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[Théâtre] Irina Brook veut faire « voyager ceux qui ne bougent pas »

Irina Brook (photo : Martin Bouffard)

À la tête du Théâtre National de Nice depuis 2014, menant des projets tel que « Réveillons-nous », festival écologiste depuis 2015, dirigeant des mises en scène de textes comme « Terre Noire » ou « ? » de Stefano Massini, « Lampedusa Beach » de Lina Prosa, Irina Brook est l’une des femmes de théâtre à placer très ouvertement le mot « écologie » au cœur de ses projets. Le terme est pris dans sons sens large : humanité, programme social, respect de la nature et donc des êtres. La franchise de son projet va avec l’urgence d’une prise de conscience globale à l’échelle de la planète, un travail au quotidien à sa hauteur.

Irina Brook a régulièrement assumé une conscience écologiste arrivée sur le tard, au fil de lectures. En parallèle de la Cop21, durant la saison 2015-2016, elle lançait « Réveillons-nous », ce festival aux formes multiples qui fait du théâtre un lieu où construire une pensée plus verte, plus à l’écoute du monde qui l’entoure. Durant cette première édition, elle avait accueilli la créations « Les Glaciers grondants », fable de David Lescot, mais aussi l’avant-première du film qui a depuis créé l’événement, « Demain », pour un public curieux et néanmoins nombreux.

« Les Glaciers grondants » (photo : Pascal Victor / Artcomart)

Les questions sur les rapports nord/sud transparaissent évidemment dans son travail de metteure en scène, avec « Lampedusa Beach », pièce sur l’émigration tragique d’une africaine pour l’Italie, mais surtout avec « Terre Noire ». Cette pièce de Stefano Massini montre le combat de petits paysans contre la « Earth Corporation » – avatar transparent de Monsanto – afin de pouvoir reprendre le droit de cultiver durablement leurs terres. Dans un très beau décor, où le jeu sur la transparence laisse entrevoir en fond de scène quelques carcasses de machines jonchant des terres souillées, la sagesse simple mais essentielle se laisse entendre. A la question d’un paysan à son fils, « qui travaille le plus à nous nourrir ? », la réponse est l’évidence même : « la terre », et pourtant, on ne la respecte pas. Le couple de paysans est porté par un duo très touchant incarné par Babetida Sadjo et Pitcho Womba Konga, et le combat entre les avocats Romane Bohringer et Hippolyte Girardot ne manque pas de cynisme. Sur des questions capitales, « Terre Noire » est un drame haletant, intense. Certains y verront de la naïveté, nous préférons y voir une fibre positive, un cri d’espoir frontal qu’il faut faire entendre jusqu’à ce que les choses changent.

La metteure en scène a coupé dans le texte de Massini pour donner à la pièce un aspect universel, « cette histoire une parmi des milliers d’histoires similaires ». Afin d’en assumer l’horreur, Irina Brook projette en début de représentation des images des conséquences de la vente des graines stériles de Monsanto aux paysans indiens. 250 000 d’entre eux se sont suicidés quand ils ont pris conscience du piège qui s’était refermé sur eux. On voit les familles, les morts, les bûchers qui les consument….

« Terre Noire » (photo : Théâtre National de Nice)

Brook rêve de voir davantage de spectacles sur cette thématique. En tant que directrice de théâtre, elle dit « recevoir beaucoup de pièces contemporaines et porter de l’intérêt à certaines », tout en regrettant qu’un grand nombre ne parle que de choses qui ne l’intéressent pas : « je ne compte plus le nombre de textes reçus qui parlent, par exemple, de la vie de Modigliani », en d’autres termes, déconnectées de l’actualité.

Car si le théâtre est toujours le miroir de l’humanité, peu de pièces montrent frontalement l’agonie de la nature, selon Irina Brook. Elle dit en « avoir peu trouvées, malgré de nombreuses recherches ». Alors elle attend, espère, qu’un auteur vienne travailler au plateau avec les comédiens et elle sur des idées qu’elle conçoit : « j’aimerais qu’un auteur soit prêt à se lancer dans cette expérience commune ».

