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Dear White People : des noirs dans un monde de blanc

© Happiness Distribution
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Grinçant, railleur, cynique, la nouvelle et toute première réalisation de Justin Simien, interpelle tant sur la forme que dans le fond. Une comédie américaine satirique qui ne manque pas de surprendre, décriant les relations entre noirs et blancs sur un campus d’université.

Des films autour du racisme aux Etats-Unis, il y en a eu et il y en aura encore. Dear White People s’attache à suivre la marche tout en restant de l’autre côté de la rampe, demeurant ainsi un véritable ovni dans le paysage cinématographique. Justin Simien nous emmène dans les coulisses des plus prestigieuses universités américaines, au cœur des rapports blancs-noirs où se mêlent questions d’appartenances et de dominations.

Le début du film nous projette directement sur le campus de l’université de Winchester où se côtoient différents clans, aux personnalités ou couleurs bien distinctes : le groupe des afro-américains, la bande des intellos à lunettes, celle des fils à papa ou encore des bimbos en plastique. On suit le quotidien de quatre jeunes noirs, lâchés dans le milieu hostile d’une université majoritairement blanche dans laquelle il faut choisir entre lutter ou rejoindre le troupeau. Quatre personnages et autant de perceptions et de manières de s’intégrer ou non, à une communauté au teint plus pâle. De la charmante mais agaçante Sam, désinvolte et rebelle qui n’a de cesse de moquer ouvertement les blancs à travers son émission de radio ; de l’affriolante et extravertie Coco, qui n’a de noire que sa couleur de peau et qui se rêve en star du net ; en passant par Tony l’athlète et élève modèle, aux ambitions de futur président de l’université.

Dès la présentation des personnages, l’overdose de clichés nous submerge, venant rajouter à ces personnages d’autres encore plus caricaturaux que les premiers : le vice-président noir aigri de la place qu’il occupe au sein de l’université devancé par un blanc moins méritant ou encore le brut et insolant élève américain, fils du directeur de l’école. Mais très vite, on sent derrière cette accumulation l’envie d’aller plus loin qu’une simple comédie stéréotypée bas de gamme. C’est une vraie réflexion qui s’installe à travers cette surenchère toujours plus excessive de ces personnages en quête d’identité et de reconnaissance. Qui sommes-nous et quelle est notre place ?

© Happiness Distribution
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Les noirs veulent devenir blancs et les blancs se déguisent en noirs : paradoxe et questionnement sur la race à l’ère post-Obama. Et puis le rythme du film finit par nous emporter avec des scènes drôles et des dialogues incisifs qui ne manquent pas de faire rire la salle aux éclats. Même si on regrette le côté parfois excluant pour la communauté « blanche » qui passera surement à côté de quelques bonnes vannes ou jeux de mots bien trouvés propre à la culture afro-américaine.

Il y a quelque chose d’audacieux et d’arrogant à la fois dans la réalisation de Simien, en jouant la satire sur un sujet polémique et encore très controversé aux USA, il prend tout le monde à contre-pied et déstabilise totalement son spectateur. On ne sait plus quoi penser des personnages ; les moquer, les aimer ou bien les haïr. Prendre parti pour les blancs ou bien les noirs. Tout s’entremêle si brillamment que nous perdons la tête à chercher un sens, peut être inexistant. On se moque, on s’attache, on cogite mais surtout on se marre face à des situations cocasses et des répliques tordantes : « le nombre d’amis noirs désormais requis pour ne pas apparaître raciste vient de passer à deux. Et désolé, cela n’inclut pas Tyrone, votre dealer de shit… » Rajouter à cela une véritable esthétique des couleurs et des décors à la hauteur de l’affiche du film : brillante et haute en contrastes ; des acteurs talentueux et le prix du jury spécial au festival de Sundance 2014 et le tour est joué. Un message transmis et des spectateurs conquis, un bon début pour un premier long métrage.

 « Dear White People », de Justin Simien, sortie au cinéma le 24 mars 2015.




Morne Yasmina Reza

commentvousracontez

Dans la nouvelle pièce de Yasmina Reza, « Comment vous racontez la partie », la salle Renaud-Barrault du théâtre du Rond-Point devient la salle polyvalente de Vilain-en-Volène, qui accueille l’un de ses « Samedi Littéraire ». Ce soir, Nathalie Oppenheim (Zabou Breitman), écrivaine à succès, va passer sur le grill de la journaliste Rosana Ertel-Keval (Dominique Reymond), « enfant du pays » de retour dans sa province natale. Quelques détails viennent parfaire l’ambiance. Du larsen au crépitement de la sono, en passant par les poivrots du village qui parlent fort en coulisses. L’entrevue publique est orchestrée par Roland Boulanger (Romain Cottard), jeune érudit et organisateur de l’événement, poète à ses heures.

La mise en scène de l’auteur est basée sur un théâtre diapositive (déjà utilisé dans Art, en 1994). Cela consiste à faire se succéder des scènes, des situations, en créant le noir entre chacune d’elles, évitant ainsi peut-être, de devoir trouver des idées pour faire bouger les personnages. Quoi qu’il en soit, ici, cela rend la mise en scène très statique.

