1

Wildlife : Une saison ardente – Histoire d’une (admirable) descente aux enfers

On connaissait le rêve américain, nous voilà plongés dans le cauchemar américain. Un pays en pleine mutation, au début des années 1960, un contexte politique mouvant, une société qui se transforme, les relations hommes / femmes qui prennent une nouvelle teinte. Nous sommes pourtant bien loin dans ce film de la frénésie des grandes villes de la côté Est.

Ici, c’est le Montana, la rudesse du climat et des éléments qui vient s’entrechoquer avec celle des sentiments et des rapports humains. Ainsi, l’harmonie qui règne, ou a minima semble régner, entre Jeanette, Jerry et Joe Brinson, va lentement se disloquer en prenant comme miroir les yeux du jeune adolescent, enfant unique, involontairement centre du drame qui se prépare. Et paradoxalement, le jeune homme représente à lui seul, l’image de la maturité, de la sagesse et de la stabilité au milieu d’un chaos en voie d’explosion.

On assiste ainsi à la lente descente aux enfers, physique, psychologique, d’une famille sans histoire, dépeinte avec un talent hors norme dans ce premier long métrage de Paul Dano. L’image splendide magnifie cette sensation de longue dépression, d’abord latente puis qui vient tout balayer, sans refuge possible. Au cœur du brasier, l’impeccable et incroyable Ed Oxenbould (Joe Brinson) impressionne par son jeu. Pas de superflu, une justesse des expressions, un rôle poignant pour cet adolescent écartelé au croisement des voies choisies par ses parents, seul détenteur de douloureux secrets, et toujours garant du maintien de l’équilibre familial.

Primé au festival du film de Turin et sélectionné à celui de Sundance, Wildlife vous marque, vous touche, vous retourne même, par la justesse et la sincérité des personnages qui composent ce drame, rien que trop banal, et aux relents amèrement contemporains.

 

 

Fiche technique
Titre original : Wildlife
Titre français : Wildlife – Une saison ardente
Réalisation : Paul Dano
Scénario : Paul Dano et Zoe Kazan, d’après le roman Une saison ardente (Wildlife) de Richard Ford

Distribution
Carey Mulligan : Jeanette Brinson
Jake Gyllenhaal : Jerry Brinson
Ed Oxenbould : Joe Brinson
Bill Camp : Warren Miller
Mollie Milligan : Esther
Zoe Margaret Colletti : Ruth-Ann




[Théâtre] Une Mouette qui nous prend au vol et s’abat sur nous

Photo : Clément Carmar

Le Théâtre de la Bastille accueille La Mouette, une pièce de Tchekhov mise en scène par Thibault Perrenoud, qui nous en offre une version décapante, saisissante de réalité et toujours en prise avec l’actualité.

Dans la pièce de Tchekhov, la mouette n’est autre que Nina, une jeune femme qui va périr d’amour. D’abord aimée de Constant qui lui écrit une pièce, la jeune actrice qu’elle est va s’enfouir avec l’amant de la mère de celui qui l’aime et qui lui abattra une mouette. Comme d’habitude chez Tchekhov, tous sont tourmentés, se cherchent, fuient mais reviennent confrontés à ce qu’ils sont. Dans la mise en scène signée par Thibault Perrenoud, les personnages sont ceux de Tchekhov mais comme actualisés, transposés à aujourd’hui et nos vies. Dès leur entrée sur un plateau où le public est installé dans un système en quadri-frontal, ils se révèlent proches de nous, ils jouent des sentiments que l’on connaît tous, ils sont assis parmi nous et dans une temporalité qui nous échappe tant cette pièce ainsi montée s’impose comme une évidence, on est balloté d’émotion en émotion, de la détresse de chacun à la mort annoncée de l’un d’eux.

Même s’il prend des risques avec le texte original, le metteur en scène crée un spectacle épuré, marqué par des fulgurances qui nous heurtent en plein vol si bien que l’âme de Tchekhov plane toujours au-dessus de nous, et ce malgré le choix d’un franc-parler déroutant au départ. Là où Thibault Perrenoud comme sa troupe d’acteurs excellent, c’est aussi dans ce qui n’est pas dit mais que l’on voit ou que l’on entend quand même. Car entre les répliques ou pendant, les situations semblent se vivre « pour de vrai », toujours il se passe des choses hors-scène, et toujours les frustrations de chacun – amoureuses ou artistiques – sont prégnantes.

En deux heures à peine, on éprouve les vies des personnages, leurs difficiles relations entre eux et avec le monde qu’il faut habiter. Par de multiples clins d’œil intelligents à notre actualité, le chômage, l’écologie, le terrorisme, le metteur en scène nous achève et montre qu’avec peu de choses il reconstitue tout un monde et un tissu social qui nous interpellent. Et plus le temps passe, plus comme cette mouette abattue, spectatrice constante abandonnée en bord de plateau, on y laisse quelques plumes.

