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Le Poche-Montparnasse à « Huis-Clos »

Huis Clos - Jean-Paul Sartre - Daniel Colas
Copyright : Brigitte Enguerand

Alors que Chère Elena occupe le rez-de-chaussée, le théâtre de Poche-Montparnasse accueille en sous-sol, Huis-Clos, œuvre dramatique la plus célèbre de Jean-Paul Sartre. De ce classique, le public retient souvent l’une des dernières phrases, « l’enfer, c’est les autres ». La formule reprise, débattue parfois, incomprise souvent, est ici remise dans son contexte, à savoir un huis-clos infernal pour trois personnages en un acte et cinq scènes, qui, ensemble, font de cette expression une évidence.

Joseph Garcin est accompagné en enfer par un garçon d’étage. Seul, il découvre le lieu où il va passer l’éternité. Un endroit démythifié, sans pals et sans entonnoirs de cuir ; un espace où sont installés trois canapés, un coupe-papier et un bronze de Barbedienne, peut-être Dante ou Aristote. Pas de miroir ou de brosse à dent : les accessoires de la vanité sont laissés aux vivants. Rapidement, l’homme est rejoint par deux femmes : Inès puis Estelle.

Chacun des personnages a une approche différente de son nouveau lieu de villégiature. Si Joseph, vieux-beau, est désabusé, Inès déjà mauvaise de son vivant, se sent dans son élément. Estelle, belle jeune femme narcissique est inquiète et angoissée. Ceux qui se sentent innocents se laissent peu à peu aller à la résignation et finissent par admettre leurs méfaits terrestres.

Huis Clos - Jean-Paul Sartre - Daniel Colas
Copyright : Brigitte Enguerand


Ensemble, ils forment une sorte de mariage forcé, composé de trois caractères très différents. Soumis aux jugements de chacun, ils sont les artisans de leur propre supplice et de celui des autres. Les pals et autres instruments de douleurs semblent bien doux comparés à l’idée de passer l’éternité en compagnie d’autres personnes détestables pour soi-même. Difficile d’imaginer plus cruel supplice. De plus, la vie qui continue sur terre hors de leur contrôle, est aussi une torture ; car ils accordent encore de l’importance à l’existence des vivants par rapport à eux-mêmes, bien qu’ils soient libres de n’y accorder aucune attention. Tout cela constitue un manifeste existentialiste important, d’une grande limpidité dans cette mise en scène de Daniel Colas.

On entend très bien le texte qui, à lui seul, mérite de voir ce spectacle. On assiste à une évolution du langage signifiante : d’abord très beau, poli et lisse au début (les morts sont appelés « les absents »), il finit dans un registre familier parfois violent dans la dernière partie.

L’espace étant restreint, le public est très rapidement pris dans l’angoisse et l’enfermement avec les acteurs. On subit l’huis-clos. Un décor sobre et familier contribue à la création de cette ambiance prenante. On y entre avec joie, on en sort avec soulagement et peut-être plus libre dans nos rapports avec « les autres ».

 

« Huis-Clos » de Jean-Paul Sartre, mise en scène de Daniel Colas, jusqu’au 11 janvier au Théâtre de Poche-Montparnasse, 75 boulevard du Montparnasse (6e arrondissement), du mardi au samedi à 21h. Dimanche à 15h. Durée : 1h30. Plus d’informations et réservations sur www.theatredepoche-montparnasse.com/.




Gallimard, en mots et en images

Sur Gallimard, on pourrait croire -à tort- que tout a été dit. Au cours de l’année, le centenaire de la maison d’édition a été célébré sous toutes ses formes (jusqu’au baptême d’une moitié de rue du nom de son fondateur en juin dernier).

Cette dernière exposition n’en est pas moins réussie pour autant.

Les soixante portraits présentés sont somptueux et respectent la chronologie d’entrée des auteurs dans le catalogue de la maison. Ces photographies, presque toutes en noir et blanc, sont accompagnées d’un commentaire d’Alain Jaubert, tantôt loufoque, tantôt sérieux, souvent descriptif et débordant de sous-entendus. Comme les écrivains eux-mêmes qui, derrière leurs grimaces, cachent des personnalités fantasques et/ou solennelles, un génie pour l’assemblage des mots et une rigueur dans le travail. Qui ont fait leurs preuves, cela va sans dire.

Parce qu’ils bossaient ces messieurs-dames, bien plus qu’on ne le croit ! Et c’est ce travail de fourmis que nous montre avec  justesse l’exposition. Ils ont tous pris part à l’édification de la maison comme écrivain, salarié, membre des comités de lecture. Ils ont transpiré leurs propres écrits, bien sûr, mais aussi lu et relu ceux des autres, les défendant souvent à grand renfort de lettres (proposées au public en vitrine).

Ils sont presque tous là, les célèbres auteurs de la NRF (Nouvelle Revue Française): Camus, Sartre, Nabokov, Gary, Sarraute, Char, Proust, Kundera … Aïe, même Foenkinos s’est trouvé une place dans cette galerie de souvenirs (une lettre, à la sortie, à défaut de vous impressionner, vous rappellera que la maison d’édition continue aujourd’hui d’alimenter son catalogue).

Amis, ennemis, poètes, communistes, américains, résistants, sauvages et mondains, tous forment aujourd’hui une grande famille.


« Louis Aragon à son bureau. Paris, 1951. Tampon buvard, sous-mains, bouteille d’encre, le bureau du poète moderne ressemble à celui d’un fonctionnaire. D’ailleurs il est aussi journaliste et patron de presse, et, bien sûr, subtil romancier. Il n’en a pas fini de nous surprendre. Il est encore très sérieux, ça ne durera pas. La gentille colombe de Picasso vient lui picorer la tête… Staline va bientôt mourir. »


« Portraits pour un siècle. Gallimard. »
Gallerie des Bibliothèques / Ville de Paris
Jusqu’au 27 novembre 2011, 22 rue Malher (Paris, 4e)
http://sd-2.archive-host.com/membres/up/143796333747690194/_DP_gallimard_OK_.pdf