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[Cinéma] Call Me by Your Name

© Sony Pictures Classics

Dans une maison d’été en Italie du nord, Elio Perlman profite de son jeune âge ainsi que des beaux jours, pour lire, se languir, et découvrir son corps. La dernière création de Luca Guadagnino nous emmène, paisible, à l’aube d’un amour aussi doux que poignant. Le film n’a obtenu que l’Oscar de la meilleure adaptation, il méritait un peu mieux.

Avec grand raffinement, on entend résonner quelques notes de Bach, des portes qui se ferment et des pieds humides marchent sur la tomette fraîche. Repas et discussions s’enchaînent et s’entremêlent pour qu’une tension grisante se ressente dès les premiers instants. Deux garçons vont s’aimer, mais avant ils se cherchent. Le plus jeune se surprend attiré par les hommes, tandis que son aîné se frotte à l’inédit. Peut-être est-ce la langueur de la douce Lombardie qui fera que ces corps s’enflammeront mutuellement ? Ou bien est-ce la chaleur de l’été du bel âge qui permet à ces coeurs de s’aimer l’un et l’autre…Peut-être un peu des deux.

Elio Perlman apprivoise sans vraiment le vouloir la rudesse apparente d’un collègue de son père. Grand blond et élégant, Oliver est charmant mais s’interdit sans doute à séduire de front le bel adolescent. On assiste envoûté à l’exploration des corps, l’éveil d’une chair grisée par le soleil dans une quête de l’extase. Pourtant ce n’est pas de sexe dont nous parle ce film, mais de sensualité. Les deux hommes se frôlent. La connivence est telle que le spectateur peut, s’il se laisse embarquer, brûler dans son fauteuil.

D’aucuns pourraient s’attendre à une fade reprise d’un Blé en Herbe (Claude Autant-Lara, 1954) mais ils verront seulement une adaptation géniale du roman éponyme de André Aciman (2007). Une étreinte dans la grange, une sieste ombragée, des fruits mûrs dans les arbres, tout peut sembler « cliché » pourtant il n’en est rien. Dans chaque plan, chaque image la jouissance est de mise et installe le génie du réalisateur. La bande originale entretient les émois d’amants qui brûlent l’un pour l’autre dans de grands moments qui frôlent le sacré…

Ce qui est délicieux c’est aussi le mystère, car on ne sait déceler à quel moment commence la parade amoureuse de ces beautés antiques. Les personnages se meuvent, dans une bâtisse bourgeoise aux fenêtres grandes ouvertes à l’image des passions. Tout est beau, rien n’est faible, pas même l’ultime échange entre Elio et son père, sur l’amour d’homme à homme, ou la simple amitié. C’est en images suaves et par des mots délicats, empruntés au français, à l’italien, l’anglais,  que l’on peut pénétrer dans ce récit adroit d’une liaison torride. Une caresse en somme.

« Call Me by Your Name » de Luca Guadagnino, sortie au cinéma le 28 février.

Scénario : James Ivory

Elio Perlman : Timothée Chalamet (Nommé pour l’Oscar du meilleur acteur)
Oliver : Armie Hammer (Golden Globe du meilleur acteur dans un second rôle)
M. Perlman : Michael Stuhlbarg
Annella Perlman : Amira Casar
Marizia : Esther Garrel
Chiara : Victoire du Bois

 




De l’insouciante légèreté de la jeunesse

L’âge de la jeunesse : passage sublime et inconscient duquel on ne sort jamais indemne et dont on garde, souvent, des souvenirs impérissables. Une période qu’Arnaud Desplechin raconte avec douceur et légèreté dans son dernier film, Trois souvenirs de ma jeunesse

Le temps qui passe, l’existence, l’amour, autant de thème qu’aborde ce nouveau long-métrage, qui, une fois de plus, ne nous déçoit pas en étant cet hymne à la vie et au vivant. D’un récit en trois parties, le réalisateur nous conte différentes étapes, de l’enfance à l’adolescence, sous les traits et le jeu de Paul Dédalus, son personnage principal. Pourtant, à la fin du film, c’est bel et bien d’Esther dont on a retenu le nom et le visage ; cheveux blonds et regard enchanteur, elle est le souvenir d’un amour de jeunesse perdu. Le cœur de l’histoire repose ainsi sur l’amour, naïf, brut, que les relations adolescentes peuvent entretenir. Les liaisons passionnées et destructives de nos vieux amants d’antan qui conditionnent notre avenir.

© Jean-Claude Lother / Why Not Productions
© Jean-Claude Lother / Why Not Productions

Les premières minutes du film portent l’ambiance nostalgique et mélancolique qu’accompagne les belles histoires d’amours qui se terminent. Paul, s’apprête à quitter le Tadjikistan et les bras d’une jolie femme qui semble plus émue que lui à l’idée de le voir partir. Il retourne en France, très vite rattrapé par des souvenirs : son enfance et la relation conflictuelle avec sa mère, les liens familiaux avec ses frères et sœurs, sa première sortie scolaire avec son meilleur ami. Avec succès, Desplechin, ne manque pas de jouer sur le décalage narratif de certaines séquences, intervertissant des scènes dramatiques avec de l’action. Le chapitre sur la Russie est d’ailleurs un battement très agréable de l’histoire, bref mais efficace, qui donne une nouvelle dynamique. Une partie primordiale pendant laquelle Paul est amené à offrir ses papiers à un jeune garçon, lui donnant ainsi son identité. N’étant alors plus le seul Paul Dédalus sur la terre, il se questionne quant à l’existence et sur qu’est-ce « être quelqu’un ».