« La Mouette », de Tchekhov, mise en scène Thibault Perrenoud, actuellement au Théâtre de la Bastille, 76, rue de la Roquette, 75011 Paris. Durée : 2h. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-bastille.com/saison-16-17/les-spectacles/la-mouette




Victor – A l’amour, à la mort

Une pièce subtile servie par une distribution haute en couleurs et pour le moins exceptionnelle. Victor nous emmène dans les frasques de l’amour, sans jamais tomber dans les ficelles faciles, ou les répliques de bas étage. Un merveilleux moment de théâtre alliant émotion et légèreté, une découverte très appréciée en cette période de rentrée théâtrale.

France. 1950. La guerre est encore dans les esprits. Victor (Grégory Gadebois) nous apparaît à sa sortie de prison. Il vient d’y passer une année, pour un délit qu’il n’a pas commis. Il vient d’y passer une année, pour un ami. Cet ami, Marc (Eric Cantona) est un personnage en vue dans la ville. Puissant homme d’affaires, aux manières parfois douteuses, mais qui ne peut se trouver compromis dans une affaire publique, sous peine de voir son empire naissant s’effondrer sur sa base d’argile encre fraîche.

La clé de l’intrigue qui va se dérouler devant nos yeux entre bientôt en scène, sous les traits de Caroline Silhol. Françoise est la femme de Marc, et Françoise est la passion de Victor. Là où l’on pourrait s’attendre à se trouver en présence d’un trio d’une comédie de boulevard plutôt classique, c’est un tout autre jeu auquel nous assistons une fois ce décor posé. Loin des quiproquos et des amants cachés dans le placard, Henri Bernstein nous propose au contraire la force de la franchise, du sentiment assumé, revendiqué, exprimé.

Comment pourrait-on s’en étonner devant un Grégory Gadebois tout en puissance, et un Eric Cantona à la majesté légendaire ? Pas de faux-semblant, l’honnêteté fait loi (et foi !) dans ce jeu maléfique et cruel de l’amour et du désamour. Otage parmi tous, l’amitié est malmenée, reniée, bafouée. Et puis, la nature humaine reprend ses droits. L’honneur comme seul guide. L’orgueil même.

Dans le cadre du théâtre Hébertot, Rachida Brakni nous propose une mise en scène simple pour laisser toute la force au texte et au jeu de ses acteurs. Les premiers changements de décor se font au noir, presque à vue. On y admire alors la simplicité du changement d’univers. Le passage d’un mur de prison à un intérieur d’abord modeste, puis clairement bourgeois. Les suivants se feront derrière le rideau. La sobriété des intérieurs comme des extérieurs résonne devant le tranchant des sentiments qui se dévoilent au fil de la pièce, et qui déchirent les âmes et les cœurs.

Serge Biavan et Marion Malenfant viennent compléter ce merveilleux trio, dans les rôles délicats des compagnons de passage, presque amis et pas complètement amants … Vous l’aurez compris, Victor (la pièce) est un cours de nature humaine. Terriblement réel car parfaitement interprété, sans exagération ni facilité. Du grand théâtre ! Bravo !

 

Pratique : Victor, au Théâtre Hébertot
Séances : du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 17h
Casting : Grégory Gadebois, Eric Cantona, Caroline Silhol, Marion Malenfant, Serge Biavan
Texte : Henri Bernstein
Mise en scène : Rachida Brakni
Location : 01.43.87.23.23




Lundi – La guerre amoureuse

« Une rencontre finlandaise ».

Le dernier roman de Jean-Marie Rouart, de l’Académie Française, publié début 2011, commence par cette citation de Nietzsche : « L’amour dont la guerre est le moyen et dont la haine mortelle des sexes est la base ».

Dans ces quelques mots, tout est dit de la suite.
Cette guerre est sans doute la seule que toutes et tous recherchent, à laquelle tous se livrent à corps et à coeurs perdus.

Et à la lecture des pages de l’académicien, on en vient à penser que la seule issue est la défaite.
Pour chacun des camps. Drôle de guerre s’il en est.

Celle à laquelle il nous est donné d’assister dans ce roman, s’est déclarée en Finlande.
Une rencontre, qui s’est très vite muée en certitude. En passion. En déchirements.

France. Finlande.
Mariage. Séparation.
Adultère. Fidélité.

L’être désiré, l’être aimé, se transforme en tyran.
Le narrateur en subit les conséquences.
Sado-masochisme, mensonges, jalousie, délaissement.
Toute l’éventail de la torture sentimentale lui devient familier, bien malgré lui.

Et naturellement, personne n’en ressort indemne.
Qui du bourreau ? Qui de la victime ? Bien malin saurait y apporter une réponse.

La guerre amoureuse.
Histoire d’une vie.

Auteur : Jean-Marie Rouart
Editeur : Gallimard
Date de parution : janvier 2011
ISBN : 2070131041