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Feuilleton théâtral : semaine n°47

Photo - Michèle Laurent
Une chambre en Inde (Photo – Michèle Laurent)

Une nouvelle semaine théâtrale marquée, comme d’habitude, par tous les contrastes. De spectacles à faire naître une aversion pour le théâtre à la naissance de nouveaux chefs d’œuvres, on a traversé tous les états : ennui, colère, en passant par l’aveu, une fois de plus, de la vision de notre impuissance.

Au théâtre des Déchargeurs, en allant voir « Le Chant du cygne », j’ai pensé assister à la petite pièce en un acte d’Anton Tchekhov. J’avais bêtement lu l’affiche, sans chercher à en savoir davantage. Si le lever de rideau est conforme à ce à quoi le spectateur peut s’attendre, après la première dizaine de minutes, c’est le plongeon vers l’inconnu. Du dialogue nostalgique et triste de Tchekhov, on tombe dans les histoires de coulisses et échanges de techniques théâtrales entre un vieux et un jeune comédien. Les vies personnelles de ces derniers sont racontées à un public qui, légitimement, n’en a pas grand chose à faire. D’autant qu’il n’y a ni cohésion, ni recherche d’unité. Robert Bouvier, le metteur en scène, justifie cela en disant que son spectacle est à l’image de l’existence : imprévisible. Imprévisible, peut-être, mais faussement rocambolesque, parsemée de détails qui n’intéressent que ceux qui les vivent, cela n’engageait que Robert Bouvier, et personne ne lui en aurait voulu de garder ça pour lui !

Autre catastrophe, mais dont les raisons diffèrent : « Iphigénie en Tauride » de Goethe, interprétée comme à la Comédie-Française dans les années 60 par une Cécile Garcia faussement détachée qui semble ne pas comprendre ce qu’elle dit. Elle a des airs d’une bonne copine qui, en fin de soirée, imite Florence Foresti qui imite Isabelle Adjani en tragédienne. Et que dire des acteurs habillés comme une troupe amateur ayant comme contrainte de trouver ses costumes dans la pire des friperies ? Le mauvais goût est conforté par le manque de finesse de la mise en scène illustrative de Jean-Pierre Vincent – on est sur une île alors on entend le bruit de la mer… Tout ici, hormis Pierre-François Garel est à dégoûter du théâtre de la fin des Lumières pourtant porteur d’un message encore brûlant.

Le Chant du cygne (Photo : Fabien Queloz)
Le Chant du cygne (Photo : Fabien Queloz)

Classique, mais réussi, « L’Avare » de Jacques Osinski à l’Artistic Théâtre. Jean-Claude Frissung y campe un Harpagon tout en nuance, colérique mais sans cesse prêt à sombrer dans la folie. Ne devient-il pas fou errant lorsqu’on lui dérobe sa « cassette » ? Entouré d’un groupe d’acteurs qui, par un jeu élégant, soulignent la force du personnage central, le propos et le texte restent actuels à l’oreille du spectateur moderne.

Autre propos, d’autant plus en prise avec l’actualité : « Une chambre en Inde ». La nouvelle mise en scène d’Ariane Mnouchkine – certains racontent que ce serait la dernière – singe une troupe de théâtre dirigée au pied levé par une certaine Cornélia. On assiste à la débâcle d’un groupe d’acteurs financés par l’Alliance Française de Pondichéry, venus pour travailler sur le Mahabharata mais que les attentats du 13 novembre font changer de direction : après de tels événements, quelle est l’utilité du théâtre dans le monde ? Une suite de questions, illustrées par une succession de scènes où sont ouvertes les blessures les plus flagrantes d’une planète en crise : on voit les guerres, l’écologie, les violences sociétales… Et pourtant, sans perdre de vue la gravité intense, on rit. On s’amuse des personnages, des méchants, des terroristes caricaturés à la manière des bras cassés du film « We are Four Lions ». Cet appel du Théâtre du Soleil invite chacun à se tourner résolument vers le réel, à plonger dans la parole quotidienne contemporaine qui ne bénéficie pas de la même résonance que les textes les plus classiques du théâtre, et qui pourtant mérite tout autant, surtout aujourd’hui, d’être écoutée.

Hadrien Volle

  • « Le Chant du cygne », jusqu’au 22 décembre au Théâtre des Déchargeurs

  • « Iphigénie en Tauride », jusqu’au 10 décembre au Théâtre de la Ville – Les Abbesses

  • « L’Avare », jusqu’au 15 janvier 2017 à l’Artistic Théâtre

  • « Une chambre en Inde », jusqu’au 28 février 2017 au Théâtre du Soleil




L’amour rend aveugle

Sofie Rimestad, Vincent Macaigne / D.R.
Sofie Rimestad, Vincent Macaigne / D.R.

Le mythe du rêve Américain ne s’applique pas à l’amour. Ce n’est sans doute pas ce que pensait Vincent, en traversant le Pacifique pour rejoindre sa belle : Barbara.

Dans un New York grisonnant, bien loin des posters de salon à la mode, le temps semble figé. Vincent (Vincent Macaigne) est venu rejoindre la femme qu’il aime pour tenter de la reconquérir. Une démarche perdue d’avance pour Barbara (Kate Moran), qui dès le début du film, lui avoue que leur histoire est bel et bien terminée. Sourd à ces paroles, Vincent n’entend pas la laisser filer et ruse de toutes les situations pour la retrouver et la séduire à nouveau. Tombant dans un cercle obsessionnel de plus en plus inquiétant. Il l’a retrouve dans des vernissages, la suit lors de ses balades au parc, ne cesse de parler d’elle aux inconnus dans la rue… Hypnotisé et incapable de voir la beauté du monde en dehors de l’être aimé, il s’enferme dans une routine noir et cafardeuse, trainant chaque soir sa solitude dans les bars de la ville. Il relate son chagrin à qui veut bien l’écouter. Et même quand une jeune femme souriante s’attache à lui et tente de lui redonner le sourire en joignant sa solitude à la sienne, Vincent demeure toujours aveuglé.

