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[Théâtre] Quand l’amour part en Sandre

© Pierre Planchenault

Ultime volet du cycle « À la vie, à la mort », Sandre de Solenn Denis est une sévère claque qui ne manque pas de sublime. En ce froid de fin-mars, La Maison des Métallos accueille un théâtre de l’horreur absolument glaçant. L’enfant, le couple, la famille sont abordés dans cette pièce sous un jour terrible. Et c’est Erwan Daouphars qui, à la place d’une femme, nous livre le monologue d’une mère déchue.

Assise dans son fauteuil, elle semble tourmentée. C’est ainsi que débute la confession distraite d’une épouse désenchantée. Des expressions changeantes, des faces terrifiantes, voilà ce qui donne vie à un texte conçu comme une balade dans un flot de souvenirs. Cette femme parle de sa vie, de son couple et découvre par ses propres mots qu’elle n’est plus heureuse. Elle semble se l’avouer à l’instant même où elle narre les préceptes de sa mère qui jusqu’ici l’ont guidés : bien nourrir son homme, s’occuper des enfants, être toujours patiente et surtout prendre sur soi…

À de nombreuses reprises la lumière modifie la tessiture de sa voix ainsi que le registre de ses expressions : on entre dans le regret, dans l’angoisse, la démence lorsque le désenchantement fait descendre la pression. Sans jamais s’épancher, parfois presque ironique elle tente de se comprendre, et de nous faire entendre un parcours embusqué. Mariée, deux enfants (et certainement pas trois) elle apprend comme bien d’autres, que son mari la quitte pour sa secrétaire, pour une fois plus âgée. Anesthésiée dans son corps depuis qu’elle a commis le pire crime de notre temps, le spectateur peut se pencher sur un cas de conscience qui fait tout basculer.

« Chaque chose en son temps », c’est le rythme de l’intrigue. On se demande avec elle, embarqué d’empathie, comment une ménagère de moins de cinquante ans commet l’irréparable pour cesser d’exister. Rien n’est dit à l’avance, on ne soupçonne pas trop tôt de quel crime il s’agit et lorsque l’on comprend le noeud de son histoire, le dénouement arrive sans se faire trop attendre.

Bien installée dans sa chaise elle s’emporte violemment et semble en fin de compte se saisir d’elle-même. Fin des lapalissades sur l’amour d’une épouse, elle crache à son auditoire des anecdotes ciblées qui valent comme explication du meurtre de son enfant. À mesure qu’elle se livre elle se vide d’un fiel dégoulinant de sa bouche. Elle bave désormais, tout en noir à l’image des mots qu’elle choisit de projeter à la face d’un certain archétype du bonheur conjugal. Heureusement pour la salle, la tempête se calme, elle s’essuie, se reprend et tente de se rassurer. Elle termine son récit dans un calme éreintant, tant pour le comédien que pour les spectateurs qui de concert hésitent entre rire et pleurer.

 

« Sandre » mise en scène de Solenn Denis, avec Erwan Daouphars
Durée 1h
Plus d’informations sur : http://www.maisondesmetallos.paris/2018/01/05/sandre

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Tartuffe et son délirant entourage

© Christophe Raynaud de Lage
© Christophe Raynaud de Lage

« Tartuffe ou l’imposteur », probablement l’une des pièces les plus jouées de Molière ces dernières années en France. Peut-être au même titre que « L’Avare » : il y en a au moins une version par an. C’est toujours l’histoire de cette riche famille qui accueille en son sein l’ignoble Tartuffe. Un voleur et menteur aux airs de dévot, dont le père a été séduit par le zèle apparent de ses prières malgré les mises en garde de son entourage. L’histoire se répète, mais sa forme change et Tartuffe reste l’une des comédies qui expose le mieux les noirceurs de l’âme.

Au lever du rideau, Galin Stoev veut faire croire au public qu’il va assister à un spectacle classique : mur bleu, grands volumes et costumes pastel. Mais dès les premières minutes, on se rend compte que tout cela n’est que tartufferie et si le rôle-titre apparaît seulement au troisième acte, le décor tout entier est une allégorie de sa personne. Cela se remarque au moyen de nombreux détails : Marianne (Anna Cervinka) fume une cigarette électronique, Damis (Christophe Montenez) est débraillé, presque provocant dans sa tenue comme dans sa coiffure. Ces petites choses nous mettent la puce à l’oreille, mais tout devient clair lors des changements de décors, quand la lumière s’éteint et qu’apparaissent des pages qui fouillent la maison et changent les meubles de place, alors qu’en fond de scène, d’autres membres de l’équipe apparaissent écoutant chaque fait et geste de la maison derrière une glace sans tain. Tout converge pour conduire le public à tenter de voir ce qui ne semble pas visible au premier abord. Aussi, Galin Stoev se moque des codes classiques du théâtre français, pour en faire ressortir toute la préciosité et la fausseté supposée : aujourd’hui, on en rigole de bon cœur.

Dans cet étrange univers, le jeu des acteurs est particulièrement appuyé par le caractère des personnages. Ici non plus, aucune préciosité, même chez Serge Bagdassarian (Cléante) qui habituellement en joue avec brio. Didier Sandre est un Orgon superbe, mêlant avec virtuosité les aspects doux et intransigeants du personnage. Son inquiétude vis-à-vis de la santé de Tartuffe fait immédiatement penser à de l’amour aveugle. Quant à Tartuffe (Michel Vuillermoz), il délaisse complètement l’aspect inquiétant du personnage pour lui donner un visage de libidineux un peu sot : aucun sentiment de crainte ne nous vient à son contact. Etonnant. Mais le parti pris est juste dans la mise en scène de Galin Stoev. Un détail gêne plus, c’est le costume de Dorine (Cécile Brune) ; elle campe le rôle à la perfection, mais ses habits ne précisent pas quelle est sa condition. Habillée comme ses maîtres, elle n’a plus rien d’une servante : Molière ne lui en avait pas donné le comportement, Galin Stoev lui en retire l’apparence. Le personnage perd donc sa part de comique qui réside en partie dans ce contraste. Cela est d’autant plus dommage que Dorine est puissante et occupe ici, l’un des rôles principaux de la pièce. Sans doute cet aspect déroutera le spectateur qui n’a jamais vu la pièce – et il y en aura forcément dans le public du Français dans les semaines à venir.

Outre le décor et le jeu des acteurs, Stoev joue et s’amuse, insistant dans les instants critiques (ou plutôt christiques pour le coup), sur l’aspect aveuglant de la religion interprétée de façon littérale. Les personnages sont poussés jusqu’au délire, la folie générale monte sans jamais s’arrêter, jusqu’à donner une fin onirique aux allures d’hallucination collective.

La comparaison avec le « Tartuffe » monté la saison passée dans une autre grande maison, l’Odéon, surgit forcément pour le public amateur. Là où Luc Bondy donnait une lecture extrêmement sombre, Stoev en fait un manifeste de la vie face à la religion qui coupe l’homme de son intelligence. On guérit de la tartufferie par le rire et de catholicisme revendiqué, c’est à toutes les religions (faussement) pratiquées dans leur sens littéral que Stoev questionne. Et c’est bien salutaire.

« Tartuffe » de Molière, mise en scène de Galin Stoev, à la Comédie-Française, salle Richelieu, en alternance jusqu’au 16 février 2015, Durée : 2h15. Plus d’informations sur www.comedie-francaise.fr/