1

Le chant du tigre Clémenceau

Copyright : J. Stey
Copyright : J. Stey

Au théâtre Montparnasse, Claude Brasseur et Michel Aumont sont réunis pour jouer un épisode de la vie de Georges Clémenceau et Claude Monet sur les plages de Vendée. L’histoire est centrée autour d’une dispute récurrente entre les deux amis : le report incessant voulu par le peintre de l’ouverture de l’Orangerie, que l’homme politique a pourtant obtenu pour exposer les œuvres majeures de celui-ci. De ce postulat historique, naissent d’autres histoires annexes qui questionnent les relations humaines et intimes entre deux grands personnages et leur entourage.

Ce sont deux hommes en fin de vie : le premier est désabusé par la politique, l’autre par la peinture, pourtant les deux moteurs de leurs existences respectives. Pour Clémenceau, les idéaux se sont estompés au profit d’un regard cynique ; pour Monet, ce sont ses yeux qui lui jouent des tours : il ne voit plus les couleurs comme autrefois. La relation entre les deux hommes est pagnolesque : sincère, humaine et teintée de la profondeur créée par des vies difficiles.

Les liens noués avec les autres personnages accentuent la note altruiste de la pièce. On pense notamment à la figure de la bonne, symbole de l’esprit terre-à-terre, préoccupée par le prix du chou-fleur et prenant Monet pour un obsessionnel de l’eau. On observe aussi Clémenceau nourrissant un amour de jeune homme pour son éditrice, Marguerite Baldensperger. On assiste finalement à l’intimité qui se crée entre ces personnages.

Le texte, bien qu’assez peu surprenant, est plein de bonnes phrases et autres traits d’humour historiques. Tout l’intérêt du spectacle réside dans la présence des deux immenses acteurs. Aumont et Brasseur sont d’une incroyable justesse, se confondant avec l’idée qu’on se fait aujourd’hui de ces deux personnages. On oublie vite « Mon beau père est une princesse » pour le premier et « Le Tartuffe » pour le second, deux mauvaises expériences dans lesquelles les acteurs se sont illustrés les saisons précédentes.

La mise en scène de Christophe Lidon est à la fois classique mais aussi créative et poétique, comme à son habitude. L’action baigne dans Les Nymphéas de Monet projetés sur différents éléments de décors composés d’écrans. L’ambiance en devient aérienne et liquide. Le discours est parfois accompagné de quelques notes de piano ou de violon, point d’orgue d’un spectacle où la puissance de deux personnalités immenses est contrebalancée par un décor léger et apaisant.

« La Colère du tigre » de Philippe Madral, actuellement au Théâtre Montparnasse, 31 rue de la Gaîté (14e arrondissement), le mardi à 19h30, du mardi au samedi à 20h30. Samedi à 17h30 et dimanche à 15h30. Durée : 1h10. Plus d’informations sur www.theatremontparnasse.com.




Des impressionnistes inédits au musée Marmottan-Monet

Le musée Marmottan-Monet est un lieu de pèlerinage pour l’amateur d’impressionnisme puisqu’Impression soleil levant de Monet, la toile qui a donné son nom au plus célèbre mouvement pictural du XIXe siècle fait partie de la collection permanente. Une collection qui a pris une forme nouvelle depuis l’entrée en fonction de Patrick de Carolis, membre de l’Académie des Beaux-arts, installé à la tête du musée en 2013.

Le nouveau dirigeant a pris le parti de rassembler les œuvres de Monet, principale richesse de l’établissement, dans un seul espace au sous-sol sur des cimaises blanches. Les toiles gagnent en lisibilité par rapport à leur ancien accrochage sur les murs Empire, ornés de dorures et peints en bleu. Toujours dans cette idée de rassemblement, ce sont désormais deux salles qui, à l’étage, regroupent les œuvres de Berthe Morisot dont le musée possède 80 pièces.

Le troisième changement, le plus marquant, réside dans le choix de créer désormais une scénographie originale pour les expositions, afin de rompre avec l’espace galerie impersonnel qui accueillait jusque-là les événements temporaires.

