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Ça ira (1) Fin de Louis : Pommerat fait sa révolution

Photo : Elisabeth Carecchio
Photo : Elisabeth Carecchio

En 2015, il y a pile un an que la dernière création de Joël Pommerat s’est jouée pour la première fois sur les planches du Théâtre des Amandiers à Nanterre. Après une tournée dans toute la France et à l’étranger, Ça ira (1) Fin de Louis se rejoue encore à Paris, avant de repartir sur les routes de France. C’est à n’en pas douter aux processus utilisés par Pommerat pour faire revivre la révolution française qu’il faut imputer le succès de la pièce qui, plus que jamais depuis, est entrée en écho avec notre actualité.

Dès le départ, le ton est donné, Pommerat renverse les codes et se joue de la frontière entre la scène et les gradins : le public sera acteur. En effet, c’est sous nos yeux et à côté de nous que se joue le processus révolutionnaire. Face à la scène, le public n’est autre que le peuple et cette habile subversion est d’autant plus magistrale qu’elle est renforcée par la présence de comédiens dans la salle et dans le public. De fait, par sa présence et souvent son silence ou ses applaudissements, le spectateur vote, prend parti et approuve les doléances ou décisions de l’assemblée constituée. Comme à son habitude, Pommerat propose une mise en scène qui repose sur une économie de moyens mettant en valeur le jeu des acteurs tous surprenant de spontanéité et de vérité. Habillés comme de nos jours, ils rejouent pourtant bien la révolution française avec ses peurs, ses inquiétudes, ses espoirs et ses hésitations.

À bien des égards la pièce semble se jouer de notre propre politique actuelle, alors qu’il est question d’exonération fiscale de l’Église et des finances de la Maison du Roi. Ancien Régime s’il en est, le temps a passé mais les discours politiques ne bougent pas. Sous nos yeux, un des moments historiques des plus marquants de notre passé national prend vie dans ses moindres détails paraissant tous plus vrais les uns que les autres, Pommerat s’est d’ailleurs fait assister pour ce qui est des recherches historiques. Véritable leçon d’histoire, Ça ira (1) Fin de Louis pose un regard renouvelé sur ce que, par exemple, le peuple pensait vraiment de Louis XVI, présenté comme instable et en contradiction avec ses intendants, bien plus apprécié que ce que l’on ne pense en vérité et dont la seule grave erreur fut la fuite de Varennes.

De bout en bout, les discours sont aussi convaincants que la mise en scène, les jeux d’ombres et de lumières dessinent l’espace révolutionnaire auquel aura pris part un public captivé par ce que le théâtre a encore à nous apprendre.

« Ça ira (1) Fin de Louis », création et mise en scène Joël Pommerat, jusqu’au 25 septembre 2016 au Théâtre des Amandiers, CDN Nanterre, 7, avenue Pablo-Picasso, 92022 Nanterre cedex. Durée : 4h30. Plus d’informations et réservations sur http://nanterre-amandiers.com/.




Pommerat : la beauté jaillit du sordide

Copyright : Elizabeth Carecchio
Copyright : Elizabeth Carecchio

Comme l’Odéon en 2013, le Théâtre des Bouffes du Nord ouvre sa saison avec un spectacle de Joël Pommerat, désormais fidèle des lieux. Créé en 2006, « Cet enfant » est une commande de la CAF du Calvados. Il a été bâti à partir de témoignages récoltés auprès de familles.

Le dispositif auquel nous a habitué le metteur en scène est bien là et toujours efficace : scènes oppressantes, sombres, qui se succèdent comme des diapositives. Voix rendues irréelles au moyen de micros. La lumière comme unique décor.

Dans « Cet enfant », on voit des tableaux de la vie populaire actuelle : Pommerat agit comme une sorte de Jean-François Millet moderne. Dans ce théâtre, il y a un rapport permanent à la peinture à travers le geste, la posture et la psychologie des personnages qui jaillit avant même les prises de parole.

