Les « Noirs » d'Odilon nous éclairent

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Il est toujours intéressant de prendre le temps de découvrir le parcours d’un peintre. Surtout si celui-ci a vécu, pinceau à la main, la naissance d’un des courants picturaux les plus connus du grand public aujourd’hui, sans pour autant y prendre part : l’impressionnisme.


Odilon Redon défendait une autre vision de l’art occupant une place singulière dans le symbolisme, un artiste à part que l’exposition au Grand Palais nous montre de façon chronologique, enfin ! Car aucune rétrospective ne lui avait été consacrée dans le pays depuis 1956…


Entrée en matière


La première salle est plongée dans la pénombre, y sont montrés les fameux « Noirs » de l’artiste, nourris de l’imaginaire de Baudelaire, de Poe et des théories évolutionnistes de Darwin que le grand public découvrait à l’époque.


Les dessins originaux de certaines lithographies et études y sont montrés, notamment la Vieillesse (faisant partie de la série la Nuit), qui tout de suite trouble par la justesse de l’émotion donnée par le trait. On y voit les prémices des Rêves, œuvres fantastiques et oniriques. On y voit de manière évidente un des principes même du symbolisme : les formes et les traits peuvent parler de l’intérieur, de l’intime, et pas forcément d’une réalité visible au premier regard.


Toujours à travers ses « Noirs », Redon rend hommage aux clairs obscurs des maîtres Italiens. Dans le Diable enlevant une tête, c’est une référence directe au frontispice du Faust de Goethe peint par Delacroix. À ses débuts, l’artiste est souvent seul dans son cheminement, il ne s’inscrit pas dans des groupes mais il n’est pas orphelin pour autant : son travail est chargé de références.


Sa carrière lithographique proprement dite débute avec « Dans le Rêve », en 1878. Il suit en ce sens les conseils d’Henri Fantin-Latour pour « multiplier ses dessins et se faire connaître dans le monde littéraire ». Cette œuvre intégralement exposée creuse le contraste avec les préoccupations de ses contemporains (naturalistes et réalistes), en dessinant un monde déconnecté de la réalité où il y a une récurrence de têtes coupées, de barques, d’yeux géants et de sphères.


Loin d’être gratuits, ces rêves sont souvent métaphoriques, on pense notamment au « Joueur » dans la série « Dans le Rêve » qui porte un dé à six faces à l’orée d’un bois comme un lourd fardeau.


Un air de Riou


Au fil des dessins accrochés sur les murs, on a du mal à ne pas comparer, au moins furtivement, certaines des planches aux illustrations que faisait Edouard Riou pour illustrer Jules Verne dans ses livres parus aux éditions Hetzel. Mais Redon n’était pas un illustrateur de bouquins dans son essence, et nombre de ses créations sont d’autant plus formidables à regarder qu’elles permettent à notre imaginaire à nous spectateurs, de se construire autour du trait et d’y bâtir nos propres rêves (ou nos cauchemars !) sans les rapporter à d’hypothétiques lectures que l’on aurait eues. Car Odilon Redon préférait suggérer dans ses œuvres, plutôt que de les expliquer. Il aimait l’équivoque.


Et parfois au milieu de toutes ces figures, pour se reposer l’imaginaire, il y a une série limpide. Par exemple, les « Origines » fait la part belle aux monstres mythiques : cyclopes, satires et centaures triomphant, finissant par l’Homme, cherchant à tâtons la sortie vers la vie.


Autre série lithographique exposée, « A Edgar Poe », datant de 1882, auteur qui dans ses écrits était comme Redon dans son art opposé au réalisme. Une suite de planches rendant hommage à l’écrivain américain, dans son monde sombre et imaginaire.


Une « Araignée souriante » à dix pattes fait face à une plante grasse anthropomorphe, les « Noirs » nous éclairent sur les méandres créateurs de l’artiste.


En continuant à passer de pièce en pièce, on découvre d’autres recueils, notamment des séries dédicacées à Flaubert ou la littérature de celui-ci (notamment en 1886 et 1889). Il y a la série « La Nuit » qui contient le dessin nommé « La Vieillesse » tout bonnement inouï.


Le mariage à la couleur


Dans la suite de l’exposition, on assiste au passage de la peinture avec les « Yeux-clos ». Aux alentours de 1900, Redon a « épousé la couleur » et il n’imagine plus s’en passer. Cela fait ressortir en lui d’immenses talents de coloristes et le place vers la fin de sa vie en véritable père du fauvisme. Les dessins sont plus « réalistes » dans les traits, les thèmes bibliques font des apparitions récurrentes, les Rêves prennent place dans les couleurs qui, elles, n’ont rien de réelles.


Au pied d’un escalier, une pièce est entièrement dédiée au temps des fleurs de l’artiste. Datant du début du XXe, elles peuvent déconcerter quand on les met (par l’esprit !), à côté des lithographies que l’on vient d’admirer à l’étage, mais en prenant le temps de comprendre, le cheminement est pourtant clair : l’imaginaire est toujours présent puisque peintes à partir de modèles, l’artiste s’est mis à inventer des variétés de fleurs, baignant au milieu des papillons.


Ces fleurs omniprésentes dans l’un des décors que l’artiste a fait pour le château de Domecy et qui est reconstitué dans l’avant-dernier espace du parcours.


Enfin, il est offert de voir pour finir quelques portraits et thèmes bibliques (notamment un intéressant Saint-Sébastien) mais surtout deux versions du « Char d’Apollon » de Delacroix, ultime hommage de l’élève à ce maître qu’il admirait tant.


Exposition très complète, et ayant comme léger défaut d’être un peu trop dense. Peut-être à faire en plusieurs fois ? Mais à faire assurément !


Informations pratiques :


L’exposition est visible au Grand Palais jusqu’au 20 juin prochain. Elle descendra ensuite dans le sud puisque c’est la grande exposition estivale du Musée Fabre de Montpellier, du 5 juillet au 16 novembre.


http://www.rmn.fr/odilon-redon

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