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Gary Cook – Le Pont des Oubliés

Gary Cook.
Hymne à la camaraderie,
Ode à l’essence humaine,
Adolescence inhumaine.
Pêche de mauvaise fortune,
Amitiés de bon coeur.
Plongée dans les bas-fonds de l’espèce,
Pour un départ là-haut dans l’espace.
Découverte des joies, des peines,
Des amours, des trahisons.
Blessures des coeurs, douleurs des corps.
Petite ballade, grande échappée.
Cauchemar du présent, rêves d’avenir,
Des illusions, désillusions.

Gary, Max, Elliott,
Lou de mer,
Petits princes des temps modernes,
Ulysses aux sirènes wakoliennes,
L’Albatros veille sur ses pêcheurs.
Vertige des profondeurs,
Ivresse des espoirs.
Premier tome enchanteur,
Ravissement du lecteur.

 

Gary Cook
Tome 1 : Le Pont des Oubliés
Editions Nathan
Réservation / disponibilité : https://www.placedeslibraires.fr/livre/9782092573860-gary-cook-t-1-le-pont-des-oublies-romain-quirot-antoine-jaunin/
EAN : 9782092573860
A partir de 12 ans

 




« Fin de l’histoire » : flirt ambigu avec l’extremisme

La scène est un hall de gare monumental. Le grand escalier central sera le lieu de l’action. L’épaisse masse de béton compose cette architecture lourde, pesante, sombre des grands bâtiments du XXe siècle au nord de l’Europe. Le contraste entre le frêle corps des acteurs et l’environnement massif compose de belles images soulignant la solitude des âmes. Rare espace de repos pour les personnages, de grandes banquettes de bois où ils vont attendre.

© Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez

A l’image de cette horloge qui marque le temps du spectacle – comme dans « Nouveau Roman », la précédente création théâtrale de Christophe Honoré – la temporalité est importante. On observe le temps qui passe en parlant du temps qu’il fait. L’action se déroule avant l’été 1939. Les personnages indiquent la température européenne à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. La famille Gombrowicz est arrivée avec neuf heures d’avance à la gare. On observe leur attente longue et erratique. Un temps étendu, incertain, propice aux échanges intimes. Chacun se juge, se livre. Witold Gombrowicz est l’adolescent incompris du groupe – alors que, dans la réalité il aurait 35 ans –, mais toute sa famille est là afin de l’accompagner pour son départ vers l’Argentine.

Que se disent-ils pour tuer le temps ? Car le texte de « Fin de l’histoire » est indiqué d’après Gombrowicz et résulte logiquement en grande partie d’écriture de plateau. On suppose mais on ignore quelle est la proportion de l’un et de l’autre. Est-ce Gombrowicz qui s’exprime lorsque celui qui l’incarne parle dans l’un des nombreux micros sur pied qui – comme dans « Nouveau Roman » – jalonnent la scène ? Probablement pas systématiquement, car globalement, le texte en question est assez pauvre, brouillon et flou. Dans la première partie de la pièce – celle où la famille attend à la gare – on n’en distingue pas la direction. Faut-il mettre en avant l’argument du « poétique » ? L’excuse la plus facile que se trouvent, à la fois les auteurs et le public, lorsque le texte est bancal : « c’est de la poésie, il n’y a rien à comprendre ». Alors, les meilleurs moments viennent du silence.

Que peut-on en distinguer néanmoins ? Le vécu pessimiste du monde de Witold Gombrowicz – et au vu de son entourage familial, on le comprend. Il constate que la poésie n’intéresse personne. Il a le sentiment d’un monde qui sonne faux, qui se passe de lui. Plus profondément encore, il a l’impression de n’être jamais là où l’Histoire est en train de se faire… Alors commence la deuxième partie. Les parents, les frères, l’amie se métamorphosent en Fukuyama, Hegel, Derrida, Marx… La gare devient salle de conférence : les banquettes deviennent tribunes et chacun a sa petite bouteille d’eau à portée. Ils débattent sur la question de la « Fin de l’histoire » des points de vue méthodologiques, techniques et pédagogiques. En matière de contenu idéologique, c’est la seule partie de la pièce un peu sérieuse et intellectuellement honnête. Mais elle est brève : surgit ensuite la troisième partie où Witold Gombrowicz conjure les dirigeants Européens en 1939 de trouver une solution de paix, ou bien d’attendre son retour d’Argentine pour commencer la guerre. Ceux qui était, un long moment auparavant, la famille de Gombrowicz joue désormais Hitler, Mussolini, Staline, Chamberlain et autres Valadier.

C’est la partie la plus transparente quand à la bêtise que renferme cette création. On atteint un point de rupture avec toute forme de pensée au moment où ce qui semble être une blague de répétition devient un gag récurrent jusqu’à la fin du spectacle : Staline ressemblerait à Cabrel, alors celle qui joue « Stabrel » (ou « Caline » ?) chante, fait des gags, ce qu’on attendrait d’elle au « Plus grand cabaret du monde » de Patrick Sébastien. Autre instant où ce spectacle montre qu’il ne raconte que ce qu’il y a de visible : la scène où les personnages refont le sommet de Yalta et où la France et l’Angleterre portent des masques d’autruches : c’est dire si Honoré va chercher loin dans la symbolique ! Un sommet de Yalta plein d’anachronismes, afin de créer un parallèle grossier avec le monde d’aujourd’hui. Le spectateur doit être trop bête pour comprendre.

© Jean-Louis Fernandez
© Jean-Louis Fernandez

On touche ici à la contradiction majeure de « Fin de l’histoire » : si on décide de tout montrer au spectateur, il faut le faire jusqu’au bout et ne pas compter sur le fait que son intelligence se réveille dans les dernières minutes. Car ces dernières minutes se veulent absurdes. Hitler et Staline sont montrés comme égaux dans leur cruauté et Mussolini comme un type sympathique. Gombrowicz est démuni suite à l’échec du sommet de Yalta, ses espoirs de paix sont anéantis. Les dictateurs lui hurlent au visage les bienfaits de la guerre – un peu comme lorsque des députés parlaient des bienfaits de la colonisation – ; s’il n’y avait pas eu la Seconde Guerre mondiale, il n’y aurait pas eu Primo Levi, Roman Polanski n’aurait pas pu faire de si bons films. Et si Mussolini était resté au pouvoir, il aurait organisé sa descendance et il n’y aurait pas eu Berlusconi en Italie, alors qui aurait créé la Cinq en France ? Il n’y aurait pas eu Pyramide, et donc, sans cette guerre : on aurait jamais connu Pépita ! Et la Pologne ? C’est Chopin et les plombiers.