De ces témoignages ressortent des dialogues entre une mère et sa fille (ou son fils), des retrouvailles sinistres entre une fille et son père supposé violent. On voit aussi une mère combative et qui voit l’arrivée de son enfant comme une raison de vivre, un père qui se sent réduit vis-à-vis de son fils depuis qu’il ne peut plus travailler…

Ce spectacle interroge la relation parents-enfants et en fait ressortir les plus grandes absurdités à travers les situations les plus extrêmes. On voit toute la détresse familiale intime des personnages qui défilent. Le spectateur est plongé dans les démons et les traumatismes d’éducations violentes.

Les textes sont cyniques. On assiste à une dispute incestueuse entre une mère et son fils : la première fait une scène de ménage à son enfant qui la délaisse pour l’école ; cette scène d’un humour particulièrement grinçant se termine par un « va, va rejoindre ta maîtresse d’école » !

Comme à son habitude, Joël Pommerat fait ressortir toute la théâtralité du monde moderne. Et il est l’un de ceux qui le fait le mieux.

« Cet enfant » de Joël Pommerat, au Théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 27 septembre, 37bis boulevard de La Chapelle (10e arrondissement), le mardi à 19h30, du mercredi au samedi à 20h30. Durée : 1h10. Plus d’informations sur www.bouffesdunord.com/.




Joël Pommerat, le maître de la lumière à l’Odéon

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Comme pour « Ma chambre froide », Joël Pommerat n’utilise pas l’espace conventionnel d’un théâtre. Point de sièges, point de scène. Ces attributs sont remplacés par deux rangées de gradins face à face pour les spectateurs et un espace scénique de plusieurs dizaines de mètres entre les deux comme terrain de jeu(x).

Au sens propre comme au figuré, Pommerat déstructure les codes du théâtre pour les faire entrer dans son univers très particulier. Un monde sombre où les personnages sont parfois de simples volumes de chair sur lesquels se reflète la lumière, la véritable actrice des mises en scène du créateur.

Comme à son habitude, Pommerat créé tout en même temps. La mise en espace, le décor, les jeux lumineux et le texte. Dans « La réunification des deux Corées », pas d’histoire, mais plusieurs tableaux dont le fil conducteur est l’amour et les crises qui l’accompagnent. Pêle-mêle, on y voit un couple lesbien en thérapie conjugale, un mari qui rend visite à sa femme complètement amnésique, deux parents dont l’avis diverge sur le fait que leur fils veuille partir à la guerre…. L’humour peut suivre la gravité, l’ironie succède à la souffrance ou le calme à la colère et l’absurdité la plus totale quand un curé vient expliquer à une prostituée dont il est le client fidèle qu’il se passera désormais de ses services car il a « rencontré quelqu’un ».

Le noir se fait entre chacun des scénarios et lorsque la lumière (toujours magnifique) se rallume, la nouvelle scène apparaît sous nos yeux comme par magie. L’éclairage dessine parfois un soupirail, une boîte de nuit, un parvis d’église où la mariée se prépare à monter les marches ou une rue sombre où un fantôme vient chercher sa promise. On est toujours surpris, émerveillés d’un tableau à l’autre. Pommerat arrive jusqu’à recréer le reflet des feux d’artifice sur le sol d’une ville, et il n’a pas peur de faire venir des auto-tamponneuses sur le plateau pour les besoins d’une scène.

Néanmoins, cette création pèche un peu par la qualité qui varie d’un « sketch » à l’autre. Certains s’étirent trop en longueur, d’autres semblent connaître une fin bâclée … De plus, la justesse des comédiens change d’un personnage à l’autre. Parfois d’une neutralité dérangeante, ils peuvent également se révéler en grand contraste avec ce décor si puissant.

Malgré ce bémol, Pommerat s’inscrit en maître de la création d’ambiance poétique et onirique. Ce spectacle est, et doit être vu, comme une nouvelle grande réussite à mettre sur le compte du metteur en scène, car on quitte la salle comme des enfants quittent un cirque : des étoiles pleins les yeux et la hâte d’y revenir.

Pratique : La réunification des deux Corées
Jusqu’au 3 mars au théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier,  au théâtre de l’Odéon, 1 Rue André Suares  (75017, Paris). Réservations par téléphone au 01 44 85 40 40 ou sur www.theatre-odeon.eu. Tarifs : entre 6 € et 30 €.

Durée : 1h50

Mise en scène : Joël Pommerat

Avec : Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Philippe Frécon, Ruth Olaizola, Marie Piemontese, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu.