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[Théâtre] Tempête de Mendjisky avec « Le Maître et Marguerite »

© Pascal Gely

Le diable aurait-il pénétré Moscou dans chacun de ses recoins ? Sur toutes les lèvres et dans quelques esprits, il avance masqué, on ne sait le trouver… Igor Mendjisky met en scène le roman déluré de Mickaïl Boulgakov, et c’est une réussite.

Non sans espièglerie, Mendjisky s’empare d’un texte en « poupées russes » qui mêle trois récits. Il tient aussi le rôle de Ivan, interné en clinique, dans un Moscou moderne, on est au XXe siècle. Ce soupçon de folie ouvre sur la vie d’un auteur qui écrit une pièce sur le Christ et Pilate. Puis du fond de la salle débarque un farfelu, le professeur Woland, qui s’incruste dans une conversation sur l’existence de Dieu. Fort accent germanique et maître en magie noire, cet espèce d’arriviste bouscule en pleine bronzette Rimsky et son ami. La scène comme une arène est cernée d’un trait blanc et vont s’y enchaîner de magistrales scénettes. Certaines donneront à voir des visions de l’esprit du personnage qui parle. En français ou en russe, en hébreu ou en grec, c’est une idée brillante pour plonger parfaitement dans cette mise en abyme. Rien n’illustre, tout s’incarne comme par enchantement. Quoique de courtes longueurs affectent par moments une mise en scène tonique, c’est très vite oublié. La troupe se régale et tout cela se sent. 

L’humour n’est pas en reste, le public se marre entraîné par Woland en hypnose collective. Déjà plutôt génial, le verbe de Boulgakov est augmenté par cette performance, celle de Romain Cottard, irradiant dans ce rôle de magicien qui frôle le stand-up. De temps à autre on s’offusque. Cynisme et mauvais goût chamboulent un spectateur qui peut alors hésiter à rire ou être outré. Cette pièce est l’expérience du divertissement même. Les doutes existentiels sont si bien esquissés que l’on s’amuse autant que l’on médite sur l’Homme. Le Bien ou le Mal, ces doutes métaphysiques sont montrés et l’on regarde, avec avidité. Si le plateau explose la barrière des lieux, chaque espace se tient et captive l’assistance qui change aussi de forme. Téléspectatrice pendant un live TV filmé, le tout devant ses yeux, l’assemblée se régale des envers de décor. Igor Mendjisky partage la beauté de son art à l’occasion d’une scène où dansent comme des pantins les comédiens, excellents. Amorcé en burlesque, ce passage s’achève en un moment sublime, à l’image de l’ensemble.

« Le Maître et Marguerite » de Michaïl Boulgakov, mis en scène par Igor Mendjisky
Durée 1h50
Plus d’informations sur https://www.la-tempete.fr/saison/2017-2018/spectacles/le-maitre-et-marguerite-76

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[Théâtre] Lorsque « La Magie lente » opère

Benoit Giros dans « La Magie lente » (DR)

Créé à Belleville au mois de mai dernier, repris à Avignon dans le OFF cet été, le texte de Denis Lachaud est un succès poignant. La Magie lente opère, cela grâce à Pierre Notte, qui met en scène le récit d’un coming-out angoissé. Dans un décor sobre, Benoît Giros porte seul la voix d’un narrateur et de deux personnages : un psy et son patient. 

Ce n’est pas une placeuse qui vous installera ce soir, mais bien le comédien. Sans détour il invite à occuper le premier rang, comme pour nous dire « Non, non, ça ne va pas crier ». Une voix simple, presque douce embarque le spectateur dans un colloque : «Mesdames, Messieurs, bonsoir. Madame la ministre, Monsieur le Doyen». L’acteur situe l’intrigue comme s’il fallait plonger dans une tragédie grecque. Au fur et à mesure que la scène se déroule, l’accès au personnage s’accomplit sans encombre. Avec autant de puissance que de délicatesse Louvier livre son être, Benoît Giros son art. Il ouvre des fenêtres, franchit des paliers, avance, recule aussi, claquant à l’occasion la porte de son thérapeute. Un rythme impeccable permet allées et venues au cœur d’une relation entre malade et médecin. On entre dans l’intime de la psychanalyse, processus sur le fil, lorsque résonne froidement « On va s’arrêter là. À vendredi prochain. ».

Le sujet de cette pièce est d’aborder aussi (mais peut-être surtout) l’homosexualité. Sans aucune pudeur, le patient Louvier rend gorge de son mal-être, et c’est alors que l’homme se révèle à lui-même. L’ensemble paraît si vrai, que l’on ne cesse de s’interroger sur la fiction du récit et c’est en cela que la magie opère. La crudité des mots, de la situation est en accès direct et ce grâce à une lumière éloquente et adroite, signée Éric Shoenzetter. L’assombrissement scandé de manière progressive entretient un voyage dans les différentes strates et degrés de conscience. Parfois même il délire, Louvier entend des voix quand il prend le métro. Ces mêmes voix faisait dire à son premier psychiatre qu’il était schizophrène.

Car ce conciliabule auquel on est convié porte aussi le sujet du mauvais diagnostic. Une erreur médicale pas vraiment comme les autres, qui peut dans certains cas faire autant de dégâts qu’un cancer du cerveau passé inaperçu. La belle contradiction de cette œuvre c’est aussi d’être titrée « magie » sans artifice superflu : ni vidéo, ni micro. Une courte bande son s’installe quelque instants pour glacer un silence et devenir un crève-cœur. La gravité du parcours n’épargne pas le public d’une puissante empathie voire d’un souffle coupé. C’est une longue maïeutique à laquelle on assiste, sous pression, sous tension, ravivée par endroits de jolis brins de malice.

« La Magie lente » texte de Denis Lachaud, mise en scène de Pierre Notte
Lumières : Éric Schoenzetter

Durée 1h10
Du 5 au 28 juillet, 19h20 à l’Artéphile, Avignon




[Théâtre] Quills

© Stéphane Bourgeois

Guérir de ses désirs est-ce bien chose possible ? Le texte de Doug Wright détourne la question, convoquant la sagesse du Marquis de Sade. Et c’est inhabituel pour ce fin philosophe machinalement rangé dans la case « libertin ». Le terme prend tout sens et se voit amplifié par une mise en scène signée Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage. Avec charme et ivresse, il est donné à voir qu’au travers les époques, toutes les anatomies recèlent des mêmes envies.

Quelle est la part mentale dans la vue, les croyances, les désirs qui gravitent autour de notre chair ? Si le XVIIIe siècle se pose mille questions, Sade l’a fait plus fort et Quills le lui rend bien. Imaginer un corps comme une enveloppe charnelle, voilà qui est accessible. Entre autres certitudes, un corps cela se sent. On peut le voir aussi, en construire une image puisque l’Homme est capable de se représenter. Sondant l’esprit humain, cette création pénètre sans égards inutiles dans ses recoins terribles. Mais le siècle éclairé traverse une contrainte, celle de la société, citoyenne, civile et également coquine… Toutes les rues de Paris n’étaient pas faite d’orgies, bien que de libres plumes l’imaginèrent ainsi. Sade fût de celles qui, explorant les tréfonds des bassesses corporelles, décrivit nos fantasmes. Panel des penchants, même des plus enfouis, références au vulgaire voire à l’ignominie, les écritures de Sade sont proposée en purge des humeurs et des foules.

Littérateur des vices, il couche sur papier, sur ses murs de prison, sur ses draps, ses vêtements, tout ce qui sous son crâne fait bouillir ses membres. Sur scène Sade est ferré, détenu à Charenton. Ses geôliers à tout prix vont tenter de faire taire cet être jugé fou, qui avait eu l’éclair des troubles de son âme. Malicieux et mesquin il charme tant qu’il peut les personnes qui l’entourent, tâchant de supporter l’enfermement contraint. Or la ruse tourne court, on empêche bientôt un confort bien spécial à ce détenu à part. Faute de résultats dans la cure de ses maux, l’asile de Charenton s’acharne pour faire guérir cet homme pourtant si sain. Mais le Marquis tenace, profondément obscène, ne pourra s’empêcher d’extraire de sa tête ce qu’il lui faut écrire. Et lorsqu’il ne le peut plus, privé de tout moyen de son expression, il utilise les gens à sa disposition. Alors l’abbé en charge de sa guérison, épuisera sa foi ainsi que sa droiture. À force de se prescrire d’un devoir divin d’éradiquer un mal impossible à sonder, le dévot sombrera de l’issue de ses péchés. S’engage sur les planches l’atrophie d’un corps nu, celui du prisonnier qui encaisse la torture, suggérée subtilement, par de vrais beaux moments.

Sade manipule le vice, l’insinue dans les chairs, défendant l’athéisme au sein d’une société encore clouée à Dieu. Pierre-Olivier Grondin, dans la peau du Marquis, révèle avec finesse et un charme irradiant l’habile philosophe cherchant certes à jouir, mais peut-être encore plus à trouver le bonheur pour lui et ses semblables. L’essence même de Sade se vit dans un décor extraordinairement juste, perspicace et tranchant, manipulé de sorte qu’il passe du libre au clos. Les portes s’ouvrent et se ferment, exploitant par moment la transparence des murs pour laisser libre cours à des vues de l’esprit, sensuelles et électriques. La scène offre à la salle l’étude d’un être entier, mal assorti en somme, aux temps qui l’ont fait naître.

« Quills » de Doug Wright, mise en scène et espace scénique signés Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage.
Durée 2h20.
Plus d’informations sur : http://www.colline.fr/fr/spectacle/quills 

 

 




[Théâtre] Les Soldats & Lenz

© Le Festin – Cie Anne-Laure Liégeois

Il y a quelques semaines la compagnie du Festin dévoilait à Nantes sa dernière création, et la voilà passée au Théâtre 71 situé à Malakoff. Avant une grande tournée, Anne-Laure Liégeois livre aux spectateurs franciliens Les Soldats & Lenz, deux pièces quasi en une, de Lenz et de Büchner. Si Les Soldats suit le parcours tourmenté d’une jeune femme victime de ses désirs, c’est aussi le récit d’une société réglée par d’étroites conventions. L’œuvre prend de l’ampleur et se voit prolongée par le Lenz de Büchner, traverse initiatique tout à fait saisissante dans l’esprit tourmenté de l’auteur des Soldats.

Marie est une jeune femme qui découvre les hommes, ainsi que son désir. Inversons donc les lettres de ce prénom biblique afin de la décrire et l’ériger en « A-I-M-E-R », puisqu’elle ne veut que cela. Tout à la fois candide, terrible et provocante, elle lèvera un voile que son éducation avait mis sur les hommes. Elle séduit, s’en délecte, puis découvre à quel prix… Tout au long du spectacle qu’elle offre aux soldats, prédateurs insatiables de la caserne voisine, elle est une proie facile. Le fameux, mais subtil, « théâtre dans le théâtre », l’abandonne en pâture aux regards de ces hommes, sous les yeux d’une salle encore éclairée. Puis le foyer s’éteint et le texte devient sombre, avec pour toile de fond l’élite inaccessible par ascension sociale. La scène vomit alors aristos prétentieux et baronnes délurées. Au milieu de cette faune d’humanités vicieuses, c’est Elsa Canovas (Marie), irradiante et subtile, qui souffle la douceur de cette fille inconsciente. Fidèle à ses marottes, Anne-Laure Liégeois questionne sans tabous ni excès, le sexe et la violence : c’est trash mais pas gratuit alors c’est réussit. Pertinentes et sincères, les plusieurs scènes de viol sont infailliblement au service du propos, éminemment féroce.

Alors que les lueurs se rallument un instant, le décor s’allège et laisse place à Lenz. Olivier Dutilloy et Agnès Sourdillon donnent à ressentir ce texte de Büchner, autopsie frénétique de J.M.R. Lenz, dramaturge tourmenté et auteur des Soldats. Et c’est en sweat-basket que les deux interprètes s’empareront des planches, traçant par leurs cent pas la ligne imaginaire de la largeur de scène. Allers-retours terribles comme « tempête sous un crâne », on plonge dans le récit d’une nuit de janvier, dans la neige et dans l’eau où Lenz s’est tué. Tour de force corporel, les mouvements exacts de ces deux comédiens, ponctuent un texte amer, diagnostic douloureux de la folie d’un homme. Tout résonne et fait sens. L’usage des micros permet à chaque soupir d’accrocher le public, en miroir duquel se tiennent sept comédiens, assis en face de nous, à l’arrière de la scène. Néons braqués sur eux, parfois on les regarde, souvent on les ignore. Fantômes indélébiles du drame précédent, ils semblent immobiles mais cependant ils bougent au rythme ralenti d’une conception sonore habile et étincelante, signée François Leymarie.