Pour ce discours, plus de masques d’autruches ou de symboles ultra-lisibles qui pourtant sont jusque-là l’apanage du spectacle. Christophe Honoré créé un théâtre dangereux. En mélangeant Histoire de bistrot et allusion pas très claire, il s’adonne au même exercice que les politiques actuels, non-cultivés et pris dans la surenchère des effets d’annonce loin de toute forme de vérité. Honoré n’est pas nourri du même sérieux scientifique ni du même talent d’un Joël Pommerat ou d’un Sylvain Creuzevault. Il diffuse, sans les critiquer, des pensées extrémistes – sous couvert d’absurdité gombrowiczienne -, dans le sens où il rend un visage humain à des hommes dont l’aspect monstrueux ne peut pas être occulté. C’est ce que font régulièrement Alain Soral ou Michel Onfray. Mussolini en débardeur, apeuré par la possibilité d’une guerre et chantant Richard Cocciante ne fait que le rendre sympathique. On ne doit pas non plus montrer Hitler comme un type drôle et amusant sans qu’il n’y ait de critique derrière. Honoré ne confronte pas le nauséabond, il ne le remet pas en cause. Pire : il l’utilise dans le seul but de faire rire. Christophe Honoré est certainement inconscient du message qu’il conforte ainsi dans la pensée du public – souvent jeune et perméable aux discours séduisants des extrêmes. Toute la bêtise du spectacle est là. La caution « théâtre contemporain » ne protège pas de la stupidité.

Ce qui a fonctionné pour « Nouveau Roman » ne fonctionne pas pour la « Fin de l’histoire ». Les enjeux sont autres, moins propices à une certaine forme de déconnade. Et malgré une scénographie et une occupation de l’espace intéressantes, espérons que ce nouveau spectacle ne marque pas trop les consciences. Il illustre combien on peut rire de tout, mais à condition de montrer pourquoi.

« Fin de l’histoire » d’après Witold Gombrowicz. Mise en scène de Christophe Honoré, jusqu’au 28 novembre au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020, Paris. Durée : 2h45. Plus d’informations et réservations sur www.colline.fr




Profession du Père – Sorj Chalandon

Après le Quatrième Mur, Sorj Chalandon nous revient dans un roman de famille. Le narrateur, sa mère et surtout son père. Dans un huis clos oppressant. Opprimant même. Huis clos que l’on n’ose imaginer autobiographique. Ou que l’on préférerait savoir sorti de l’imagination de son auteur, plutôt que de ses souvenirs.

Profession du père. Tout commence là. Trois mots posés sur une feuille de papier. Rituel immuable de la rentrée des classes. Trois mots qui fond s’effondrer progressivement les repères d’une famille. Dans ce qu’ils représentent. Dans ce que les autres en perçoivent. Profession du père. Pas d’écart possible. Conformisme nécessaire.

Trois mots qui englobent une vie entière. De multiples vies même. Et toute une famille, tentant de survivre aux griffes paternelles et à son ire sans pitié.

Trois mots qui courent tout au long du siècle. Non sans rappeler ce titre « Duboisien » : « Une vie française ». Des périodes troubles de l’histoire hexagonale, des secrets d’Etat, le visage sombre d’une partie de la population. Mais également, des exploits plus anodins, des performances sportives, des engagements de toute une vie.

Un traumatisme de toute une vie.
Qui disparaît avec un souffle.
Qui emporte avec lui ses secrets.
Qui délivre des souffrances du passé. Des maux des souvenirs. De la violence des chairs.
Une libération pour le reste d’une vie.
Pour finalement trouver une réponse. Profession du père ?

Un roman qui se dévore, bien loin des l’Irlande tant chérie par son auteur, un roman qui marque sans doute un retour aux sources, un retour à soi de la part de Sorj Chalandon.

Le style est puissant. Les rythmes varient, tantôt reflet d’une période d’accalmie, tantôt stigmates des déchaînements de l’esprit et des poings. Et la rentrée littéraire en prend un coup, comme on aimerait en voir davantage.




José Rodrigues dos Santos : du Big Bang au Big Crunch

Souhaitant découvrir les secrets de l’univers mais n’ayant qu’un été pour le faire, pas que la fin du monde soit proche mais je ne consacre que peu de temps aux choses accessoires, je m’orientais vers l’auteur en vogue du moment et spécialiste du sujet : José Rodrigues dos Santos et son best-seller à 2 millions d’exemplaires : La formule de Dieu. Puis, pris par l’enthousiasme vers La clé de Salomon du même auteur.

Du Big Bang au Big Crunch. En effet, autant La formule de Dieu vous transporte littéralement mêlant espionnage, romantisme et physique quantique, autant La clé de Salomon vous laisse un goût amer comme lorsque vous vous êtes fait pigeonner au bonneteau sur le pont d’Iéna (toute ressemblance avec des faits réels est purement volontaire).

 

La formule de Dieu - HC Editions
La formule de Dieu – HC Editions

Grand 1 petit tas : La formule de Dieu donc, un professeur d’histoire spécialiste en cryptologie…, euh ? Hein ? Comment ? Que lis-je ? Oui, un professeur d’histoire spécialiste en cryptologie au Portugal. Ah !!! On a eu peur ! On a frôlé le plagiat avec l’autre là, mais si, le professeur d’histoire avec sa montre Mickey, spécialiste en symbologie mais à Harvard, lui (voir mon article sur Inferno) ! Bon, je reprends, Robert Langdon, oups pardon ! Tomàs Noronha est invité par le gouvernement iranien à décrypter un manuscrit dont l’auteur ne serait autre qu’Albert Einstein, il est très vite contacté par la CIA pour devenir un agent double (portugais !). D’aventure en aventure, de ville en ville, Tomàs fera une découverte fondamentale qui changera comme d’habitude la face du monde.

Le bonus de ce livre par rapport au genre roman historique est l’interprétation des découvertes scientifiques, toutes fondées, et notamment sur la physique quantique. On en en sort plus instruit qu’on en est entré (merci de fermer la porte en sortant, ça fait courant d’air). Le récit est parfaitement équilibré et on se laisse docilement porté même si, parfois, quelques raccourcis trop audacieux nous replongent dans la réalité.

