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Un « Roi Lear » entre boulevard et grand guignol

Copyright : Christophe Vootz
Copyright : Christophe Vootz

Monter le Roi Lear de Shakespeare à la Madeleine a conduit Jean-Luc Revol a prendre de multiples risques. D’abord, celui de transposer l’action dans un tournage de film des années 30, où projecteurs et pétards à amorces sont les accessoires les plus manipulés par les acteurs. Autre élément remarquable : le nombre de comédiens sur scène. Ils sont une quinzaine, ce qui pour une production de théâtre privé (entendez : avec l’obligation de réaliser suffisamment de bénéfices pour payer tout le monde), est particulièrement exceptionnel.

Heureusement, la transposition est effectuée sans toucher au texte. Jouer Shakespeare « en costume » aujourd’hui serait probablement jugé de très mauvais goût. Ici, les multiples intrigues de la pièce sont claires et si, d’aventure, un spectateur ne connaît pas « l’histoire » du Roi Lear, cette version est d’une grande lisibilité. On comprend tout.

Les acteurs se mettent au service du drame. Au premier rang desquels Michel Aumont qui sombre peu à peu dans la folie avec finesse. Bruno Abraham-Kremer est aussi un Kent excellent. Arnaud Denis et Jean-Paul Farré nous captent aussi par la profondeur et les nuances de leurs personnages. On regrettera le jeu trop dramatique de Marianne Basler. Beaucoup trop de sincérité se dégage de ce personnage de fille hypocrite conduisant son vieux père à la déraison.

Copyright : Christophe Vootz
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Quelques légères maladresses dans la mise en scène peuvent gêner l’expérience théâtrale : les chorégraphies de combats, la musique et quelques morts trop longues conduisent le public à rire dans des moments tragiques. Bien que, parfois, des instants comiques jalonnent le drame, comme c’est souvent le cas chez Shakespeare.

Au final, on garde de ces 2h40 de représentation une sensation agréable : pas de colère ni d’ennui. Un spectacle complet et plaisant, qui ne manquera pas de se parfaire, espérons-le, tout au long de la saison.

« Le Roi Lear » de William Shakespeare. Mise en scène de Jean-Luc Revol, actuellement au Théâtre de la Madeleine, 19 rue de Surène, 75008, Paris. Durée : 2h40. Plus d’informations et réservations sur www.theatre-madeleine.com/.




« Les uns sur les autres » à la Madeleine : premier raté pour Confino

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Depuis la fin du mois de janvier, le théâtre de la Madeleine accueille la pièce « Les Uns sur les Autres » dans une mise en scène de Catherine Schaub. Ce drame comique, de Léonore Confino, raconte la vie d’une famille banale, de la scène quotidienne du « à table ! » incessamment répété par la mère de famille à celle du fils qui joue aux Doom-likes, en passant par le père toujours pressé d’aller au travail. Bien sur, au théâtre, ce n’est pas ce qu’on raconte qui constitue l’intérêt de la pièce, mais la manière dont cela est dit. Et c’est bien là tout le problème…

Pourtant, l’histoire de cette création débutait comme l’une des nombreuses success story que connaît la scène privée parisienne. Une jeune auteure sur la route ascendante est mise en scène dans un beau théâtre, celui de la Madeleine. Pour ajouter du piquant à l’événement, le rôle principal sera tenu par Agnès Jaoui en personne, elle qui n’avait pas foulé les planches depuis la dernière de Un air de famille en 1994 qui avait connu un succès unanime. Mais voilà, le texte, l’histoire, ces mots qui font l’essence même d’un spectacle, ne sont pas à la hauteur de l’événement.

Le propos de Leonore Confino se veut universel. C’est d’ailleurs cela qui a touché Agnès Jaoui et qui lui aurait donné envie de remonter sur une scène. Malheureusement, cette universalité espérée n’est qu’un pale reflet des problèmes que subit au jour le jour la famille bourgeoise de classe moyenne, plutôt supérieure. Non, tous les maris ne rêvent pas de quitter leur femme le matin en allant au travail, non, toutes les femmes ne sont pas apeurées à l’idée d’être en retard chez l’ostéopathe ou l’acupuncteur parce que la pièce de 1 euro est restée coincée dans le cadis à Intermarché. Et si l’on prend un peu de distance sur le propos : non, toutes les femmes ne sont pas maltraitées, obligées de rester chez elles pour tenir la maison. C’est néanmoins le cas du personnage joué par Agnès Jaoui, et ce jusqu’à la caricature la plus vulgaire de la fin de la pièce où maman qui en a marre raconte à son fils qu’elle avait « le vagin large comme une autoroute » après l’avoir mis au monde et qui confesse à sa fille qu’elle arrive à garder papa à la maison parce qu’elle « taille des pipes d’enfer ».

Le procédé d’écriture est pourtant amusant. Il mélange phrases construites et nuages de mots devenus lieux communs sur la vie de notre siècle, où les gens sont toujours pressés. Mais là aussi, on tombe vite dans l’idée reçue et très vite, l’humour disparaît.

Soulignons le risque qu’ont pris Jean-Claude Camus et Jean Robert-Charrier de mettre dans cette grande salle une jeune auteure, pas ou peu connue du grand public. Leonore Confino a rencontré son premier véritable succès que très récemment, avec Ring, au Petit Saint-Martin. Ce texte sur l’amour, le couple, ses succès et ses problèmes était juste, drôle, triste et joyeux. Il était porté par deux interprètes pour qui ces saynètes semblaient taillées. Coup de chance ? Ou trop d’ambition trop vite ? À La Madeleine, ça ne prend pas.

Les comédiens pourtant s’accrochent. Mais, comme un grand musicien à qui l’on donnerait une partition médiocre, on est bien obligé de voir qu’ils font ce qu’ils peuvent. Nous pourrions évoquer la belle scénographie, les procédés de mise en scène ingénieux (notamment le moment où l’adolescente anorexique atteint enfin un IMC négatif et donc devient invisible). Mais rien n’est suffisant pour sauver la pièce, à qui l’on souhaite de tomber rapidement, pour éviter à Léonore Confino que son nom soit associé trop longtemps à cet échec.

Pratique :
Actuellement au théâtre de la Madeleine
13 rue de Surène, 75008 Paris
Du mardi au samedi à 21h – Matinée le samedi à 16 h
Durée : 1h25
Tarifs : 20/52 €
Réservations au 01 42 65 07  09 ou sur http://www.theatre-madeleine.com/