Manœuvrés tous ensembles pour s’adresser aux sens, les outils du théâtre sont maniés de telle sorte que l’on se laisse faire. D’un drame social sublime à l’histoire ténébreuse de son compositeur, le spectacle est un tout. Jamais pris à parti, le spectateur est libre de vagabonder de l’œil ainsi que de l’esprit. Divaguant dans son coin sur Dieu, sur l’art, sur l’homme, il se saisit des thèmes de ces textes portées hauts par l’harmonie géniale de cette adaptation.

« Les Soldats & Lenz » d’après JMR Lenz, traduction adaptation et mise en scène de Anne Laure Liégeois. Durée 3h10, plus d’informations sur : http://www.lefestin.org/fiche_spectacle.cfm/272420-6813_les-soldats–lenz.html

 

 

 

 

 




[Théâtre] La Clef de Gaïa – Des airs de famille …

Voilà maintenant plus de 3 ans que La Clef de Gaïa a été présenté pour la première fois au public. Quelques tournées et festivals d’Avignon plus tard, l’équipe a posé sa tente depuis fin septembre au Théâtre des Mathurins, en plein coeur de Paris.

Mais on oublie vite la frénésie des grands boulevards si proches, dès que la lumière tombe et que les premiers mots retentissent. Nous sommes plongés dans les évocations de l’Algérie du milieu du siècle dernier. Lina Lamara nous emmène faire connaissance avec sa famille et plus spécialement sa grand-mère paternelle, sa Mouima. Déjeuners en famille (nombreuse), scènes de la vie quotidienne, rituel du hammam, le spectateur est littéralement présent au coeur de cette vie de famille.

Le talent de la comédienne nous fait ainsi passer d’un personnage à l’autre, son jeu se transforme du tac au tac, de l’aïeule et son langage tout en images et en sonorités méditerranéennes, à l’adolescente ennamourée aux complaintes revêches, et aux airs américains. Car c’est bien toute une vie qui nous est donnée à voir au travers du prisme de l’enfant grandissant et s’épanouissant sous nos yeux. Toute une vie imprégnée par l’histoire et l’héritage d’un pays meurtri par de terribles événements, mais également sublimé par une culture séculaire, où le partage, la famille, la bienveillance envers l’autre font office de lois naturelles. La vie d’une Mouima, ordinaire dans sa vie de tous les jours, extraordinaire aux yeux et dans le coeur de sa petite fille. Cette petite fille qui se présente à nous, sur scène, et nous envoûte aux mélodies des mondes qui s’entrecroisent dans sa vie et ses envies.

Portée par les accords d’une guitare, tantôt discrets, tantôt enjoués voire endiablés, Gaïa, comme l’appelle sa Mouima, nous transporte. En explorant ces différents mondes qui l’attirent ou l’aspirent, c’est aussi sa Mouima qui va s’ouvrir et se confier, destins croisés de deux femmes et de deux époques.

La mise en scène, sans extravagance, précise sur les jeux de lumières et les effets sonores, accompagne et magnifie l’évocation de ces destins familiaux. Et si certains instants peuvent sembler décousus ou certaines répliques parfois attendues, l’ambiance magique qui règne dans la salle est plus forte, l’émotion prend le dessus. La beauté des personnages que l’on observe, tout en simplicité et en naturel, fait mouche dans notre contexte troublé et incertain, où certaines valeurs semblent s’effacer progressivement de la nature humaine.

Alors, n’oubliez pas votre d’offrir une orange à ceux qui vous sont chers …

Affiche

La Clef de Gaïa
Théâtre des Mathurins, 36 rue des Mathurins, 75008 Paris
Du jeudi au samedi, à 19h
28 euros en placement libre
Avec : Lina Lamara, Pierre Delaup
Mise en scène : Cristos Mitropoulos
Lumières : Maxime Roger
Décor : Christian Courcelles
Production : Compote de Prod
Réservations : http://www.theatredesmathurins.com/spectacle/336/la-clef-de-gaia




[Théâtre] Avignon/IN : L’Antigone japonaise de Satoshi Miyagi

Photo : Christophe Raynaud de Lage

Après son Mahabharata monté il y a trois ans à la carrière de Boulbon, Satoshi Miyagi ouvre le 71e Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur avec Antigone version japonaise. Pour son spectacle, il fait disparaître toute la scène sous l’eau, et nous immerge dans la tragédie grecque par le biais du théâtre traditionnel japonais pour un beau – mais peut-être trop long – moment de contemplation.

Tout le monde ou presque a déjà vu Antigone, ou bien en connaît au moins les tenants et les aboutissants si bien que dès le début du spectacle Satoshi Miyagi nous surprend en se jouant de la connaissance partielle que nous avons de cette pièce. Les dix premières minutes sont en effet consacrées à un résumé en français de la tragédie de Sophocle avec un humour ravageur, tant le français semble être difficile à parler pour la troupe japonaise. Sur le miroir d’eau, le préambule comique passé, les comédiens tels des silhouettes fantomatiques blanches ondulent, jouent et miment la pièce. Le metteur en scène a en fait dédoublé certains personnages comme Antigone, Ismène ou Créon de sorte que l’un conte la fable tourné et figé vers nous, tandis que l’autre mime la scène dont les mouvements sont projetés sur le Palais des Papes dans un jeu d’ombres envoûtant.