La clé de Salomon - HC Editions
La clé de Salomon – HC Editions

Grand Dieu, petit dé : La clé de Salomon est le cinquième livre de la série Tomàs Noronha et le troisième publié en France*. Fort de son succès, José (Rodrigues dos Santos) rebondit sur les mêmes ressorts (chtoing-chtoing) : meurtres, enquêtes, mystères, sciences. Sauf que, comme me l’avait enseigné un grand maître tibétain sur les contreforts de l’Hymala… des Vosges, vêtu de sa tunique orange (ou corail pour les fashionistas) : « Tu peux remplacer les lardons par du saumon fumé, une quiche reste une quiche ». Sûrement trop jeune à l’époque, je n’avais pas perçu la profondeur ou la portée d’une telle réflexion et voyant ma bouche grande ouverte et l’écume baveuse qui en sortait, mon maître en avait arrêté là de ses enseignements philosophico-culinaires. C’est donc pendant la lecture de ce livre, que, la révélation me caressa de sa douce chaleur et m’envahit de son halo bleuté, sauf que là, José, t’as oublié la crème fraîche !

Ça manque de liant, c’est fade, l’addition est salée. A trop vouloir nous resservir le même plat l’auteur a oublié la qualité du service. Quelques exemples : il ne m’arrive pas (ou rarement) d’être poursuivi par une bande de tueurs à la solde de la CIA mais il ne me viendrait pas à l’idée, dans de tels cas, de m’enfermer dans une université et de prendre 2 heures pour expliquer à ma copine le concept des ondes et des particules de lumière, tout ça pour impressionner la dame (et le lecteur qui n’en demandait pas tant) mais peut-être suis-je trop terre à terre ? Idem, alors que cette même copine n’a plus que 20 minutes avant de mourir dans d’atroces souffrances, d’expliquer aux directeurs de la CIA (ceux qui voulaient ma perte 24 heures plus tôt), la théorie du Tout, mais peut-être suis-je trop romantique ? Bref, il ne suffit pas de trouver un filon encore faut-il savoir l’exploiter (foi de chercheur d’or).

Au-delà d’une intrigue bâclée l’auteur s’inspire largement du Symbole perdu (titre original : « The Solomon Key », si si je n’invente rien !) qui est loin d’être mon préféré ayant déjà, à l’époque, reproché à Dan (Brown) d’avoir céder à la facilité littéraire et aux sirènes du mercantilisme après le succès du Da Vinci Code.

A bon détendeur, salut.

 

* La Clé Salomon est le troisième de la série paru en France après La formule de Dieu et L’ultime secret du Christ.

 

La formule de Dieu (José Rodrigues dos Santos)
HC Editions
ISBN : 2357201134
 
La clé de Salomon (José Rodrigues dos Santos)
HC Editions
ISBN : 2357201762



« Zelda et Scott » tiédissent le La Bruyère

Jean-Paul Bordes, Sara Giraudeau, Julien Boisselier
Jean-Paul Bordes, Sara Giraudeau, Julien Boisselier

C’est dans cette ambiance New Yorkaise des années 20 (fantasmée !) que débute « Zelda et Scott », une pièce écrite par Renaud Meyer sur des bases biographiques, qui nous propose de vivre l’amour tourmenté, vécu par les époux Fitzgerald. [1. Pour rappel, Scott Fitzgerald est notamment l’auteur du roman Gatsby le magnifique, qui bien qu’adapté aujourd’hui par Hollywood, n’a pas été un grand succès en son temps.]

Cette histoire de couple pourrait être un parfait drame. Mais la richesse de la pièce présentée au théâtre La Bruyère ne réside malheureusement pas dans sa construction : elle est basique, suit l’ordre très chronologique et ne ménage pas beaucoup de « coups de théâtres », tout n’est que progression. Tant bien même que si l’on ignore l’histoire de Zelda et Scott, la fin est assez prévisible. Le texte est forcément dans cette lignée, bien qu’on puisse être surpris de temps à autres : quelques phrases surgissent, mais restent des « bons mots » épars…

Néanmoins, on a un léger plaisir à partager cette vie, celle si classique du poète et de sa muse, puisque la légende veut que ce soit Zelda qui ait inspiré à Scott son premier succès, L’envers du Paradis. Ensemble, ils profitent de cette gloire à plein régime au rythme des cuites, des drogues et des mondanités. Ils jouent à se faire peur comme des enfants dans ce monde d’adulte qui brille de mille feux. Zelda est simple, fait la naïve, exagère son personnage de provinciale et Scott en est fou.

Ernest Hemingway vient faire ici le pendant raisonnable à la spirale autodestructrice du couple. Découvert par Fitzgerald, l’auteur en devenir n’est pas l’homme sombre qui se décrit en filigrane dans Pour qui sonne le glas. Dans Zelda et Scott, il est celui qui a la tête sur les épaules, celui qui tient la corde en haut du puits et que Fitzgerald refuse d’attraper. Jean-Paul Bordes campe son personnage peut-être de façon un peu trop monolithique, face aux nuances dans la détresse incarnée de Julien Boisselier. Dommage.

Enfin, le spectacle est accompagné par un live band très conventionnel qui occupe bien son rôle de soutient. Quoi de plus évident pour accompagner l’aventure de l’écrivain qui représente l’ère du jazz ? Mais cela ne suffit pas à l’histoire pour nous faire sentir (physiquement !), l’Amérique de ces années. Zelda et Scott sont trop propre dans la première partie ! Heureusement, la seconde sent un peu plus le tabac et le whisky. La violence, la déchirure y sont bien visible.

La déchéance, la désolation, la mort, sont là. Trop tardivement, trop brutalement sans doute. C’est donc un spectacle tiède que nous sert ici Renaud Meyer. Une tiédeur qui étonne tant l’histoire qu’elle illustre fut sulfureuse.

« Les Liaisons Dangereuses », texte et mise en scène de Renaud Meyer, au Théâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009 Paris. Durée : 1h40 (avec entracte). Plus d’informations et réservations sur www.theatrelabruyere.com

 




Marche ou crève (heu ! S’il vous plaît)

Bonjour M’sieur Dame, excusez moi de vous importuner une nouvelle fois, mais vu que vous préférerez me lire plutôt que d’aller sauver le monde… hein ! Canaillou(se) !