Des projets, Irina Brook en a donc quelques-uns, malgré un poste de directrice qui lui paraît parfois éreintant : « il y a quelque mois, j’ai eu envie de tout envoyer balader, mais aujourd’hui, je pense que ce serait vraiment dommage de partir du TNN avant de voir grandir toutes les graines que j’ai semées ». Elle affirme donc vouloir accomplir « au moins » son deuxième mandat, afin de continuer à « faire voyager les gens qui ne bougent pas ».

Hadrien Volle

« Terre Noire » en tournée 2017 :

  • Théâtre des Célestins (Lyon), du 31 janvier au 4 février,
  • Théâtre le Forum (Fréjus), 7 février,
  • Plan les Ouates, 10 février,
  • Théâtre CO2 (Bulle), 17 février,
  • Wolubilis (Bruxelles), 22 février,
  • Théâtre des Sablons (Neuilly sur Seine), 25 février,
  • Théâtre Jacques Coeur (Lattes), 3 mars,
  • La Criée (Marseille), 9 au 11 mars,
  • CC Yzeurespace (Yzeure), 14 mars,
  • Théâtre la Colonne (Miramas), 17 mars,
  • Il Funaro (Pistoia), 23 et 24 mars.



Mélancolie, paillettes et « Music-Hall »

Fondue dans un rideau rouge aux milliers de paillettes, Jacques Michel est une femme superbe. Seul en scène, il incarne une danseuse de revue d’un certain âge, imaginée par Jean-Luc Lagarce. Elle raconte son expérience avec précision, détails et plaisir : sa façon d’entrer en scène, les problèmes techniques rencontrés à de multiples reprises, comment y remédier avec ses « boys », les soucis avec les pompiers, goguenards… Des descriptions imagées qui, malgré les accidents, bercent celui qui les écoute dans ce qui a été, peut-être, une vie de féerie.

Copyright : Marc Vanappelgem
Copyright : Marc Vanappelgem

Jacques Michel prend le temps de nous montrer cette existence, de ses gestes « lents et désinvoltes », mis en scène par Véronique Ros De La Grange. Le spectateur est lui aussi dans les paillettes. L’envers du décor nous enchante au son des multiples variations de la chanson « De temps en temps » de Joséphine Baker, tantôt métallique, tantôt sobre ou passée dans une chambre d’écho immense, au fil des tableaux.

Ce plaisir, si intense soit-il, nous conduit inévitablement dans les coulisses, un miroir qui se fissure. La critique du monde et l’autocritique de soi auxquelles se livre la vieille danseuse, dessine le portrait d’une ancienne star, ainsi réduite à sillonner les salles de fêtes des banlieues grises comme un vieux microsillon parcourt un disque gondolé : un certain charme se dégage mais plus le temps passe et plus les imperfections sont audibles. D’une langue subtile évoluant au fil du spectacle, Lagarce nous conduit de l’onirisme étoilé à la nuit sans lune. On entend l’anxiété et l’angoisse de l’envers, d’une artiste en désuétude mais aussi de nous-mêmes. Car tout cela, elle l’a dit seule, face à une salle vide, attendant patiemment qu’elle se remplisse. Mais c’est déjà fini.

« Music-Hall » de Jean-Luc Lagarce. Mise en scène de Véronique Ros De La Grange, du 12 janvier au 2 avril au Théâtre de la Reine Blanche, 2bis passage Ruelle, 75018 Paris. Durée : 1h10 minutes. Plus d’informations et réservations sur www.reineblanche.com/.




