidienne, une heure en offrande au flux de la circulation qui traversait cette ville trop grande et trop remplie. Pour Lia, vivre à Londres signifiait vivre collée à d’autres personnes, un abandon constant de son propre espace vital au profit des autres.
Ce matin-là, dans la rue Holborn, peu avant le terminus de la rue Stonecutter, elle vit quelque chose qu’elle n’avait jamais aperçu auparavant.
L’instant avant la catastrophe. C’est à ça que ça ressemble.
Une voiture était garée sur le trottoir et une foule se pressait tout autour. Là se trouvait la source de la peur, le point zéro d’où la panique se propageait.
La voiture était une grosse Volvo blanche, garée en travers du passage piétons, comme abandonnée là en urgence. On n’apercevait personne à l’intérieur du véhicule mais le coffre était grand ouvert. Les passants le montraient du doigt, et ils étaient de plus en plus nombreux à ralentir le pas et à s’arrêter.
Dès qu’une personne s’approchait suffisamment pour voir à l’intérieur du coffre, son expression changeait. La grimace.
Quel qu’ait été le contenu, il les pétrifiait tous, comme s’ils recevaient un coup en pleine figure. Beaucoup se dépêchaient de s’éloigner.
Pourtant, la foule continua à s’amasser sur les lieux.
Par la porte ouverte du bus, Lia entendit les exclamations des passants. C’étaient des phrases angoissées, hachées, elle n’arrivait pas à savoir ce qui s’était passé. Un homme appelait un numéro d’urgence avec son portable. Une dame âgée avait fermé les yeux et répétait : «Mon Dieu. Mon Dieu.»
Lia se mit debout pour voir ce qui se passait sur le trottoir, mais à l’instant même le bus démarra et les portes se fermèrent. Le chauffeur appuya sur l’accélérateur pour se réinsérer dans la circulation. L’instant d’après, Lia fut projetée contre le siège devant elle, puis rebondit sur son propre siège. Le chauffeur avait pilé pour ne pas entrer en collision avec deux véhicules qui étaient venus se garer devant lui.
Le premier était une voiture de police. Ce n’est qu’en voyant le gyrophare clignoter sur le toit, même une fois la voiture arrêtée, que Lia fit le lien avec la sirène assourdissante qu’elle entendait en fond sonore. Le second véhicule qui s’était frayé un passage était une camionnette d’une chaîne télé, flanquée du logo d’ITV News.
Le bus repartit. Lia ne pouvait plus apercevoir l’intérieur de la Volvo d’aussi loin. En un instant, la scène étrange fut derrière elle.

 

Pratique :
Sans Visage – Pekka Hiltunen
Titre original : Vilpittömästi sinun
Traduction française : Taina Tervonen
448 pages
Editeur : BALLAND (5 avril 2013)
Langue : Français
ISBN : 978-2353151671