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[Théâtre] Lorsque « La Magie lente » opère

Benoit Giros dans « La Magie lente » (DR)

Créé à Belleville au mois de mai dernier, repris à Avignon dans le OFF cet été, le texte de Denis Lachaud est un succès poignant. La Magie lente opère, cela grâce à Pierre Notte, qui met en scène le récit d’un coming-out angoissé. Dans un décor sobre, Benoît Giros porte seul la voix d’un narrateur et de deux personnages : un psy et son patient. 

Ce n’est pas une placeuse qui vous installera ce soir, mais bien le comédien. Sans détour il invite à occuper le premier rang, comme pour nous dire « Non, non, ça ne va pas crier ». Une voix simple, presque douce embarque le spectateur dans un colloque : «Mesdames, Messieurs, bonsoir. Madame la ministre, Monsieur le Doyen». L’acteur situe l’intrigue comme s’il fallait plonger dans une tragédie grecque. Au fur et à mesure que la scène se déroule, l’accès au personnage s’accomplit sans encombre. Avec autant de puissance que de délicatesse Louvier livre son être, Benoît Giros son art. Il ouvre des fenêtres, franchit des paliers, avance, recule aussi, claquant à l’occasion la porte de son thérapeute. Un rythme impeccable permet allées et venues au cœur d’une relation entre malade et médecin. On entre dans l’intime de la psychanalyse, processus sur le fil, lorsque résonne froidement « On va s’arrêter là. À vendredi prochain. ».

Le sujet de cette pièce est d’aborder aussi (mais peut-être surtout) l’homosexualité. Sans aucune pudeur, le patient Louvier rend gorge de son mal-être, et c’est alors que l’homme se révèle à lui-même. L’ensemble paraît si vrai, que l’on ne cesse de s’interroger sur la fiction du récit et c’est en cela que la magie opère. La crudité des mots, de la situation est en accès direct et ce grâce à une lumière éloquente et adroite, signée Éric Shoenzetter. L’assombrissement scandé de manière progressive entretient un voyage dans les différentes strates et degrés de conscience. Parfois même il délire, Louvier entend des voix quand il prend le métro. Ces mêmes voix faisait dire à son premier psychiatre qu’il était schizophrène.

Car ce conciliabule auquel on est convié porte aussi le sujet du mauvais diagnostic. Une erreur médicale pas vraiment comme les autres, qui peut dans certains cas faire autant de dégâts qu’un cancer du cerveau passé inaperçu. La belle contradiction de cette œuvre c’est aussi d’être titrée « magie » sans artifice superflu : ni vidéo, ni micro. Une courte bande son s’installe quelque instants pour glacer un silence et devenir un crève-cœur. La gravité du parcours n’épargne pas le public d’une puissante empathie voire d’un souffle coupé. C’est une longue maïeutique à laquelle on assiste, sous pression, sous tension, ravivée par endroits de jolis brins de malice.

« La Magie lente » texte de Denis Lachaud, mise en scène de Pierre Notte
Lumières : Éric Schoenzetter

Durée 1h10
Du 5 au 28 juillet, 19h20 à l’Artéphile, Avignon




« Un fil à la patte » dynamique au théâtre de Belleville

Un fil à la patte 2

En ce moment au théâtre de Belleville se joue « Un fil à la patte », comédie demi-mondaine de Georges Feydeau. La compagnie « Hocemo Théâtre » nous en propose une version prenante, dynamique et très vivante.

Lucette Gauthier est une femme libre, forte … Chanteuse de cabaret, elle a une vie délicieuse. Se lève à midi en compagnie de son amant, déjeune et puis reçoit, à sa convenance et selon son envie. Parmi ceux qui patientent aujourd’hui, il y a un parolier et une dame qui voudrait l’engager pour le soir…

Malheureusement, monsieur Bois d’Enghien, qui a passé la nuit avec Lucette et qui lui donne tant de plaisir à vivre doit signer son contrat de fiançailles le soir même, durant une sauterie où Lucette est invitée à chanter. Bien sur, ni l’un ni l’autre ne sont au courant. La pièce est une belle illustration du génie de Feydeau, qui fait durer et monter jusqu’à l’explosion la plaisanterie pendant 3 actes.

Ce vaudeville est aussi une critique franche du monde de Feydeau (la France mondaine de la fin du XIXe). Il est intéressant de voir que la comédie humaine dénoncée dans ce comique de situation est toujours d’actualité. L’humour qui en ressort ne semble en rien désuet.

Sur scène à Belleville, tous les acteurs sont jeunes. Ils ne semblent pas avoir plus de 35 ans. De cette jeunesse, par ces bouches presque juvéniles, Feydeau semble plus vivant que jamais. Le texte, le rythme sont très bien tenus, on entend les mots, les phrases et tout cela sonne moderne à nos oreilles. C’est une prouesse, car en plus d’être doués d’une diction impeccable, les personnages ont un jeu d’une exagération maîtrisée ahurissante. Sans parler de leurs corps, il se dégage des situations clownesques, voir cartoonesques de leurs gestes. Les comédiens nous font rire et nous ébahissent, même lors des passages sans texte sans qu’aucun ne soit moins bon que les autres : rarement il est permis de voir un aussi haut niveau d’excellence entre tous les acteurs.

Ces choses mises ensemble, on assiste à un vrai moment de théâtre où tout est calculé au millimètre près, de l’entrée des comédiens aux décors en passant par les virgules du texte et les changement de rôles des comédiens pendant la pièce. La compagnie Hocemo fait parfaitement ressortir l’essence de la leçon de comique donnée par Feydeau, un régal.

Pratique : Jusqu’au 28 février au théâtre de Belleville, 94 rue du faubourg du Temple, 75011 Paris.
Réservations par téléphone au 01 48 06 72 34 ou sur www.theatredebelleville.com.
Tarifs : de 10 à 25 €.

Durée : 2 h

Mise en scène / Jeu : Lise Quet

Avec : Nicolas Fantoli, Cindy Rodrigues, Julien Large, Lionel Rondeau, Damien Prévot, Rémi Dessenoix (en alternance avec Florent Bresson), Amandine Calsat, Claire Pouderoux