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Jeudi – Assommons les pauvres – S. Sinha


 

D’origine étrangère elle aussi, une jeune femme gagne sa vie comme interprète auprès des demandeurs d’asile. Le temps d’une nuit, passée au commissariat pour avoir fracassé une bouteille de vin sur la tête d’un immigré, elle cherche à comprendre les raisons qui l’ont conduite à une telle fureur. Assommons les pauvres !, qui emprunte son titre à un poème de Baudelaire, est l’histoire d’une femme que la violence du monde contamine peu à peu.

Shumona Sinha, jeune poétesse d’origine indienne, jongle avec les mots pour exprimer à merveille incompréhension, exaspération et questionnements autour des demandeurs d’asiles.  Un roman culotté,  qui met mal à l’aise parce qu’il évoque les douleurs de l’exil et la violence de l’accueil sans tabous. Prix populiste 2011.

Assommons les pauvres! Shumona Sinha, éditions de l’Olivier.




Week-end – Et que le vaste monde poursuive sa course folle…

Le 7 août 1974, un funambule tire un câble entre les Twin Towers et offre à New York ébahie le spectacle de sa traversée. Au même moment un moine qui consacre sa vie à améliorer celles des prostituées du Bronx trouve la mort dans un accident de voiture. A ses côtés Jazzlyn, l’une d’entre elles laisse derrière elle deux petites filles. Elle tapinait depuis sa plus tendre enfance entre sa mère et les cuillères d’héro… Ces petites vies encastrées les unes dans les autres offrent au lecteur un somptueux panel d’odeurs et de couleurs new-yorkaises.
Odeur de l’argent, odeur de la crasse, vue vertigineuse.

Cet assemblage de petits destins est à l’image de la ville qui les abrite. Grandiose. Le titre de ce roman emprunté au poème d’Alfred Lord Tennyson, Locksley Hall : « Et que le vaste monde poursuive sa course folle vers d’infinis changements… » donne le ton. S’en suit un grand roman.

Tout était fabuleux, y compris les décentes et la déprime […]

Je n’ai pas peur de le dire : les taxis se battaient pour moi. Mais la vie nocturne me vidait, la  me jaunissait les dents, j’avais le regard voilé. Parfois mes yeux avaient pratiquement la couleur de mes cheveux. Une drôle de sensation ça, quand la vie vous quitte par le cuir chevelu. Un drôle de fourmillement.

Colum McCann, Et que le vaste monde poursuive sa course folle

Editions Belfond, 2009, 20€90




Lundi – La guerre amoureuse

« Une rencontre finlandaise ».

Le dernier roman de Jean-Marie Rouart, de l’Académie Française, publié début 2011, commence par cette citation de Nietzsche : « L’amour dont la guerre est le moyen et dont la haine mortelle des sexes est la base ».

Dans ces quelques mots, tout est dit de la suite.
Cette guerre est sans doute la seule que toutes et tous recherchent, à laquelle tous se livrent à corps et à coeurs perdus.

Et à la lecture des pages de l’académicien, on en vient à penser que la seule issue est la défaite.
Pour chacun des camps. Drôle de guerre s’il en est.

Celle à laquelle il nous est donné d’assister dans ce roman, s’est déclarée en Finlande.
Une rencontre, qui s’est très vite muée en certitude. En passion. En déchirements.

France. Finlande.
Mariage. Séparation.
Adultère. Fidélité.

L’être désiré, l’être aimé, se transforme en tyran.
Le narrateur en subit les conséquences.
Sado-masochisme, mensonges, jalousie, délaissement.
Toute l’éventail de la torture sentimentale lui devient familier, bien malgré lui.

Et naturellement, personne n’en ressort indemne.
Qui du bourreau ? Qui de la victime ? Bien malin saurait y apporter une réponse.

La guerre amoureuse.
Histoire d’une vie.

Auteur : Jean-Marie Rouart
Editeur : Gallimard
Date de parution : janvier 2011
ISBN : 2070131041

 




Les aventures bien françaises de Tom Sauilleur

Ces 211 pages sont une délicieuse rosée matinale. Un petit frisson partit des mollets mais laissant présager une belle journée ensoleillée. Des rapports humains qui fleurent bon la campagne mais pas la campagne idéale des Parigots. La campagne dans ‘ »Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom » est souvent rude mais parfois cocasse et conviviale. Tom, du haut de ses 11 ans nargue la vie avec naïveté et bonne humeur malgré une situation familiale peu enviable. Il vit dans un mobil-home avec sa mère, Joss, une gamine, le tout sans un rond et en pleine cambrousse. [ndlr: Bref, autant dire qu’il est fauché … comme les champs environnants.]