J’va vous conter un peu ma vie, en effet je viens de finir une course à pied. Et là vous vous dites oh non !  Il ne va tout de même pas oser nous vanter l’immense satisfaction d’engloutir 40 bornes en mini short moule-gonades, éclairé par ampoules aux pieds avec option néon 40 000 watts et des cuisses en feu mais épilées (rapport à mon dernier article, merci pour ceux qui suivent).

Que nenni ami lecteur ! Cela n’aurait rien à voir avec votre blog préféré. Je viens tout humblement d’achever la course la plus mortelle au monde, assis dans mon fauteuil Louis XV (prononcez Poäng en suédois). Il s’agit bien sûr de Marche ou Crève de Richard Bachman (alias Stephen King ou l’inverse).

marche ou creve 1

Achever est le bon terme car dans ce roman à l’eau de sueur écrit en 1979, tout participant marchant en-dessous de 6,5 km/h est exécuté après 3 avertissements (tout de même, grand seigneur !). Le but du jeu car il s’agit d’un genre de télé-réalité avant l’heure mais sans les SMS, est donc de terminer dernier (survivant), il ne doit en rester qu’un, comme dirait tonton MacLeod. Le vainqueur reçoit une très grosse somme d’argent ainsi que la réalisation d’un «vœu».

Au premier abord, ainsi qu’au deuxième, ce genre road book peut sembler long, les pages s’égrainent semant les corps des jeunes concurrents, terreau d’un fertile vainqueur (oh c’est beau). Pour nous aider à nous repérer, le récit se focalise sur Ray(mon) Garraty. Au travers de ses rencontres, ses doutes, ses rêves, nous sommes plongés au cœur de la course, devant une foule en liesse massée en liasse sans se lasser (oups, mon lacet s’est défait !). Au-delà de la douleur, lorsque le mental vous a abandonné depuis longtemps, la victoire n’est plus l’objectif, seul l’espoir d’une délivrance vous tient encore debout. Malgré tout, des amitiés sont possibles, voire même une certaine entraide contre nature entre les candidats.

marche ou creve 2

Extrait 1 : « Ralentissons un peu, dit Mc Vries. On va y aller mollo. Rejoindre Baker. Nous entrerons dans Augusta ensemble. Les Trois Mousquetaires. Qu’est-ce que t’en dis, Garraty ?»

Extrait 2 : « – Nous voulons tous mourir, déclara-t-il. C’est pour ça que nous faisons ça. Sinon pourquoi, Garraty ? Pourquoi ? »

Extrait 3 : « – Je vais marcher à te crever. »

Le rythme de la fin s’accélère comme si l’auteur était pressé d’en finir, on entend presque Maman King crier à son Stephen de fils : « dépêche-toi, ta soupe va refroidir ! » C’est un petit peu dommage car l’ensemble du roman est parfaitement équilibré.

Pour conclure, je me pose la question : Ne sommes-nous pas déjà engagés dans cette course ? Vous avez 3 heures je relève les copies à la fin!

Je vous laisse là-dessus, vous pouvez retourner sauver le monde, j’ai ouï dire que c’était un job à temps plein.

Informations :
Marche ou crève – Stephen King (Richard Bachman)
Le livre de Poche – Fantastique
Code ISBN : 978-2-253-15139-5
Prix public : 6,60 €




Sombre dimanche chez les Mandy

Imre ne rime pas forcément avec émir.

Certes, en Hongrie, il y eut Imre Kertesz, génie littéraire, et avant lui Imre Nagy, figure de l’insurrection populaire, à ce titre parfois considéré comme un héros national.

Mais il faut aussi compter avec Imre Mandy, premier du nom et d’une longue lignée d’Imre Mandy (le prénom se transmettant de père en fils à l’aîné des garçons). L’aïeul a été le bâtisseur d’une petite maison, à l’origine isolée au milieu d’une clairière en périphérie du centre-ville de Budapest. Puis, au fil des générations, ce havre de paix s’est trouvé enclavé au « beau » milieu des voies de chemin de fer de la gare de Nyugati. C’est là qu’ont ensuite grandi Imre Mandy (le grand-père), Pàl (le père, seule exception à la règle des prénoms…) et Imre Mandy (fils de Pal et petit-fils d’Imre), héros du roman de la jeune auteure française, Alice Zeniter.

Extrait 1 :
Pal et Agi ne voulaient pas entrer dans le monde des parlants. Ils préféraient leur silence.
Très rapidement, cela devint une habitude. Imre suivait les rails dans la nuit, à l’heure où plus aucun train ne passait, où il pouvait marcher sans peur. Et, arrivé près de la maison, il voyait les points rouges de deux cigarettes dans le jardin triangulaire.
Agi et Pal fumaient un paquet entier pendant la nuit, avant de trouver la force de regagner leur chambre. Ils regardaient devant eux dans le noir, sans jamais se confier ce qu’ils y voyaient.

 

Un héros élevé en plein joug communiste et qui voit arriver à l’aube de l’adolescence un champ de possibles nouveaux, une promesse d’espoir, de liberté et de lendemains qui chantent et fleurissent. Une promesse de voyage et d’inconnu(e)s.

Hélas, ces promesses et ces ardeurs se retrouvent rapidement rattrapées par la réalité de son quotidien et de son entourage. Tout espoir se mue alors en illusion, puis en désillusion. L’immobilisme et le fatalisme règnent dans le jardin triangulaire des Mandy. Et rien ni personne ne semble pouvoir contrecarrer les plans d’un implacable destin ni la fatalité dans laquelle semblent se complaire les membres de cette famille.

Extrait 2 :
L’étroitesse de la maison au bord des rails rendait l’adolescence d’Imre encore plus difficile. Il avait toujours l’impression de buter sur un membre de sa famille quoi qu’il fasse. Il avait des lubies de réorganisation, espérant établir des barrages entre son espace personnel et le reste du monde.

 

Justement récompensé par le Prix de la Closerie des Lilas (Arkult avait assisté à cette belle consécration) puis par le Prix du Livre Inter en 2013, « Sombre Dimanche » est une plongée dans la complexité et l’insignifiance de la vie humaine. La mort rôde, sournoise et prévisible, au détour des chapitres, et avec elle les douloureux secrets de famille, les déceptions amoureuses, les désillusions amicales. Dans un cadre propice à l’espoir de renouveau qu’est celui du Budapest libéré et qui cherche à se réinventer, Alice Zeniter nous rappelle à la triste amertume de la réalité. Avec son écriture directe, efficace, elle ne laisse pour ses personnages, aucune place à l’hésitation, ni pour son lecteur à l’ennui.