« Les uns sur les autres » à la Madeleine : premier raté pour Confino

lesuns

Depuis la fin du mois de janvier, le théâtre de la Madeleine accueille la pièce « Les Uns sur les Autres » dans une mise en scène de Catherine Schaub. Ce drame comique, de Léonore Confino, raconte la vie d’une famille banale, de la scène quotidienne du « à table ! » incessamment répété par la mère de famille à celle du fils qui joue aux Doom-likes, en passant par le père toujours pressé d’aller au travail. Bien sur, au théâtre, ce n’est pas ce qu’on raconte qui constitue l’intérêt de la pièce, mais la manière dont cela est dit. Et c’est bien là tout le problème…

Pourtant, l’histoire de cette création débutait comme l’une des nombreuses success story que connaît la scène privée parisienne. Une jeune auteure sur la route ascendante est mise en scène dans un beau théâtre, celui de la Madeleine. Pour ajouter du piquant à l’événement, le rôle principal sera tenu par Agnès Jaoui en personne, elle qui n’avait pas foulé les planches depuis la dernière de Un air de famille en 1994 qui avait connu un succès unanime. Mais voilà, le texte, l’histoire, ces mots qui font l’essence même d’un spectacle, ne sont pas à la hauteur de l’événement.

Le propos de Leonore Confino se veut universel. C’est d’ailleurs cela qui a touché Agnès Jaoui et qui lui aurait donné envie de remonter sur une scène. Malheureusement, cette universalité espérée n’est qu’un pale reflet des problèmes que subit au jour le jour la famille bourgeoise de classe moyenne, plutôt supérieure. Non, tous les maris ne rêvent pas de quitter leur femme le matin en allant au travail, non, toutes les femmes ne sont pas apeurées à l’idée d’être en retard chez l’ostéopathe ou l’acupuncteur parce que la pièce de 1 euro est restée coincée dans le cadis à Intermarché. Et si l’on prend un peu de distance sur le propos : non, toutes les femmes ne sont pas maltraitées, obligées de rester chez elles pour tenir la maison. C’est néanmoins le cas du personnage joué par Agnès Jaoui, et ce jusqu’à la caricature la plus vulgaire de la fin de la pièce où maman qui en a marre raconte à son fils qu’elle avait « le vagin large comme une autoroute » après l’avoir mis au monde et qui confesse à sa fille qu’elle arrive à garder papa à la maison parce qu’elle « taille des pipes d’enfer ».

Le procédé d’écriture est pourtant amusant. Il mélange phrases construites et nuages de mots devenus lieux communs sur la vie de notre siècle, où les gens sont toujours pressés. Mais là aussi, on tombe vite dans l’idée reçue et très vite, l’humour disparaît.

Soulignons le risque qu’ont pris Jean-Claude Camus et Jean Robert-Charrier de mettre dans cette grande salle une jeune auteure, pas ou peu connue du grand public. Leonore Confino a rencontré son premier véritable succès que très récemment, avec Ring, au Petit Saint-Martin. Ce texte sur l’amour, le couple, ses succès et ses problèmes était juste, drôle, triste et joyeux. Il était porté par deux interprètes pour qui ces saynètes semblaient taillées. Coup de chance ? Ou trop d’ambition trop vite ? À La Madeleine, ça ne prend pas.

Les comédiens pourtant s’accrochent. Mais, comme un grand musicien à qui l’on donnerait une partition médiocre, on est bien obligé de voir qu’ils font ce qu’ils peuvent. Nous pourrions évoquer la belle scénographie, les procédés de mise en scène ingénieux (notamment le moment où l’adolescente anorexique atteint enfin un IMC négatif et donc devient invisible). Mais rien n’est suffisant pour sauver la pièce, à qui l’on souhaite de tomber rapidement, pour éviter à Léonore Confino que son nom soit associé trop longtemps à cet échec.

Pratique :
Actuellement au théâtre de la Madeleine
13 rue de Surène, 75008 Paris
Du mardi au samedi à 21h – Matinée le samedi à 16 h
Durée : 1h25
Tarifs : 20/52 €
Réservations au 01 42 65 07  09 ou sur http://www.theatre-madeleine.com/