Cette campagne omniprésente, donne envie de fuir la ville pour mettre les pieds dans un petit ruisseau de sous-bois qui sent la mousse. C’est un personnage clé tout aussi attachant que la galerie de personnage qui gravitent autour de lui. Tom virevolte à pas de loup au sein de cette communité, il se nourrit en maraudant dans les jardins voisins avec une petite préférence pour les tomates, les belles, rondes et juteuses.


Archibald et Odette, les voisins victimes des intrusions furtives de Tom n’ont rien à voir avec « Les deux gredins » de Roald Dahl. Ce couple n’est ni laid, ni méchant, ni dégoûtant.

Mais un jour peut-être auront-ils oublié la ville à grand renfort de recette sauvages de Marie-Rose, auteur de l’ouvrage de cuisine best-seller de la région… ?! Ce couple courtois et très urbain détonne dans le paysage de bocage français. Il déclenche chez le lecteur de sacrés fous rires. Ils portent en effet un regard extérieur sur la situation de Tom et sur la ruralité, qui permet une vraie mise en abîme, nécessaire lorsqu’on traite de sujets aussi âpres.


Quant à Madeleine, qui n’est pas sans rappeler une autre Madeleine – celle de « La tête en friche » (voir article lié) – elle n’est guère facile à vivre, d’ailleurs elle ne semble pas avoir eu une vie facile. Elle a 93 ans et n’a plus une forme de jeune fille …  C’est d’ailleurs pour cette raison que le chemin de Tom va croiser le sien. Bravo à Barbara Constantine, car après le choc générationnel lié à la rencontre Madeleine-Tom, il se dégage de ce tandem une tendresse infinie et une complicité limpide.


Jocelyne, surnommée Joss, a été fille-mère à treize ans et demi. Elle est plus irresponsable que méchante. Sa jeune vie est déjà un champ de bataille, une scène de chaos où les bons sentiments sont relégués en seconde zone. Sa meilleure carte pour s’en sortir est sans aucun doute son fils.


Mobil-home + Monoparentalité + Précarité. C’est bien la première partie de l’équation de cet ouvrage écrit par Barbara Constantine en 2010. A ce stade, seuls les plus valeureux, ou aficionados de Barbara Constantine sont intéressés. Pour sûr, « Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom » est ancré dans une réalité pas très rose. Néanmoins ce livre est à la portée de tous et pourrait être un porte voix intéressant auprès des plus jeunes. Un livre aussi pour ados en fait.
Non parce qu’il parle de sorciers ou de vampires. Mais car il y est question de valeurs – sans donner de leçon-, d’amour – sans pluie de roses- bref : de héros du quotidien.


 La voilà donc la seconde partie de l’équation et le secret de ce petit bouquin Amour + Ingéniosité + Tomates.
Parce que le « Quai d’Ouistreham » de Florence Aubenas manquait peut-être d’optimisme et  « Indignez-vous » de Stéphane Hessel d’illustrations pratiques, ce livre, sans être moins dur est plus abordable.


L’auteure

Plus connue du grand public pour avoir écrit « Amélie Sans Mélo », Barbara Constantine nous propose pour son troisième ouvrage, un petit opus d’une grande fraîcheur. Si vous n’en avez jamais entendu parler, vous êtes peut-être passé tout près car elle a notamment collaboré avec Cedric Klapisch à l’écriture des « Poupées Russes », film sortit en 2005 qui faisait suite à l’Auberge Espagnole dans laquelle éclatait au grand jour un petit français : Romain Duris. Son premier roman « Allumer le Chat » vaut lui aussi le détour. On y découvre la passion de l’auteur pour les félins domestiques. Sa prose y est déjà frugale, directe et audacieuse. « Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom », n’a rien de particulièrement rocambolesque mais c’est bien ficelé et on rit de bon cœur.


Une délicate poésie qui n’est ni trop onirique ni trop sombre, un conte moderne, une petite parenthèse à lire absolument pour une bouffée d’humanité.