Photo : Christophe Raynaud de Lage

Du début à la fin, la mise en scène de Satoshi Miyagi est parfaitement orchestrée, tous les gestes très lents des comédiens concourent à la création d’une ambiance très zen, très chorégraphiée tant les rituels sont dansés. Que ce soit Antigone fardée d’une perruque blonde perchée sur un rocher massif jouant les scènes avec grâce, ou tous les comédiens formant un cercle processionnel hypnotique, la démesure du lieu, du miroir d’eau et des ombres se heurtent à une quiétude remarquable mais qui finit par provoquer de l’ennui. Cette Antigone marquée par le bouddhisme japonais est surtout un spectacle contemplatif pour nous public occidental. Souvent, certains mouvements sont si codifiés que nous sommes relégués à la contemplation de ce que nous trouvons beau sans vraiment savoir pourquoi. Si le théâtre d’ombres voulu par le metteur en scène est spectaculaire, il reste néanmoins figé et certaines scènes s’étirent trop en longueur.

Heureusement pour le public, la méditation poétique à laquelle il est convié est accompagnée de la musique pensée par Hiroko Tanakawa. Ce dernier a composé une partition répétitive, faite de percussions très marquantes dont on ne se lasse pas. De fait, cette Antigone montée avec beaucoup de soin et de grandeur nous impressionne mais reste trop hermétique à son public pour qui la simple contemplation, aussi agréable soit-elle, ne peut suffire quand elle ne dit rien de percutant sur la situation du monde actuel.

Antigone, de Sophocle, mise en scène Satoshi Miyagi, Spectacle en japonais surtitré en français, Cour d’honneur du Palais des Papes, Festival d’Avignon – Du 6 au 12 juillet, relâche le 9 à 22h. Durée : 1h35. Pour plus d’informations : http://www.festival-avignon.com/fr/spectacles/2017/antigone




[Théâtre] Une Mouette qui nous prend au vol et s’abat sur nous

Photo : Clément Carmar

Le Théâtre de la Bastille accueille La Mouette, une pièce de Tchekhov mise en scène par Thibault Perrenoud, qui nous en offre une version décapante, saisissante de réalité et toujours en prise avec l’actualité.

Dans la pièce de Tchekhov, la mouette n’est autre que Nina, une jeune femme qui va périr d’amour. D’abord aimée de Constant qui lui écrit une pièce, la jeune actrice qu’elle est va s’enfouir avec l’amant de la mère de celui qui l’aime et qui lui abattra une mouette. Comme d’habitude chez Tchekhov, tous sont tourmentés, se cherchent, fuient mais reviennent confrontés à ce qu’ils sont. Dans la mise en scène signée par Thibault Perrenoud, les personnages sont ceux de Tchekhov mais comme actualisés, transposés à aujourd’hui et nos vies. Dès leur entrée sur un plateau où le public est installé dans un système en quadri-frontal, ils se révèlent proches de nous, ils jouent des sentiments que l’on connaît tous, ils sont assis parmi nous et dans une temporalité qui nous échappe tant cette pièce ainsi montée s’impose comme une évidence, on est balloté d’émotion en émotion, de la détresse de chacun à la mort annoncée de l’un d’eux.

Même s’il prend des risques avec le texte original, le metteur en scène crée un spectacle épuré, marqué par des fulgurances qui nous heurtent en plein vol si bien que l’âme de Tchekhov plane toujours au-dessus de nous, et ce malgré le choix d’un franc-parler déroutant au départ. Là où Thibault Perrenoud comme sa troupe d’acteurs excellent, c’est aussi dans ce qui n’est pas dit mais que l’on voit ou que l’on entend quand même. Car entre les répliques ou pendant, les situations semblent se vivre « pour de vrai », toujours il se passe des choses hors-scène, et toujours les frustrations de chacun – amoureuses ou artistiques – sont prégnantes.

En deux heures à peine, on éprouve les vies des personnages, leurs difficiles relations entre eux et avec le monde qu’il faut habiter. Par de multiples clins d’œil intelligents à notre actualité, le chômage, l’écologie, le terrorisme, le metteur en scène nous achève et montre qu’avec peu de choses il reconstitue tout un monde et un tissu social qui nous interpellent. Et plus le temps passe, plus comme cette mouette abattue, spectatrice constante abandonnée en bord de plateau, on y laisse quelques plumes.

« La Mouette », de Tchekhov, mise en scène Thibault Perrenoud, actuellement au Théâtre de la Bastille, 76, rue de la Roquette, 75011 Paris. Durée : 2h. Plus d’informations et réservations sur http://www.theatre-bastille.com/saison-16-17/les-spectacles/la-mouette




[Opéra] Billy Budd au Teatro Real, éclatante plongée dans les abîmes du mâle

Photo : Javier del Real

À l’occasion de son bicentenaire, le Teatro Real de Madrid accueille une création événement coproduite par l’Opéra de Paris (qui devrait donc la présenter pour la saison 2018-2019) : Billy Budd. Cet opéra en deux actes composé par Benjamin Britten, dont le livret est de Edward Morgan Forster et Eric Crozier, est l’adaptation du roman homonyme d’Herman Melville, aujourd’hui mis en scène de façon monumentale par Deborah Warner.

Enrôlé de force sur le navire de guerre « L’Indomptable », contre la France à la fin du XVIIIe siècle, William Budd est un jeune marin qui fascine par sa beauté et son éclat, pourtant le capitaine d’armes John Claggart souhaite le voir disparaître. Accusé à tort de préparer une mutinerie à bord du vaisseau et d’incarner l’esprit révolutionnaire qui secoue la France, alors grande ennemie de l’Angleterre, Billy Budd est fatalement condamné, et pendu.

Si l’issue tragique de cet opéra est donnée dès la première scène, Deborah Warner parvient à créer une ambiance dignement grandiose où tout y est sombre et haletant. Du calme renforcé par le dépouillement de la scène aux tumultes des échanges entre William Budd et le maître d’armes : une vague inquiétante prend corps grâce aux nombreux choristes présents, se mouvant toujours en harmonie, déploiement visuel d’une mer capricieuse. Tels une seule onde tous les hommes de cet opéra, caractérisé par l’absence totale de femme, donnent des frissons, que ce soit par la force tranquille qu’ils représentent constamment ou par la grave puissance de leurs voix qui n’en est qu’une, celle de Billy.