Pratique :
Sombre Dimanche, d’Alice Zeniter
Ed. Albin Michel
Format : 205 mm x 140 mm
288 pages
EAN13 : 9782226245175
Prix : 19.00 €

Vous pourrez bien sur vous procurer ce livre dans une de nos librairies coups de coeur, l’Ouvre Boîte.

 




Sans visage – Chronique de l’horreur peu ordinaire

Pekka Hiltunen - Sans visage - Couverture
Pekka Hiltunen – Sans visage – Couverture

Un thriller qui nous vient du froid et interroge sur notre société contemporaine. Par l’intermédiaire des yeux d’une étrangère émigrée à Londres (Lia Palaja), Pekka Hiltunen nous fait réfléchir sur les mutations en cours au sein de nos sociétés occidentales.

La montée en flèche de violences toujours plus sordides, la prise de conscience et l’engagement citoyen, la crise de confiance croissante envers les institutions et administrations, police en tête.

Deux événement déclencheurs de toute l’histoire.
Le premier : une découverte macabre à l’arrière d’un coffre de voiture. Des restes humains, oeuvre d’un passage acharné d’un rouleau compresseur de chantier, déposés aux yeux de tous en plein coeur de la City. Voilà pour l’origine du mal.
Le second : la rencontre entre deux Finlandaises en terre étrangère (Lia et Mari), qui dès les premiers instants, comprennent qu’elles ont une histoire à écrire et vivre ensemble. Voilà pour l’origine du bien.
Vision quelque peu manichéenne qui va toutefois se voir nuancée au fil du récit.

Ce thriller, premier d’une trilogie londonienne, est un manifeste non dissimulé pour un certain féminisme, en guerre active contre la prostitution et les violences faites aux femmes. Un combat fortement teinté d’engagement politique, pour prévenir notre société moderne des dérives que peut engendrer la tentation de se rallier aux extrêmes. Notamment au regard de l’immigration et des débats publics que l’on connaît actuellement dans de nombreux pays européens.

« Sans Visage » peut se lire comme une ode au multiculturalisme. Au coeur d’un Londres composé de populations de tous horizons (est-ce qu’il le restera ? Les débats en cours en Grande-Bretagne pourraient modifier la donne). Avec deux héroïnes finlandaises. Et des personnages venus d’Europe de l’Est. Quel destin pour ces émigrés, en quête d’un nouvel avenir ?

Des ingrédients assez basiques finalement dans la littérature, mais qui font mouche sous la plume du finlandais Pekka Hiltunen. Sans doute grâce aux personnalités fortes des différents personnages, Lia et Mari en tête, et au rythme haletant du récit. Malgré certaines invraisemblances ou « heureux hasards » dirons-nous, « Sans Visage » ne vous laissera de répit qu’une fois achevé. Impossible de s’y soustraire en cours de lecture … 

Extrait :
La panique se propagea dans la rue. Elle se répandit sur les visages des passants et dans leurs gestes inquiets.
Encore écrasée par la torpeur matinale, Lia fixa la scène à travers la vitre du bus. Tous les passants arboraient soudain la même expression, comme une grimace provoquée par une terrible nausée.
On était début avril. Lia se rendait à son travail. C’était une cérémonie de soumission quotidienne, une heure en offrande au flux de la circulation qui traversait cette ville trop grande et trop remplie. Pour Lia, vivre à Londres signifiait vivre collée à d’autres personnes, un abandon constant de son propre espace vital au profit des autres.
Ce matin-là, dans la rue Holborn, peu avant le terminus de la rue Stonecutter, elle vit quelque chose qu’elle n’avait jamais aperçu auparavant.
L’instant avant la catastrophe. C’est à ça que ça ressemble.
Une voiture était garée sur le trottoir et une foule se pressait tout autour. Là se trouvait la source de la peur, le point zéro d’où la panique se propageait.
La voiture était une grosse Volvo blanche, garée en travers du passage piétons, comme abandonnée là en urgence. On n’apercevait personne à l’intérieur du véhicule mais le coffre était grand ouvert. Les passants le montraient du doigt, et ils étaient de plus en plus nombreux à ralentir le pas et à s’arrêter.
Dès qu’une personne s’approchait suffisamment pour voir à l’intérieur du coffre, son expression changeait. La grimace.
Quel qu’ait été le contenu, il les pétrifiait tous, comme s’ils recevaient un coup en pleine figure. Beaucoup se dépêchaient de s’éloigner.
Pourtant, la foule continua à s’amasser sur les lieux.
Par la porte ouverte du bus, Lia entendit les exclamations des passants. C’étaient des phrases angoissées, hachées, elle n’arrivait pas à savoir ce qui s’était passé. Un homme appelait un numéro d’urgence avec son portable. Une dame âgée avait fermé les yeux et répétait : «Mon Dieu. Mon Dieu.»
Lia se mit debout pour voir ce qui se passait sur le trottoir, mais à l’instant même le bus démarra et les portes se fermèrent. Le chauffeur appuya sur l’accélérateur pour se réinsérer dans la circulation. L’instant d’après, Lia fut projetée contre le siège devant elle, puis rebondit sur son propre siège. Le chauffeur avait pilé pour ne pas entrer en collision avec deux véhicules qui étaient venus se garer devant lui.
Le premier était une voiture de police. Ce n’est qu’en voyant le gyrophare clignoter sur le toit, même une fois la voiture arrêtée, que Lia fit le lien avec la sirène assourdissante qu’elle entendait en fond sonore. Le second véhicule qui s’était frayé un passage était une camionnette d’une chaîne télé, flanquée du logo d’ITV News.
Le bus repartit. Lia ne pouvait plus apercevoir l’intérieur de la Volvo d’aussi loin. En un instant, la scène étrange fut derrière elle.

