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[Exposition] « Arnold Schönberg. Peindre l’âme » à la lumière de la musique

Vue de l’exposition Arnold Schönberg, Mahj, Paris. © Esther Jakubec

A l’aube du XXe siècle, alors que souffle sur Vienne un vent de renouveau artistique, Arnold Schönberg, autodidacte en tout, complète son métier de compositeur d’une autre pratique artistique : la peinture. Composée principalement d’autoportraits, c’est cette production picturale qui fait aujourd’hui l’objet d’une exposition au MahJ. Pour accompagner ces autoportraits, Jean-Louis Andral et Fanny Schulmann proposent une sélection de plus de deux cent cinquante œuvres de toute sorte qui illustrent la grande diversité de la production de ce créateur juif-protestant.

Suite à une première salle tapissée de portraits de Schönberg et de son entourage, le visiteur pénètre dans l’univers de l’artiste où sont juxtaposés affiches de concerts, croquis du compositeur, autoportraits et coupures de presse. L’espace ouvert laisse apercevoir de grandes toiles de Kandinsky dont on comprend par la suite le lien avec les travaux du compositeur. En effet, quel meilleur pendant à l’atonalité musicale que l’abstraction picturale. Cette analogie est relevée par Kandinsky qui écrira le 18 janvier 1911 à Schönberg : « […] nos aspirations et notre façon de penser et de sentir ont tant en commun que je me permets de vous exprimer ma sympathie. ».

Alors commence une relation de travail mise en lumière tout au long de l’exposition. A la recherche perpétuelle d’un art total, les deux artistes, l’un compositeur, l’autre peintre, s’essayent au médium de l’un et de l’autre. C’est dans ses opéras que Schönberg réalise au mieux cette fusion des arts intelligemment mise en valeur au cœur de l’exposition par une présentation complète des carnets de travail du compositeur, ponctuée de croquis, flanquée des partitions et surmontée de petites aquarelles prévoyant la mise en scène.

L’étalage des différents éléments de travail est particulièrement intéressant pour saisir la pensée du créateur, d’autant que ces travaux préliminaires sont augmentés de la projection d’extraits de ces mêmes opéras. Créateur jusque dans les loisirs, il applique son imagination à décorer des jeux de cartes et va jusqu’à inventer un « jeu d’échecs » qui, par ses règles, rappelle le fonctionnement de la dodécaphonie dont il est le théoricien. Les autoportraits qui clôturent l’exposition sont attendus depuis le début, annoncés par le titre autant que par l’affiche, ils constituent le dernier pan de l’Œuvre de Schönberg. Psychanalyse imagée, ces visages, ces yeux, ces profils saisissent par leur nombre et leurs regards, peut-être qu’ils auraient pu être présentés d’emblée, afin de mieux saisir la profondeur du personnage.

A travers cette rétrospective au parcours dédalique, sans chronologie affirmée, le visiteur découvre un homme brillant aux compétences multiples, qui, bien que l’on connaisse le visage de par les nombreux autoportraits, garde une aura de mystère.

 

« Arnold Schönberg. Peindre l’âme » jusqu’au 29 janvier 2017 au musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Hôtel de Saint-Aignan, 71, rue du Temple, 75003 Paris. Plus d’informations : https://www.mahj.org/




Ita L. née Goldfeld – Magnifique Hélène Vincent !

Hélène Vincent - Ita

 

Décidément, le Théâtre du Petit Saint-Martin nous gratifie à chaque fois de pépites théâtrales. Après le succès de la déjantée Doris Darling (article sur Arkult), l’équipe de Jean-Claude Camus nous propose une pièce à l’interprétation d’une justesse bouleversante : Ita L. née Goldfeld, sous les traits de la magnifique Hélène Vincent.

Paris, rue du Petit Musc, le 12 décembre 1942.
On frappe à la porte d’un appartement. Qui vient donc troubler la paisible journée d’Ita L. Goldfeld ? Ces messieurs de la police, deux jeunes hommes en uniforme, un troisième portant un blouson de cuir. Un « simple contrôle d’identité » comme ils disent, « mais prenez tout de même une valise, ça pourrait prendre un peu de temps ». Ils repasseront dans une heure.