Dans son deuxième long métrage, Armel Hostiou nous dépeint une comédie d’amour bien loin des standards habituels dans laquelle le personnage principal est, pour une fois, un être ordinaire, quoiqu’un peu dérangé, bancal. Les dialogues sont absurdes, parfois même déconcertants. Interprété par un Vincent Macaigne bien moins bon que dans « Eden », mais qui, une fois passé le mauvais jeu d’acteur parvient à nous emporter par sa tendresse. Le film nous entraine alors dans un univers mélancolique ou l’amour est à la fois salvateur et destructeur. Vincent y perd petit à petit pied.

On regrette toutefois de nombreuses longueurs. Armel Hostiou peine à garder le spectateur éveillé tant le scénario manque en force et d’attraction. Les personnages peu captivants, les scènes répétitives… Un film dont on ressort vide, sans grande émotion. Un film qui passera certainement inaperçu dans les salles, et c’est peut être mieux ainsi.

 « Une histoire américaine », d’Armel Hostiou, sortie au cinéma le 11 février 2015.




Des jambes d’azur pour une vie en rose

La Dame aux jambes d'azur - Labiche - Jean-Pierre Vincent - Studio-Theatre-Comedie-Francaise
Copyright : Brigitte Enguérand

Cette – très – courte pièce d’Eugène Labiche n’en est en fait pas une. Avant-même le lever du rideau, Arnal, l’auteur (Gilles David) se confond en excuses face au public : les acteurs ne sont pas prêts, mais ils vont répéter toute la nuit pour nous jouer le spectacle demain. Ceux qui, dans l’assemblée se sont levés, croyant à la bonne foi du narrateur, sont cependant invités à rester : ils vont pouvoir assister à ce work in progress du XIXe siècle, après tout, nous ne nous sommes pas déplacés pour rien. Se montre alors devant nous, une vraie farce sur le drame d’une pièce qui ne commence jamais…

Néanmoins, le rideau se lève pour laisser place à une série de gags ininterrompue pendant une cinquantaine de minutes. Tout est absurde : le décor est une forêt de Venise (!), dans celle-ci, Arnal est rejoint par Ravel (Pierre Louis-Calixte), qui n’a rien à faire là mais qui vient lui tenir compagnie pendant la répétition. Les catastrophes en amènent d’autres : le souffleur est souffrant, un machiniste analphabète le remplace, les comédiens ne connaissent pas leurs textes, et tiennent leurs chiens en laisse sur scène pour éviter que les mâtins ne se battent en coulisse. L’un des acteurs a oublié qu’il déménageait aujourd’hui à midi (Gérard Giroudon) : il quitte donc la scène précipitamment avant de revenir pour déclamer son texte de doge de Venise, un parapluie trempé sur le bras.

Copyright : Brigitte Enguérand
Copyright : Brigitte Enguérand

L’absurdité commence dès le titre, car on apprend que l’héroïne de la pièce vient d’épouser un prince qui tient le bleu en horreur. Mais la malheureuse, crapahutant dans l’atelier d’un teinturier – qui n’est autre que le Tintoret lui même -, se retrouve les pieds teints couleur azur. Elle ne peut donc plus reparaître devant son mari.

Jean-Pierre Vincent fait ressortir tout le comique de situation cumulé au comique de gestes. Les personnages sont très marqués dans leurs corps comme dans leurs caractères, Arnal le premier. On rigole de ce faux érudit autoproclamé auteur de théâtre et qui transforme les « lagunes » en « lacunes » au moyen de prétextes pompeux. Il est sûr de tout de qu’il dit, et plus c’est bête, plus il défend son génie. Après tout, comme il le rappelle à plusieurs reprises, il a écrit les 129 pages de sa pièce en 12 jours, et sans une rature ! Il est un dottore de comedia dell’arte face à l’arlecchino Ravel qui ne rate pas une occasion de lui montrer l’étendue de sa stupidité. Il dirige une bande de saltimbanques plus amusés par l’idée de leurs métiers que de le pratiquer vraiment. On pense notamment à la princesse truculente et joyeuse campée par une Julie Sicard déchaînée aux airs de Sarah Bernhardt des faubourgs, chanteuse de cabaret trop à l’étroit dans son personnage. Elle ne monte pas sur scène avant d’avoir fini sa saucisse et bu une choppe. Quant à celui qui lui fera lâcher, pendant qu’elle déclame, ses aiguilles de tricot, il n’est pas encore né ! Tout comme celui qui ne rira pas en allant voir cette bande de joyeux drilles déchaînés, d’ailleurs…

Hadrien Volle
hadrien (a) arkult.fr

« La Dame aux jambes d’Azur » d’Eugène Labiche, mise en scène Jean-Pierre Vincent, jusqu’au 8 mars au Studio-Théâtre de la Comédie-Française,au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Carrousel du Louvre, du mercredi au dimanche à 18h30.. Durée : 55 minutes. Plus d’informations et réservations sur www.comedie-francaise.fr