Son existence, il ne semble l’avoir trouvé qu’à travers les yeux d’Esther, qui constitue la troisième partie, bien plus longue, du film. Loin des teen movies à l’eau de rose, c’est une histoire d’amour poétique, philosophique presque, qui revient sur les prémisses des premiers amours, des tendres moments de séductions aux désaccords qui entrainent la rupture. Un tableau sublime qui se compose doucement pendant plus de deux heures par le biais de séquences intemporelles, d’images comme ralenties, de regard fixe qui emportent le spectateur. D’une beauté visuelle, le film repose également sur la qualité de ces dialogues et du génie du bon mot de Desplechin. On lui reconnaît l’art de la citation, de la belle parole qu’il nous chuchote aux oreilles. Chaque mot sonne juste et vrai résonant ainsi plus fort en chacun de nous.

De cette envolée filmique on retient également les acteurs, Quentin Dolmaire (Paul) et Lou Roy Lecollinet (Esther). Tous deux signent ici leur premier grand rôle avec triomphe. De leur maladresse, se transmet un charme fou. Attachant dans leurs imperfections, ils sont tous deux le reflet d’une jeunesse exaltée et passionnée qui promet de grande chose. Trois souvenirs de ma jeunesse agit comme un véritable miroir et nous renvoie à nos expériences (mal)heureuses de jeunesse. Un film qui en bouleversera certains, doux, tendre dans lequel flâne un agréable parfum de nostalgie donnant envie d’avoir à nouveau 20 ans.

 « Trois souvenirs de ma jeunesse », d’Arnaud Desplechin, sortie au cinéma le 20 mai 2015.




Passion simple, voyage amoureux

Copyright : Benoite Fanton / Wikispectacle
Copyright : Benoite Fanton / Wikispectacle

Elle se réveille un matin toute habillée dans une chambre d’hôtel. Enseignante quadragénaire du début des années quatre-vingt-dix elle se remémore la passion qu’elle a connu en étant la maîtresse d’un homme, sa rupture, la reprise puis l’extinction… tout ça sur fond de Lambada et de Sylvie Vartan.

Le texte d’Annie Ernaux est débordant de détails précis et universel sur la posture d’attente face à l’être, si ce n’est aimé au moins désiré. Le téléphone qui sonne, l’espérance d’entendre la voix tant souhaitée et la colère ressentie contre l’interlocuteur qui n’est pas celui que l’on espérait être. Enfin, notre avenir qui ne dépasse pas l’horizon du prochain rendez-vous. Passion simple dépeint toutes ces situations dans lesquelles chacun se donne une posture pathétique volontaire, et enfin, lorsqu’elle le voit, elle est incapable d’apprécier le temps présent, obnubilé par son départ forcément trop proche.

Spectateur, on se questionne alors sur la soumission, ou comment les contraintes sont sources d’attente et de désir. Sur l’idéalisation de l’être aimé. On se surprend à accorder une importance certaine à cette histoire banale, mais oh combien plaisante à écouter.

Le sujet traité un nombre incalculable de fois adopte alors un tour prenant. Marie Matheron, seule en scène, est captivante, elle parle d’une voix grave et posée tout en prenant au fur et à mesure de plus en plus distance de son personnage, ce qui a pour effet de dédramatiser cette aliénation dans laquelle elle nous entraîne et de lui donner une pointe d’ironie délicieuse. Peu à peu, son bel amant devient un cadre parmi d’autres, un abruti qui parcourt les Grands Boulevards fiers de siéger dans sa grosse voiture. Enfin, elle en s’en détache, et, avec seulement du plaisir, le public parcours ce chemin sentimental passionné en toute quiétude.

Pratique : Jusqu’au 7 juin au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs (6e arrondissement). Du mardi au samedi à 18h30. Durée : 1h. Réservations sur http://www.lucernaire.fr/ et au 01 45 44 57 34.




Lundi – La guerre amoureuse

« Une rencontre finlandaise ».

Le dernier roman de Jean-Marie Rouart, de l’Académie Française, publié début 2011, commence par cette citation de Nietzsche : « L’amour dont la guerre est le moyen et dont la haine mortelle des sexes est la base ».

Dans ces quelques mots, tout est dit de la suite.
Cette guerre est sans doute la seule que toutes et tous recherchent, à laquelle tous se livrent à corps et à coeurs perdus.

Et à la lecture des pages de l’académicien, on en vient à penser que la seule issue est la défaite.
Pour chacun des camps. Drôle de guerre s’il en est.

Celle à laquelle il nous est donné d’assister dans ce roman, s’est déclarée en Finlande.
Une rencontre, qui s’est très vite muée en certitude. En passion. En déchirements.

France. Finlande.
Mariage. Séparation.
Adultère. Fidélité.

L’être désiré, l’être aimé, se transforme en tyran.
Le narrateur en subit les conséquences.
Sado-masochisme, mensonges, jalousie, délaissement.
Toute l’éventail de la torture sentimentale lui devient familier, bien malgré lui.

Et naturellement, personne n’en ressort indemne.
Qui du bourreau ? Qui de la victime ? Bien malin saurait y apporter une réponse.

La guerre amoureuse.
Histoire d’une vie.

Auteur : Jean-Marie Rouart
Editeur : Gallimard
Date de parution : janvier 2011
ISBN : 2070131041