Grâce à d’incroyables possibilités techniques, la metteure en scène crée un espace cerclé de cordes et de lignes d’eau, marqué par une structure en bois imposante qui bouge au gré des remous de la mer, et de la foule d’hommes qu’elle supporte – plus de 90 figurants et chanteurs. L’esthétique proposée par Deborah Warner donne finalement une lecture classique de cet opéra, dont elle parvient à saisir toutes les tensions, aussi admirablement portées par la distribution des rôles et soutenues par la direction musicale d’Ivor Bolton. On ressort notamment marqué par la prestation de Jacques Imbrailo (Billy Budd), mais surtout par celle de Brindley Sherratt, le maître d’armes à la voix de basse saisissante.

Deborah Warner offre un noble retour au Teatro Real, qui parvient à s’affirmer sur la scène européenne par cette coproduction, renforçant l’attente de sa création en mai prochain : Le Testament de Marie, de l’irlandais Colm Tóibín, avec Dominique Blanc au Théâtre de l’Odéon.

Billy Budd, de Benjamin Britten, livret d’Edward Morgan Forster et Eric Crozier, d’après Herman Melville, direction musicale Ivor Bolton, mise en scène Deborah Warner. Production du Teatro Real, coproduction avec l’Opéra National de Paris. Durée : 3h15 (avec entracte). Jusqu’au 28 février à Madrid. Plus d’informations ici : http://www.teatro-real.com/




[Critique-Théâtre] « Aigle à deux têtes » pour acteurs sans direction

« L’Aigle à deux têtes » nous fait prendre le chemin du Théâtre Le Ranelagh d’abord pour l’affiche : Alexis Moncorgé y tient l’un des principaux rôles. Mais le lauréat 2016 du Molière de la Révélation masculine (justement remporté pour « Amok ») se retrouve fauché dans son envol, empêtré dans un spectacle où ni son talent, ni celui des autres acteurs, n’ont de place pour s’exprimer.

Quelle idée de ressortir ce drame médiévo-socialo-romantique de Jean Cocteau, monté sur mesure pour un Jean Marais au sommet de sa gloire (on est en 1949) ? Cette intrigue, très librement inspirée de la mort du roi Louis II de Bavière, montre la rencontre improbable entre la veuve du roi (Delphine Depardieu) et un poète anarchiste qui cherche à l’assassiner (Alexis Moncorgé). L’un comme l’autre se redonneront goût à la vie pour mourir en même temps, évidemment.

Pour ne rien arranger à l’ennui de cette histoire, les acteurs la jouent – on l’imagine ! – comme à sa création : dans un premier degré inouï de candeur dégoulinante. La mise en scène d’Issame Chayle ne permet aucune distance : l’histoire se déroulant dans un château du XIXe siècle, les costumes, les draperies, l’éclairage à la torche, tout est là « pour faire comme ». Aucune réflexion sur l’intériorité des personnages ne vient donner de corps à l’œuvre. Et pourtant, cet orage fracassant que l’on entend au début de la pièce, n’est-il pas une image des sentiments qui habitent la reine ? Rendu ici trop visible, il perd toute sa force, une évidence qui s’affirme tout au long du spectacle. L’étrangeté n’est qu’artifice lumineux, aucun personnage ne l’incarne.

N’oublions pas que deux personnes que tout sépare socialement, qui s’aiment à la folie et qui connaissent une histoire dramatique, cela peut donner « Roméo et Juliette » mais aussi « Titanic ». Malheureusement, sur le baromètre de la niaiserie, « L’Aigle à Deux têtes » ferait passer le film de James Cameron pour une réflexion complexe sur la relation homme-femme.

« L’Aigle à deux têtes », de Jean Cocteau, mise en scène d’Issame Chayle, avec Delphine Depardieu et Alexis Moncorgé (Molière de la Révélation Masculine 2016), François Nambot, Julien Urrutia, Salomé Villiers, actuellement au Théâtre Le Ranelagh, 5 rue des Vignes, 75016 Paris. Durée : 1h40. Plus d’informations ici : www.theatre-ranelagh.com




[Théâtre] Irina Brook veut faire « voyager ceux qui ne bougent pas »

Irina Brook (photo : Martin Bouffard)

À la tête du Théâtre National de Nice depuis 2014, menant des projets tel que « Réveillons-nous », festival écologiste depuis 2015, dirigeant des mises en scène de textes comme « Terre Noire » ou « ? » de Stefano Massini, « Lampedusa Beach » de Lina Prosa, Irina Brook est l’une des femmes de théâtre à placer très ouvertement le mot « écologie » au cœur de ses projets. Le terme est pris dans sons sens large : humanité, programme social, respect de la nature et donc des êtres. La franchise de son projet va avec l’urgence d’une prise de conscience globale à l’échelle de la planète, un travail au quotidien à sa hauteur.

Irina Brook a régulièrement assumé une conscience écologiste arrivée sur le tard, au fil de lectures. En parallèle de la Cop21, durant la saison 2015-2016, elle lançait « Réveillons-nous », ce festival aux formes multiples qui fait du théâtre un lieu où construire une pensée plus verte, plus à l’écoute du monde qui l’entoure. Durant cette première édition, elle avait accueilli la créations « Les Glaciers grondants », fable de David Lescot, mais aussi l’avant-première du film qui a depuis créé l’événement, « Demain », pour un public curieux et néanmoins nombreux.

« Les Glaciers grondants » (photo : Pascal Victor / Artcomart)

Les questions sur les rapports nord/sud transparaissent évidemment dans son travail de metteure en scène, avec « Lampedusa Beach », pièce sur l’émigration tragique d’une africaine pour l’Italie, mais surtout avec « Terre Noire ». Cette pièce de Stefano Massini montre le combat de petits paysans contre la « Earth Corporation » – avatar transparent de Monsanto – afin de pouvoir reprendre le droit de cultiver durablement leurs terres. Dans un très beau décor, où le jeu sur la transparence laisse entrevoir en fond de scène quelques carcasses de machines jonchant des terres souillées, la sagesse simple mais essentielle se laisse entendre. A la question d’un paysan à son fils, « qui travaille le plus à nous nourrir ? », la réponse est l’évidence même : « la terre », et pourtant, on ne la respecte pas. Le couple de paysans est porté par un duo très touchant incarné par Babetida Sadjo et Pitcho Womba Konga, et le combat entre les avocats Romane Bohringer et Hippolyte Girardot ne manque pas de cynisme. Sur des questions capitales, « Terre Noire » est un drame haletant, intense. Certains y verront de la naïveté, nous préférons y voir une fibre positive, un cri d’espoir frontal qu’il faut faire entendre jusqu’à ce que les choses changent.