 

Pratique :
Sans Visage – Pekka Hiltunen
Titre original : Vilpittömästi sinun
Traduction française : Taina Tervonen
448 pages
Editeur : BALLAND (5 avril 2013)
Langue : Français
ISBN : 978-2353151671

 




In Nomine Fratris – Au nom du frère …

In Nomine Fratris - Michel MALAUSSENA - Couverture
In Nomine Fratris – Michel MALAUSSENA – Couverture

« In Nomine Fratris » est le 3e ouvrage de Michel MALAUSSENA. Après « Animatueurs » (1) , véritable pavé dans la mare infestée de crocodiles du petit écran, puis « Et Pourquoi pas Hollywood ? » (2), il signe ici un roman prenant combinant  fiction et éléments du réel.

S’appropriant l’exercice de style qui voit se mêler et s’interposer deux récits en apparence sans rapport, il mène d’une plume adroite et puissante le déroulement d’un mystérieux fil d’Ariane.

D’une part, des documents on ne peut plus formels : procès-verbaux de gardes à vue, rapports d’auditions de témoins, dépositions en tous genres, autour d’un étrange accident nocturne.
De l’autre, des récits de jeunesse, souvenirs d’une enfance bercée par la sécurité d’une famille aimante, guidée par des valeurs fortes.

 

 

 

J’en veux pour preuve ces deux courts extraits :

Extrait 1 : 

« Question : Votre mari était-il sujet à malaise ?
Réponse : Jamais depuis que le connais.
Question : A votre avis, pourquoi votre mari a-t-il abandonné Madame Annezer ?
Réponse : Je ne puis vous répondre.
Question : Désirez-vous allez voir votre mari à la morgue ?
Réponse : (n’a pas répondu) »

 

Extrait 2 :

« – L’église ? Ça va pas bien ou quoi ?
Mais notre mère a insisté dans l’intention de normaliser les rapports père-fils.
– Comment veux-tu qu’il considère un mariage hors de l’Eglise ? … Comme une provocation supplémentaire ?
Lorsqu’il a compris que son père apprécierait l’effort et trouverait là l’occasion de recoller les morceaux, mon frère s’est résigné.
– Après tout, c’est un effort dérisoire, tu as raison, autant ne pas gâcher la fête, je n’en suis plus là.
Il est de ces gestes auxquels le plus obtus des parents ne peut rester insensible. Après trois ans de brouille, la concorde était donc en route. »

 

Ces routes, en apparence parallèles, finirent néanmoins par trouver un point d’ancrage. Une rencontre qui bouleverse le cours d’existences paisibles.

Michel MALAUSSENA réussit là un véritable tour de force. A la froideur des documents judiciaires, il oppose la chaleur de l’amour filial et fraternel. A l’impersonnalité des échanges administratifs, il oppose l’inébranlable des sentiments humains. A l’injustice orchestrée par les instances d’un Etat dépassé par les événements, il dresse la soif de justice d’une famille désemparée et accablée par le malheur.

Pratique

Broché: 280 pages
Editeur : BALLAND (7 mars 2013)
Collection : LITTERATURE
Langue : Français
ISBN : 978-2353151950

 

Notes :
(1) : Animatueurs – Ed. Jean-Claude Gawsewitch Editeur, 2008
(2) : Et pourquoi pas Hollywood – Ed. Jean-Claude Gawsewitch Editeur, 2009

 




1275 âmes (et quelques morts plus tard) de Jim Thompson

Crédit photo : Folio Policier
Crédit photo : Folio Policier

Polar sauce western,  1275 âmes est le récit du shérif de Pottsville, Nick Corey, héros délicieusement antipathique d’une ville qui ne l’est pas moins.

Sous des airs tout d’abord lâches et fainéants, nous le découvrons au fil des pages rusé et manipulateur se jouant de l’hypocrisie et de la vilénie des 1275 habitants.  Justifiant le meurtre (et sa lâcheté) par une mission divine. Qui sont les innocents, qui sont vraiment les coupables ? Certainement tous et personne à la fois.

Qualifié de Polar rural, proche de l’atmosphère de John Steinbeck et des décors de Mark Twain, mais la comparaison s’arrête bien ici. Publié en France en 1966, ce roman conjugue le cynisme à tous les temps.  Les femmes sont calculatrices et les hommes des pochetrons paresseux. Amateur de bons et beaux sentiments fuyez !  Pour tous les autres, vous adorerez détester les personnages. Les dialogues peuvent parfois dérouter mais nous resituent dans une Amérique profonde  où les « nom de nom » ou « Et v’la-ti’ pas… » sont légions. Il y a peu d’indication temporelle dans cet ouvrage, nous déduisons simplement que  l’esclavagisme n’est pas encore aboli, peu importe, l’action pourrait se transposer à notre époque ce qui rend ce polar encore plus captivant.

 

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Extraits :

« – C’est mon métier, oublie pas, de punir les gens pour le simple fait qu’ils sont des êtres humains. De les amadouer jusqu’à ce qu’ils se montrent tels qu’i’ sont et ensuite de leur tomber dessus. Et c’est un sale boulot, figure toi, mon loup, et j’estime que le plaisir que je peux trouver à les piéger,  j’ai bougrement mérité. »

« Je suis les deux à la fois, […] Le type qu’est trahi et celui qui trahit l’autre, les deux en un seul ! »

1275 âmes

Traduit de l’anglais (États-Unis) : Marcel Duhamel

Titre original : Pop. 1280

Édition originale : Gallimard / Série Noire – Janvier 1966
Rééditions : Gallimard / Série Noire – Septembre 2005 /
Dernière édition poche : Folio Policier – Octobre 1998
Autres éditions : Folio – Juin 1988 / Carré Noir – 1980 /

Adaptation au cinéma : Coup de Torchon de Bertrand Tavernier.




La Théorie de l’Information – Aurélien Bellanger

A travers Pascal Ertanger, avatar de Xavier Niel, Aurélien Bellanger romance les premiers pas de la télématique et nous replonge dans les débuts de l’Internet. Amour, trahisons, épopées technologiques, tous les ingrédients d’un roman d’exception sont là, et pourtant …

Seulement 30 ans séparent la naissance du minitel de celle du web 2.0, si peu d’années pour une si grande révolution, voici en synthèse le fond du livre. Quant à la forme, elle prend corps par le personnage central que nous découvrons enfant, chétif, presque mal dans sa peau. Pascal grandit, mûrit, trop et trop vite pour finir en ermite moderne, mégalomane mystique, tel un Foster Kane (1) isolé dans son palais à préparer la prochaine révolution.