La rencontre, qui fait l’objet du spectacle, reprend à l’entretien en public tout ce qu’il a de plus détestable. Yasmina Reza fait en ce sens, une critique du « monde littéraire », entourant les sorties d’ouvrages. Et du point de vue du public profane, il faut avouer qu’elle vise très juste.

A commencer par la définition du caractère même des personnages : la journaliste blonde inquisitoriale, qui fait sentir à ses invités que la star, c’est elle, nous fait penser à une journaliste bien connue du monde ici critiqué. Elle est spécialiste du name dropping et ne cherche pas à mettre en valeur l’humain qu’elle interroge, mais plutôt elle, sa vie et ses expériences, tombant parfois dans la psychanalyse naïve. Nathalie Oppenheim – l’écrivain face à elle – grande, brune et séduisante, victime de la journaliste vautour, nous fait songer à l’auteur de la pièce elle-même. Cette idée est confortée par le fait que le lien autobiographique est une question récurrente dans la bouche des personnages du drame. Enfin, les deux provinciaux, l’animateur littéraire efféminé et érudit, ainsi que le maire rustre et amateur de sangria (André Marcon) sont tous les deux des clichés purs et simples.

Cependant, les acteurs sont tous excellents et, pour le coup, très bien dirigés. Cela semble contradictoire, car l’auteur sauve ici son texte grâce à la direction et les nombreux temps de silence, drôles et parfois clownesques, qui ponctuent la mise en scène. On pense notamment à Romain Cottard, keatonien dans son utilisation des objets qui semblent toujours lui en vouloir, donnant ainsi lieu à des images burlesques très réussies.

Le tout est forcément bien écrit, sans être transcendant à l’aune du reste de l’œuvre de Yasmina Reza. Les dialogues donnent l’illusion d’êtres spontanés, et l’on est amusé par le mélange des écritures : directe et littéraire, puisque les personnages lisent à plusieurs reprises des extraits du roman de Nathalie Oppenheim et la poésie de Roland Boulanger. Malheureusement, quelques répliques cinglantes ne sauvent pas la pièce qui reste un drame bourgeois moyen. Parfois drôle, mais surtout où il ne se passe pas grand chose : il n’y a pas de nœud dramatique, pas de coup de théâtre. L’action est linéaire, désenchantée et pour ainsi dire assez morne.

« Comment vous racontez la partie » de Yasmina Reza, mise en scène de l’auteur, jusqu’au 6 décembre au Théâtre du Rond-Point, 2bis, avenue Franklin D. Roosvelt, du mardi au dimanche à 21h. Dimanche à 15h. Durée : 1h50. Plus d’informations et réservations sur www.theatredurondpoint.fr




La nuit des piranhas au Café de la Gare – Triste réalité …

Bas les masques. Ainsi pourrait-on résumer la pièce qui se joue en ce moment au Café de la Gare. Un lieu chargé d’histoire pour le théâtre et la comédie moderne. Rien de moins que Coluche y a fait ses débuts sur scène. Et, à l’instar de Coluche, les auteurs de « La Nuit des Piranhas » (Philippe et Cédric Dumond) nous offrent leur vision de notre société moderne. Balancée entre révoltes, injustices, jeux de pouvoir et quête de transparence. Les personnages, au prime abord, répondent à des clichés bien définis dans l’imaginaire commun.

Homme politique véreux qui cherche tous les passe-droits possible.
Prostituée, outrageusement maquillée, tombée pour racolage.
Jeune étudiant altermondialiste en quête d’un monde meilleur, d’une fraternité universelle et développant le même amour pour les forces de l’ordre que ses prédécesseurs soixante-huitards.
Maton irascible, petit chef, n’hésitant pas à user de la force pour faire taire toutes les voix qui pourraient remettre en cause ses convictions.

Puis, petit à petit, dans une pièce bien rythmée, aux assauts des manifestants (c’est jour de révolte nationale), les masques tombent. Les préjugés laissent place à des vérités bien inattendues, et parfois au goût tristement amer pour le spectateur, car tellement proches des histoires de notre quotidien. La société dépeinte dans les médias nous apparaît là dans sa désolante simplicité, et ses valeurs parfois douteuses.

Heureusement, la légèreté du ton et l’engagement des acteurs rendent cette vérité plus supportable, et permettent aux spectateurs de mieux s’indigner des travers et des aberrations contemporaines. La Nuit des Piranhas pourrait concourir à de belles récompenses comiques, si ce n’était ce fond de vérité tragique toujours présent dans les textes. Une belle leçon de société moderne, d’humilité et … d’espoir malgré tout !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pratique :
Auteurs : Philippe et Cédric Dumond
Artistes : Julie Cavanna, Benjamin Bollen, Bernard Bollet, Hubert Drac
Metteur en scène : Hubert Drac
Durée : 75 minute
Du mardi au samedi à 19h
Adresse : Café de la Gare – 41, Rue du Temple – 75004   PARIS