« Ita L. née Goldfeld », c’est l’histoire de cette heure précisément. Une heure emplie de doutes, de souvenirs, d’émotions en tous genres. Les souvenirs de son Odessa natale, des rues de son enfance, de sa rencontre avec son défunt Salomon, des naissances de ses très chers enfants … Les doutes qui planent autour d’elle depuis que Salomon s’en est allé, depuis qu’être Juif s’affiche au col des vêtements, depuis que les voisins se méfient, complotent, médisent … Les émotions qui emplissent le coeur et la tête d’une vieille dame, tiraillée entre l’espoir de retrouver ses enfants, ses petits chéris devenus grands, et l’envie de fuir, fuir une nouvelle fois, fuir au devant de l’inconnu …

Une heure interminable pour Ita.
Une heure qui semble un instant pour le spectateur.

Hélène Vincent metteur en scène tout d’abord. Avec Julie Lopes Curval, elles ont fait le choix de l’efficacité. Un minimum de meubles présents sur scène. Pas de changement de décor. Mais à chaque nouveau jeu de lumières, un nouvel épisode de la vie d’Ita.

Hélène Vincent actrice ensuite. Magnifique, touchante, troublante, émouvante, bouleversante. A chaque nouveau jeu de lumières, une nouvelle performance d’actrice. Peinée, empreinte d’une folie passagère, nostalgique d’une époque passée, emplie d’espoir, puis soudain enjouée …  L’immense variété des émotions des moments de la vie s’incarne pleinement dans les expressions et les traits de l’actrice. Seule sur scène, et pourtant, semblant soutenue par ceux qui ont compté dans sa vie. Comme autant de fantômes qui la hantent ou de compagnons qui lui mettent du baume au coeur.

 

Le mot de la metteur en scène:

Voilà plusieurs années qu’Hélène Vincent a rencontré ce texte. Quand elle m’a proposée de l’accompagner dans ce voyage en distance et en émotion, entre les souvenirs de la Moldavanka en Ukraine et la rue du petit musc non loin d’ici, je savais qu’elle portait déjà en elle l’« Odessa » d’Ita. Il fallait à présent dessiner les contours de sa vie, son espace, trouver sa voix. Accepter d’abord que nous ne cherchons pas à dire cette période obscure de l’Histoire, mais s’accorder à donner la parole à une femme simple, qui a déjà vécu l’horreur, et qui se retrouve encore une fois confrontée à la folie des hommes, et contre laquelle elle n’a plus le courage de se battre. Trop seule, trop fatiguée. Donner à voir les images de sa vie qui tiennent dans une valise et une tête pleine de ceux qu’elle a aimés. Vivre une heure auprès d’elle, une heure où se bousculent l’espoir, l’incrédulité, la lucidité, la terreur et le renoncement. Tous ces états qui la traversent avant ce voyage en train dont on ne connaît que trop la destination. Personne ne connaît plus la belle Ita de Salomon, elle est un nom sur un mur parmi tant d’autres. Son arrière petit-fils Eric Zanettacci en a décidé autrement. À partir de ce qu’il a pu découvrir et rêver d’elle, il lui redonne son existence particulière. Avec toute l’humilité qui accompagne Hélène Vincent dans son travail, offrir à ce nom un corps, une voix, une vie.

 

Ita L née Goldfeld affiche

Pratique : Actuellement au Théâtre du Petit Saint-Martin, 17 rue René Boulanger, Paris 10e arrondissement
www.petitstmartin.com
Du mardi au samedi à 19h, le dimanche à 15h
Tarifs : 25 € Placement libre

Durée : 1 h

Une pièce d’Eric Zanettacci
Mise en scène : Hélène Vincent & Julie Lopes Curval
Avec : Hélène Vincent
Scénographie : Tim Northam
Lumières : Arnaud Jung