Extraits :

« Salade de vers de terre
(Très léger, pour les appétits d’oiseau
1. Avec une bêche, creusez des trous dans le jardin. Ne prenez que les vers les plus gros. ils réduisent beaucoup à la cuisson. Puis faites-les dégorger jusqu’à ce qu’ils aient chié toute leur terre. Une journée et une nuit à moins qu’ils ne soient constipés.
2. Pour la verdure, mettez des feuilles de pissenlits. Un conseil aux vieillards et à tous ceux qui ont des problèmes de chicos (j’en connais un rayon): émincez fin. C’est meilleur et c’est moins crevant à la mastication.
3. Préparez une vinaigrette avec de l’échalote et de l’ail sauvage haché.
4.Dans l’eau bouillante et salée, balancez les vers vivants, pour les pocher. Dès qu’ils remontent à la surface, égouttez.
5. Si vous aimez la gomme à mâcher, vous pouvez arrêter là et les manger tels quels, avec la vinaigrette. Plus le conseil n°8, évidemment.
Sinon, faites comme moi, continuez.
6.Dans la poêle, mettez une noisette de beurre. pour parfumer, vous pouvez ajouter une fleur de capucine ou une fleur de pissenlit (voir la liste des comestibles à la fin du bouquin). Ça fait joli et c’est bon. Mais attention n’utilisez pas les fleurs de fleuristes. Elles sont intoxiquées à la pollution.
7. Jetez les vers pochés dans la poêle chaude. Pour éviter qu’ils attachent, faites un mouvement de va-et-vient avec la queue de la poêle. Dès que les vers commencent à dorer, mettez les sur la salade, comme des lardons. Et dégustez.
8. Buvez un grand verre de vin blanc, bien frais. » [1]


« La vieille était chiante, d’accord, mais c’était une bonne occasion pour elle de s’entraîner à son futur métier d’infirmière. Apprendre à être patiente avec les patients… c’était quelque chose qui lui manquait. Et puis, se spécialiser en gériatrie, ce n’était pas une mauvaise idée. Peu de risque de chômage dans cette branche. » [2]


[1] Barbara Constantine, » Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom », édition Le Livre de Poche (2010) p153

[2] Barbara Constantine, « Tom, petit Tom, tout petit homme, Tom », édition Le Livre de Poche (2010) p202

 




La Porte des Enfers, Laurent Gaudé

La Porte des Enfers


La mort est sans doute le dernier refuge de la religion dans nos sociétés contemporaines.


La mainmise sur la cellule familiale s’estompe peu à peu, les positions d’une grande partie de l’Eglise sur la sexualité de la société semble anachronique.

La vie sur Terre n’est quasiment plus considérée comme un passage obligé avant d’atteindre un autre monde, on a vu ainsi se développer des sociétés entières basées sur le désir, la consommation, la jouissance quotidienne et polymorphe.


Mais la mort reste propriété de l’Eglise. Les cimetières ne sont-ils pas les derniers lieux à connotation religieuse qui subsistent dans nos sociétés, aux côtés des lieux de culte ?
Ils représentent d’ailleurs un culte à eux seuls : le culte des morts.


C’est à ce culte qu’est consacré le roman de Laurent Gaudé, La Porte des Enfers.


Au commencement est un enfant, Pippo de Nittis. Jeune Napolitain, du haut de ses 6 ans, il a toute la vie à découvrir. Et pourtant, c’est sa vie qui va brutalement le quitter, un matin de marché, dans les rues animées de Naples. Un matin de marché ordinaire. Un matin où il craint d’être en retard à l’école. Un matin. Naples.

Des règlements de compte. Des échanges de tirs. Une balle perdue. Un enfant. Pippo.


Cette vie qui s’achève prématurément laisse Matteo et Giuliana désemparés. Ensemble et pourtant si seuls. Aucune communication n’est plus possible entre eux. Le spectre de leur fils se dresse désormais comme une véritable barrière dans leur couple.

Chaque regard qu’ils échangent, chaque parole qu’ils souhaiteraient prononcer viennent se heurter à la vision de leur enfant mort. Seules deux choses pourraient les réunir à nouveau : que leur fils leur soit rendu, ou que leur vengeance soit consommée.

Décor posé. Le moment est venu de plonger dans l’aventure.


L’auteur joue avec les nerfs et les émotions de son lecteur. L’atmosphère étouffante, la chaleur, la puanteur, la saleté.
Dans la lignée de L’Etranger et de La Peste de Camus, du Soleil des Scorta et de La Mort du Roi Tsongor du même Laurent Gaudé, le lecteur est opprimé, il suffoque.
Il ne reprend son souffle qu’une fois le livre terminé, l’histoire achevée, les secrets enfouis dans un oubli volontaire.

Et pourtant, dès que l’occasion se présente de replonger dans les univers oppressants que dépeint Laurent Gaudé, je ne peux m’empêcher d’y aller à pieds joints ! Et toujours sans le moindre regret !


Laurent Gaudé, La Porte des Enfers, éditions Actes Sud
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