Des premiers tests sur le minitel et son essor notamment grâce au minitel rose, de la prise de conscience que sans support de diffusion l’information n’existe pas, à l’apogée du web participatif, tout y est aussi bien sous forme romancée que technique façon Wikipédia, mais à trop vouloir contenter tout le monde on finit par ne plaire à personne, et c’est, peut-être là la faiblesse de ce premier opus.

Chaque chapitre débute par des interludes, références à la première révolution industrielle eux-mêmes divisés en trois époques  (steampunk, cyberpunk et biopunk), habilement mis en parallèle avec le roman mais sous une forme bien trop technique pour s’y passionner jusqu’au bout. On sent un style proche de M. Houellebecq mais sans toutefois l’atteindre et l’on regrette cette audace qui, si elle avait été plus modérée, n’aurait nullement nui à l’ensemble.

Extraits :

« Je veux à présent faire de la rétro-ingénierie divine. Car toute machine à calculer, depuis celle de Pascal, est une tentative qui vise à énumérer le nom infini de Dieu, son nom mathématique »

« Derrière mon activité officielle de fournisseurs d’accès à Internet, je fournissais en réalité le réseau en vies humaines. »

« Pascal croyait à la théorie de l’information comme à une théorie religieuse. »

« On fit de Pascal Ertanger un savant fou, un apprenti sorcier et un eugénsite. On le compara au milliardaire fou Howard Hugues […] ».

Que devons-nous retenir de La Théorie de L’information ? Beaucoup de choses en fait, outre le bain chaud de la nostalgie (on se souvient du son mélodieux de la connexion minitel ou de celui des modems 56K), ce roman pose un certain nombre de questions sur notre avenir, sur ce que l’on veut y laisser : si ce n’est de l’information, que restera-t-il de nous ? De plus, c’est un livre que l’on peut lire dès maintenant bien sûr, ou dans 10 ans et s’amuser du chemin technologique parcouru lorsque nous découvrirons nos E-mails 4D sur des I-Phone 12, mais aussi à la veille de l’extinction de l’humanité pour s’entendre dire « Et pourtant on nous avait prévenus »…

 

Note :
(1)   Personnage principal du film CITIZEN KANE 1941 (Orson Welles)

 

 

LA THEORIE DE L’INFORMATION :

Aurélien BELLANGER
Édition Gallimard
Collection Blanche Roman
496 pages 22,50 €
ISBN : 9782070138098




Un Gon-cours de littérature par Jérome Ferrari

Des destins qui se croisent, des générations qui se mêlent, des familles qui se déchirent.
Voici quelques-uns des ingrédients qui ont permis au « chef » Jérôme Ferrari de se voir attribuer le Graal de la littérature française, j’ai nommé le Prix Goncourt millésime 2012.

« Le sermon sur la chute de Rome » nous plonge au coeur de la Corse, entre tradition et modernité, une sorte de salé sucré temporel…

Dans le rôle du salé, la Tradition, incarnée par le vieux Marcel, grand-père d’une famille en décomposition, seul survivant d’une époque en noir et blanc.
Sa mémoire en bandoulière, une photo de ses frères et soeurs encore enfants comme seul témoin d’une époque révolue.

Dans celui du sucré, la Modernité incarnée par Matthieu et Libero, amis depuis l’enfance, naturellement devenus frères de coeur, en quête d’un projet commun.
Et ce projet va se présenter à eux sous une forme inattendue. Un bar de village, tombant en décrépitude au gré des repreneurs successifs, va constituer leur promesse d’avenir commun.

Au fil des pages, la mayonnaise va prendre progressivement, le projet des deux amis va devenir une réalité douce, sucrée, au bon goût de l’été et du soleil corse. Mais tout bon cuisinier vous le dira, il ne faut jamais laisser sa préparation sans surveillance … Au risque de voir tous les efforts réduits à néant.

« Ce que l’homme fait, l’homme le détruit ».
Cet adage tiré du sermon de Saint-Augustin trouve tout son écho dans les pages de Jérôme Ferrari. Tout empire aussi puissant et vaste soit-il semble hélas voué à disparaître sous les ravages de la passion humaine.

Dans son dernier roman, la plume de l’auteur est dense, parfaitement maîtrisée. Elle étouffe le lecteur sous la chaleur et les traditions corses.
La bassesse de l’esprit humain lui répugne. Petit à petit, il étouffe. La vétusté du libre arbitre l’oppresse, l’angoisse, le désarçonne.
La bataille entre générations qui est dépeinte dans ce chef d’oeuvre laisse l’âme en terreur. Cette même terreur dans laquelle il nous avait déjà emmené dans son précédent opus « Où j’ai laissé mon âme ».

Le sermon sur la chute de Rome

 

Extrait
« Dans ce village, les morts marchent seuls vers la tombe – non pas seuls, en vérité, mais soutenus par des mains étrangères, ce qui revient au même, et il est donc juste de dire que Jacques Antonetti prit seul le chemin du caveau tandis que sa famille regroupée à la sortie de l’église sous le soleil de juin recevait les condoléances loin de lui, car la douleur, l’indifférence et la compassion sont des manifestations de la vie, dont le spectacle offensant doit être désormais caché au défunt. »

 

Le sermon sur la chute de Rome
Jérôme Ferrari
Editions Actes Sud
202 pages
ISBN 978-2-330-01259-5
19€

 




Beigbeder – Sur une banquette du Flore…

Frédéric Beigbeder
Frédéric Beigbeder

Auteur réussissant à apprivoiser la mélancolie en la métamorphosant en une douce promenade sur la plage. C’est bon comme un mars d’1 m50 (celui qui repart), un buffet à volonté sans pique assiette, une douzaine d’huitres déjà ouvertes et en plus c’est 0 calorie dedans.

Qu’entend-on le plus souvent sur M. Beigbeder ? Un noceur, un dandy, sexuellement obsédé. Que retrouve-t-on le plus souvent dans ses livres ? Des noceurs, des dandys, des nymphomanes dénudées. Voilà nous pourrions nous arrêter là et passer à côté de Frédéric, car son œuvre est, bien entendu, tout autre.

Frédéric Beigbeder, mode d’emploi :

Etape 1 : Commencer par la fin, oui, par son dernier livre Un roman Français non pas parce qu’il est le meilleur (prix Renaudot, tout de même) mais parce qu’il est le plus personnel et sûrement le plus honnête, on découvre l’homme derrière l’écrivain, d’ailleurs chacun de ses livres a quelque chose d’autobiographie ou une « autofiction prospective » comme  le décrit Houellebecq.