DETT
Fig. 1 – Alfred Sisley – Une cour à Chaville (vers 1879)

Cet espace est inauguré par des toiles rares, puisque c’est une cinquantaine de collectionneurs qui ont prêté des œuvres, pour la plupart impressionnistes, afin de constituer une exposition dont c’est le leitmotiv : voir des richesses qui, habituellement, ornent les murs de beaux appartements. La centaine d’œuvres rassemblée provient de France, des États-Unis, de Suisse, de Grande-Bretagne et même du Mexique. C’est amusant de voir que la personnalité du collectionneur est au cœur de l’actualité de l’histoire de l’art, puisque le festival de cette discipline y sera consacré au mois de mai prochain.

La majorité des pièces ainsi sorties des collections ne l’ont pas été depuis plusieurs dizaines d’années (certaines depuis les années 30 aux dires de la commissaire d’exposition !). Outre des huiles, quelques dessins et deux sculptures sont montrées. La taille de l’exposition est la bonne. L’œil se contentera de ces cent œuvres sans avoir la sensation, ni de rester sur sa faim, ni de faire une overdose. De plus, la variété des thèmes exposé écarte largement cette dernière possibilité. Les toiles claires sont installées sur des cimaises aux couleurs mates et dans un éclairage paisible. Ce qui a pour effet de faire ressortir toute la lumière intrinsèque aux œuvres. Le parti pris a été fait de les faire se suffire à elle-même, sans commentaire, puisqu’un seul panneau de présentation est lisible à l’entrée, sans compter les cartels. Le visiteur est libre au milieu des peintures.

Petit_10748Bazil.ti
Fig. 2 – Frédéric Bazille – La Térasse de Méric (1867)

Un fil rouge chronologique a été tracé. On commence par la seule toile du jeune Frédéric Bazille, une vue du parc Méric (Fig. 2), plus loin ce sont des dessins réalisées par un Monet de 18 ans qui dans son âge tendre caricaturait les figures locales du Havre. Dans l’espace suivant, une étude pour les Folies Bergères de Manet met en scène une jeune femme de ce monde interlope qui nous regarde.

Nous voyons tout au long de l’exposition beaucoup de paysages, naturels (majoritaires) ou urbains. Notamment un très beau Quai de la Rapée de Guillaumin, La Seine à Bougival  d’Alfred Sisley, des vues de Paris par Pissaro et d’élégantes vues de la plage de Trouville par Monet. Nous remarquons également un bouquet de roses et pivoines par Renoir et quatre tableaux impressionnistes de Cézanne, dont le lien avec son maître Pissaro est ici limpide. L’accrochage fait ressortir les similitudes de composition entre les toiles et montre une belle cohésion d’ensemble.

degas_edgar_pagan
Fig. 3 – Edgar Degas – Pagan et le père de Degas (vers 1895)

La section Caillebotte est aussi très réussie. Le peintre qui représente ce qu’il voit depuis la fenêtre de l’appartement qu’il partage avec son frère nous livre ici une vue de la rue Halévy et une magnifique Femme à la fenêtre (Fig. 4). Dans la suite du parcours, les visages se font plus présents, chez Degas (Fig. 3) et chez Renoir, encore. La variété des œuvres et la présence de pièces graphiques font encore ressortir (ce qui normalement doit être acquis pour chaque visiteur !) : les impressionnistes sont aussi des dessinateurs précis.

Nous soulignerons enfin que (air du temps oblige ?) Berthe Morisot, Mary Cassatt et Eva Gonzales, les trois femmes du mouvement bénéficient d’une belle place, néanmoins artistiquement méritée.

L’exposition se termine sur un Nymphéa de Monet, clin d’œil à la collection permanente du musée. Une étonnante vue de Leicester Square la nuit (du même peintre) est également présente dans cette salle qui « conclue » de façon lisible le parcours effectué par le visiteur avec les prémices d’une sortie de l’impressionnisme, sans trop s’en éloigner.

caillebotte_interieur
Fig. 4 – Gustave Caillebotte – Intérieur, femme à la fenêtre (vers 1880)

Infos pratiques :

L’exposition se tient jusqu’au 6 juillet 2014 au musée Marmottan-Monet, 2 rue Louis-Boilly, 75016 Paris – Métro La Muette (M9), RER Boulainvilliers (Ligne C). Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu’à 20h. Tarifs : 10/5€. Site internet : www.marmottan.fr

Le catalogue d’exposition sous la direction de Marianne Mathieu et Claire Durant-Ruel Snollaerts est disponible chez Hazan. Broché, 120 illustrations, 232 pages au prix de 29 €.