La metteure en scène a coupé dans le texte de Massini pour donner à la pièce un aspect universel, « cette histoire une parmi des milliers d’histoires similaires ». Afin d’en assumer l’horreur, Irina Brook projette en début de représentation des images des conséquences de la vente des graines stériles de Monsanto aux paysans indiens. 250 000 d’entre eux se sont suicidés quand ils ont pris conscience du piège qui s’était refermé sur eux. On voit les familles, les morts, les bûchers qui les consument….

« Terre Noire » (photo : Théâtre National de Nice)

Brook rêve de voir davantage de spectacles sur cette thématique. En tant que directrice de théâtre, elle dit « recevoir beaucoup de pièces contemporaines et porter de l’intérêt à certaines », tout en regrettant qu’un grand nombre ne parle que de choses qui ne l’intéressent pas : « je ne compte plus le nombre de textes reçus qui parlent, par exemple, de la vie de Modigliani », en d’autres termes, déconnectées de l’actualité.

Car si le théâtre est toujours le miroir de l’humanité, peu de pièces montrent frontalement l’agonie de la nature, selon Irina Brook. Elle dit en « avoir peu trouvées, malgré de nombreuses recherches ». Alors elle attend, espère, qu’un auteur vienne travailler au plateau avec les comédiens et elle sur des idées qu’elle conçoit : « j’aimerais qu’un auteur soit prêt à se lancer dans cette expérience commune ».

Des projets, Irina Brook en a donc quelques-uns, malgré un poste de directrice qui lui paraît parfois éreintant : « il y a quelque mois, j’ai eu envie de tout envoyer balader, mais aujourd’hui, je pense que ce serait vraiment dommage de partir du TNN avant de voir grandir toutes les graines que j’ai semées ». Elle affirme donc vouloir accomplir « au moins » son deuxième mandat, afin de continuer à « faire voyager les gens qui ne bougent pas ».

Hadrien Volle

« Terre Noire » en tournée 2017 :

  • Théâtre des Célestins (Lyon), du 31 janvier au 4 février,
  • Théâtre le Forum (Fréjus), 7 février,
  • Plan les Ouates, 10 février,
  • Théâtre CO2 (Bulle), 17 février,
  • Wolubilis (Bruxelles), 22 février,
  • Théâtre des Sablons (Neuilly sur Seine), 25 février,
  • Théâtre Jacques Coeur (Lattes), 3 mars,
  • La Criée (Marseille), 9 au 11 mars,
  • CC Yzeurespace (Yzeure), 14 mars,
  • Théâtre la Colonne (Miramas), 17 mars,
  • Il Funaro (Pistoia), 23 et 24 mars.



[Théâtre] Juste la fin du monde au Théâtre de Verre

Photo : Victoria Sitja

En avril dernier, Victoria Sitjà nous avait éblouis pour sa mise en scène des « Trois Sœurs » de Tchekhov, et sa capacité remarquable à créer, sans moyens, de très belles images. Elle nous a marqué également par son idée d’aborder les questions de l’héritage et de la nostalgie à travers une trilogie composée à partir d’auteurs et de messages différents. Pour continuer ce travail, elle a mis en scène « Juste la fin du monde », de Jean-Luc Lagarce, s’inscrivant ainsi autant qu’elle se détache de l’actualité autour de cette pièce.

« Je décidais de retourner les voir, revenir sur mes pas, aller sur mes traces et faire le voyage », dès les premiers mots de Louis, la question de l’héritage chère à Victoria Sitjà est palpable. On ne cesse jamais de découvrir sa propre famille. À chaque retour chez soi, qui ne se rend pas compte que ces personnes qui nous élèvent ne nous connaissent finalement que peu ?

Le dispositif bifrontal, qui place toute l’action sur la longueur, bien que nous offrant l’excitante position de voyeur, ne porte pas toujours ses fruits dans les effets attendus par le spectateur. Parfois, la famille autour de Louis apparaît telle une brochette, figée, comme tenue par un pique. Une lecture carnassière de l’origine de Louis ? Ce parti pris souligne néanmoins la solitude évidente d’un héros isolé de par le regard de sa propre famille. À plusieurs reprises, le rythme des scènes le laisse à l’écart, en quelques échanges, il se retrouve seul si bien que les glissements vers les monologues se font avec fluidité. Autour de lui, les mots fusent, ils sont coupés, mâchés, débités, le dire des autres personnages crée une musique qui assaille, surcharge les épaules de Louis qui est le seul à parler posément. La mise en scène concoure toujours à renforcer cet effet. Dès que Louis est en famille, les lumières clignotent, les scènes s’enchaînent de même que le choix des musiques effectués par Victoria Sitjà qui nous donne à voir des images spectaculaires allant directement contraster avec les moments de solitude du héros qui, pour autant, sont particulièrement esthétiques. On se souvient par exemple de la famille qui, d’une marche synchronisée, soulève l’estrade depuis laquelle Louis déclame ses souffrances, annonçant le cortège funèbre prochain. À plusieurs reprises, la jeune metteure en scène réussit à nous saisir par ses tableaux devançant le texte et défiant l’action à venir.

On est marqué par le jeu classique d’Alexandre Risso (Louis), il contraste avec une Suzanne touchante, sincère, dont le rôle nous rappelle celui de Macha dans les « Trois Sœurs » où la comédienne s’était déjà illustrée. Mais la plus marquante, celle qui le mieux « cherche la vérité de son personnage, et arpente la réalité onirique de la représentation qu’elle crée », pour reprendre les mots de Krystian Lupa, reste la mère, vécue plus qu’incarnée par Dorothée Le Troadec, si jeune mais évoquant pourtant tant d’expérience, elle marque l’ensemble de la troupe par la puissance de son talent.

Par les contrastes dans le jeu et la plus grande simplicité de la mise en scène « Juste la fin du monde » marque une étape, certes moins aboutie que « Les Trois Sœurs », mais qui trouve une logique dans le travail en cours de Victoria Sitjà. Une étape qui accroit notre désir de découvrir cette trilogie dans son ensemble.

« Juste la fin du monde », de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Victoria Sitjà, au Théâtre de Verre en décembre 2016.




[Critique-Théâtre] Un radiateur vous manque, et tout est dépeuplé

Photo : Elisabeth Carecchio
Photo : Elisabeth Carecchio

Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, après avoir rejoué « Nous partons pour ne plus vous donner de soucis » aux Ateliers Berthier la semaine passée, spectacle créé l’année dernière qui avait été salué par la critique, reviennent jusqu’au 18 décembre avec leur nouvelle création « Le ciel n’est plus une toile de fond » qui explore la précarité et notre rapport à autrui.

Fascinés par le fait de comprendre où se trouve la frontière entre notre monte intérieur et notre monde extérieur et la façon dont nous existons et apparaissons au monde, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini dans leur dernière création s’étaient intéressés au sort de quatre retraitées grecques qui se sont données la mort en raison de la crise économique. Nourrie de cette expérience de jeu sans recherche de vraisemblance pour jouer les retraitées, la nouvelle création « Il cielo non è un fondale » engage une réflexion aboutie sur le fond et la figure, sur le rêve et la réalité en complicité avec le spectateur. Tout commence d’ailleurs par le rêve de l’un des comédiens, qui y aurait vu Daria allongée au sol dans la rue, et aurait passé son chemin sans lui venir en aide. Une précarité qui a tout à voir, quand on pense à l’origine italienne des metteurs en scène, avec ces réfugiés qui échouent sur les plages de l’Italie, une image qui fait d’autant plus sens qu’à plusieurs reprises, les comédiens chutent au sol ; décontextualisé, le naufrage de l’humanité à peine esquissé pèse sur la pièce.

De là, des situations s’enchainent et s’entremêlent pour élucider notre rapport à la précarité et le sentiment de culpabilité, et ou de responsabilité que notre regard sur une personne dans le besoin, à terre dans la rue entraine et déclenche en nous. Dans un monde qui tend à s’urbaniser et où la ville nous efface, comment habiter l’espace urbain et densément peuplé ? Les comédiens et metteurs en scène s’emparent de la notion de paysage pour lui donner la parole sur un plateau dénué de tout décor où pourtant, règnent les bruits de la ville en fond sonore presque continu. Influencés par les écrits d’Annie Ernaux, « La Place » ou encore « Journal du dehors » dans lesquels l’auteure a consigné des conversations qu’elle a entendues dans les grandes surfaces ou les transports en commun, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini ont voulu, à la manière d’Annie Ernaux, recréer et explorer les conditions d’une observation du monde à travers leurs expériences personnelles et le récit qu’ils livrent d’eux-mêmes. Un récit qui par extension, interroge le propre récit que nous livrons sur notre existence et le fait que finalement, nous vivons tous ensemble dans des mondes différents façonnés par nos expériences. Quand Daria Deflorian nous parle de ses soirées au supermarché, à en faire la fermeture à la recherche d’achats à faire qui la rendraient normale et conforme au monde, elle nous dit beaucoup sur le monde actuel et la détresse de ceux qui l’occupe.

D’un constat acerbe porté sur le monde traversé par des détails de la vie de chacun, nait un spectacle teinté de beaucoup d’humour et de lucidité où le radiateur qui occupe le plateau le temps de la représentation tend à se démultiplier, pour contribuer à réchauffer un monde devenu trop aride.

« Il cielo non è un fondale » [Le ciel n’est pas une toile de fond], de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, jusqu’au 18 décembre, aux Ateliers Berthier, Théâtre de l’Odéon (17e), 1, rue André Suares, 75017 Paris. Durée : 1h30. Plus d’informations ici : http://www.theatre-odeon.eu/fr/2016-2017/spectacles/il-cielo-non-e-un-fondale

 




[Critique] La Femme Rompue : Josiane Balasko invective la famille

Photo : Pascal Victor
Photo : Pascal Victor

« La Femme Rompue », mise en scène par Hélène Fillières, est une adaptation de « Monologue », une nouvelle écrite par Simone de Beauvoir en 1967 qui est une longue déclamation, celle d’une femme brisée par la vie qui décide de se retrouve seule un soir de réveillon. Elle vocifère ses désillusions, se révolte contre le monde allongée sur un divan. Josiane Balasko, habituée aux rôles comiques, se livre à une confession brutale, elle diffame, hurle sa rage à chaque réplique et contient sa sensibilité. Elle accomplit une performance remarquable tant son élocution et sa franchise collent au rôle.

Ayant perdue sa fille d’un suicide, Muriel n’est plus satisfaite de rien. Le personnage incarné est complexe : cette femme voudrait tout à la fois se réhabiliter vis-à-vis de la société tout en la dénigrant, allant jusqu’à se déclarer anticonformiste. Dans une atmosphère aussi sombre que le discours acerbe sur l’humanité, les lumières prennent une place importante sur le jeu, elles sculptent l’espace : tantôt referment le divan – seul élément de décor – sur lui-même, tantôt ouvrent des perspectives. Depuis ce lieu qui évoque la psychanalyse, les éclairages créent des ambiances suivant les émotions extrêmes que traverse la révoltée.

Du début à la fin, Josiane Balasko fait frémir le public en installant une relation presque intime, sa voix rugueuse donne vie à un cœur froid à la vie salopée. Franche et intrépide, la femme esseulée qui apparaît sous nos yeux évoque une existence pleine de deuils et de drames… Elle a renoncé. Dans son immeuble, elle est la « femme seule » malmenée par tous, à commencer par ses voisins qui font du bruit au point de la rendre hystérique plus qu’elle ne l’était déjà contre sa famille. Seul son père échappe à ses regrets et diffamations, il est l’unique personne qui l’a vraiment aimée alors que sa mère est réduite au néant depuis qu’elle a été condamnée à ne plus pouvoir jouer sa propre maternité. Les mots de Simone de Beauvoir dépeignent un personnage en détresse face aux hommes, aux pressions sociétales, une femme qui ne sait plus évaluer ses propres responsabilités ni même comprendre ses choix.

La Femme Rompue, d’après Monologue extrait de La Femme Rompue de Simone de Beauvoir, mise en scène Hélène Fillières, avec Josiane Balasko, du 7 au 31 décembre au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 (bis), bd de La Chapelle, 75010 Paris. Durée : 1h10. Informations et réservations : http://www.bouffesdunord.com/fr/la-saison/la-femme-rompue

 




Une Chambre en Inde : le Soleil écrase l’obscurantisme

Photo : Michèle Laurent
Photo : Michèle Laurent

Au Théâtre du Soleil, Ariane Mnouchkine et sa troupe reviennent avec leur nouvelle création, Une Chambre en Inde, car c’est en Inde que la metteure en scène a trouvé assez de matériau et de forces pour évoquer les attentats du 13 novembre 2015, pour qu’enfin le rire triomphe du fanatisme.

Comme toujours, Ariane Mnouchkine nous accueille et déchire nos tickets, avant de découvrir le Théâtre du Soleil, entièrement redécoré aux couleurs de l’Inde, saturé d’odeurs évoquant le pays, où les comédiens se changent et se préparent à vue, premier pas et grandiose amuse-bouche de ce qui nous attend une fois installés dans la salle de spectacle.

C’est en Inde, dans sa chambre qui sera le cœur battant de la pièce, que l’on découvre Cornélia, qui n’est autre que le personnage d’Ariane Mnouchkine, qui à distance vit le chaos des attentats du 13 novembre à Paris et souffre de ne plus avoir de visions pour créer son spectacle. Alors qu’elle et sa troupe étaient partis en Inde aux frais de l’Alliance Française pour jouer le Mahabharata, grande épopée et plus long poème jamais écrit sur la mythologie hindoue, l’horreur de ces attentats fanatiques les ébranle. Comment ne pas s’en saisir et en parler ? Leur retraite en Inde, loin de les couper du monde et de sa terrible actualité, devient salutaire pour leur permettre de mieux s’y confronter. Provoquant, le spectacle l’est dès le départ, et le ton humoristique est annoncé dès lors que Cornélia nous confesse son désarroi du haut de ses toilettes. Pour la troupe, le rire est un pouvoir magique et enchanteur à retrouver grâce au théâtre, car si l’on sauve le théâtre, un art qui permet d’assumer son impuissance, on sauve le monde.

Et dans cette chambre, lieu de tous les rêves et de toutes les visions de la metteure en scène, Cornélia – par extension Ariane Mnouchkine – réenchante et sauve le monde du fanatisme religieux, de Daech, en nous réapprenant à rire de ce qui pendant presqu’un an, nous avait fait pleurer. La chambre en Inde devient un lieu de traverse pour la troupe qui y déferle tantôt pour y jouer des scènes du Mahabharata dans des costumes traditionnels somptueux, tantôt des terroristes et chefs d’état saoudiens, avant de tout remballer à chaque fois que Cornélia est réveillée par les coups de fil incessants de son amie Astrid, ancrage récurrent dans le réel. Mais comme en Inde « on n’est pas au XXIème siècle, on est en Inde », toutes les images oniriques créées par Ariane Mnouchkine servent aussi un propos saisissant sur l’oppression des femmes dans ce pays ainsi qu’au Moyen-Orient, notamment lorsque le temps d’une scène très drôle, le parlement finlandais rencontre les saoudiens pour parler des « droits de l’homme ». L’Inde se transforme en porte ouverte pour aborder tous les sujets. D’ailleurs, dans ce spectacle, tout est osé au point que l’on rit d’un groupe de terroristes qui n’arrivent pas à déclencher leurs ceintures d’explosifs, qu’importe, Cornélia nous a prévenus, les dieux doivent pouvoir être rangés sur une étagère. Préoccupés par un souci d’exactitude pour parler de sujets aussi délicats, les comédiens vont jusqu’à nous expliquer ce que veut dire Daech de sorte qu’Une Chambre en Inde est une habile rencontre entre l’Histoire et l’actualité, pour vaincre par le rire la charte islamique, devenue sous nos yeux « charme islamique ». Cette vaste comédie humaine au sein de laquelle Gandhi, Tchekhov ou Shakespeare font irruption, atteint son paroxysme par l’émotion que procure la dernière scène. Tous sont réunis sur scène, regroupés autour du dictateur de Chaplin et son très fameux discours qui clôture la pièce sur un incroyable appel à l’humanité.

Une Chambre en Inde, création collective dirigée par Ariane Mnouchkine, actuellement au Théâtre du Soleil, Cartoucherie, 75012 Paris. Durée : 4h entracte compris. Plus d’informations ici : http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/




Actu : Rencontre avec Krystian Lupa au Théâtre de l’Odéon

Krystian Lupa et le bonheur créatif

Rencontre avec le metteur en scène polonais

Samedi 3 Décembre 2016 – 14h00 – Odéon 6e Grande Salle

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Dans UTOPIA lettres aux acteurs, essai paru chez Actes Sud en 2016, Krystian Lupa revient sur les éléments constitutifs de son travail et de sa pensée. Ses mises en scène ont apporté une nouvelle appréhension de l’espace, de la direction d’acteurs et une rythmique du temps théâtral différente.

L’ouvrage donne à lire et à comprendre ses choix. Il explicite notamment la notion d’“installation secrète” de l’acteur, de “bonheur créatif ” et de “paysage intérieur”. Krystian Lupa, pour qui le théâtre est un “laboratoire des expressions humaines”, revient sur sa relation avec les comédiens et sur leurs difficultés, parfois, à saisir totalement le désir du personnage. Il met également en lumière l’un de ses axes de travail : l’impératif de construire un lien physiologique, physique et psychique plus fort avec le spectateur.

Avec Piotr Gruszczyński, dramaturge, animé par Georges Banu, traducteur Michel Lisowski.

Krystian Lupa présente à l’Odéon-Théâtre de l’Europe cette saison Wycinka Holzfällen (Des arbres à abattre)

Plein tarif 10€ / Tarif réduit 6€

Pour plus d’informations : http://www.theatre-odeon.eu/fr/

(Source : dossier de presse)