Citation 1 : « C’est l’histoire d’un garçon mélancolique parce qu’il a grandi dans un pays suicidé, élevé par des parents déprimés par l’échec de leur mariage. »

Etape 2 : Reprendre par le début, la trilogie Marc Marronnier : Mémoires d’un jeune homme dérangé, Vacances dans le coma et L’amour dure trois ans. Une lutte sans fin pour trouver l’amour, le consumer et surtout le perdre, afin de recommencer, dans cet ordre, invariablement. L’empreinte Beigbeder y est déjà forte avec des formules dignes d’Audiard (le père).

Citation 2 : « Vive la drague droguée ! Plus besoin de briller, de dépenser des fortunes, de diner aux chandelles : une gélule et puis au lit ! ».

Citation 3 : « Il me faudra une corde avec un nœud comme ce fromage : bien coulant. »

Citation 4 : « A New York les taxis sont jaunes, à Londres ils sont noirs et à Paris ils sont cons. »

Etape 3 : Enfiler le costume du plus célèbre publicitaire névrosé : Octave Parango, dans 99 F (rebaptisé 14,99), en oubliant, s’il vous plaît, le film, pour finir dans une Russie en déconstruction dans Au secours Pardon où, après quelques années de prison, Octave confie son errance amoureuse à un prêtre orthodoxe à la Camus dans La Chute et détruit tout puisque plus rien ne peut survivre.

Citation 5 : « Les bombes, je les préfère sexuelles, et les attentats, à la pudeur. »

Etape 4 : Ne passer surtout pas à côté de L’Egoïste Romantique, Octave (encore un !, en musique une octave est l’intervalle séparant deux sons dont la fréquence fondamentale de l’un vaut le double de la fréquence de l’autre, tiens tiens !), cet écrivain « égoïste, lâche,  cynique et obsédé sexuel – bref un homme comme les autres » nous partage son journal intime, les jours s’écrèment alternance d’épanchements romantique et de regards lubriques, on se délecte de ses frasques et des ses rencontres.

Citation 6 : « Ce qui serait bien, à présent, pour l’évolution de l’histoire du cinéma, ce serait de tourner un film porno où les acteurs feraient l’amour en se disant « je t’aime » au lieu de « Tu la sens, hein, chiennasse ». Il paraît que cela arrive, dans la vie (L’idéal est d’alterner les deux) ».

Citation 7 : « Les hommes sont toujours entre une ex et une future, car le présent ne les intéresse pas. Ils préfèrent naviguer entre la nostalgie et l’espoir, entre la perte et le fantasme, entre la mémoire et l’attente. Nous sommes toujours coincés entre deux absentes. »

Etape 5 : Voilà votre Frédéric Beigbeder est quasiment monté, tel un meuble Ikea, mais sans douleur. Reste les finitions, avec Windows on The World coincé dans la tour Nord du World Trade Center le matin du 11 septembre, vous n’avez plus que quelques heures à partager avec de parfaits inconnus, à quoi les passons-nous, à qui ou à quoi pense-t-on ?,  bilans de vies qui s’achèvent, entrecoupé d’un petit déjeuner au Ciel de Paris en habile parallèle.

Etape 6 : Toujours pas rassasié ? Plonger sans retenu dans Nouvelles sous ecstasy, inventaire hallucinant d’images et d’actes tous plus incontrôlés les uns que les autres sous influences d’ecsta et retours de shoots. On se demande où est la part de réel ce qui libère le propos, le rend plus honnête. A lire et relire sans limite le chapitre : Comment devenir quelqu’un, tout simplement splendide.

Citation 8 : « S’abîmer de manière irréversible le cœur, gâcher sa vie pour quelqu’un, et pleurer, vivement pleurer ! Plus besoin de cachets, ni de fouets, tu seras à la merci de ses yeux et de ses lèvres. En pensant à ses baisers et son parfum, tu auras de nouveau la respiration difficile ».

Citation 9 : « On naît, on meurt, et s’il se passe quelque chose entre les deux, c’est mieux (F. Bacon) ».

Citation 10 : « Il existe une zone de flou artistique entre le célibat dépressif et le mariage ennuyeux : baptisons-la bonheur ».

Encore un peu de souffle ?  Dernier inventaire avant liquidation où ce qu’il faudra avoir lu du XXe siècle.

Je laisserai le mot de la fin à Michel Houellebecq : « Frédéric Beigbeder [est] peu à peu devenu une sorte de Sartre des années 2010, ceci à la surprise générale et un peu à la sienne propre, son passé le prédisposant plutôt à tenir le rôle d’un Jean-Edern Hallier, voire d’un Gonzague Saint-Brice. »

 Bibliographie non exhaustive

  • 1990 : Mémoire d’un jeune homme dérangé, La Table ronde.(Roman)
  • 1994 : Vacances dans le coma, Grasset. (Roman)
  • 1997 : L’amour dure trois ans, Grasset. (Roman)
  • 1999 : Nouvel sous ecstasy (nouvelle)
  • 2000 : 99 francs (14,99 euros), Grasset. (Roman)
  • 2001 : Dernier inventaire avant liquidation (Essai)
  • 2003 : Windows on the World, Grasset, prix Interallié. (Roman)
  • 2005 : L’Égoïste romantique, Grasset. (Roman)
  • 2007 : Au secours pardon, Grasset. (Roman)
  • 2009 : Un roman français, Grasset, prix Renaudot. (Roman)



Mailles à l’envers – Marlène Tissot

La cruauté de la vie n’épargne pas la narratrice de cette histoire, une petite tête blonde. Sous la plume d’une enfant, d’une adolescente et d’une jeune adulte, les faits les plus cruels et révoltants sont parfois bien peu de choses.

Naïveté de l’écriture, innocence de l’enfance, la vie et ses méandres apparaissent comme un concours de circonstances perdu d’avance.
De l’ivresse alcoolique du père  à la débauche amoureuse de la mère : la cellule familiale de la narratrice est en perpétuelle mitose, perpétuelle séparation reproduisant à l’infini le même cauchemar.

La violence du quotidien la frappe de plein fouet. Toutes les violences y passent : verbales, physiques, psychologiques. C’est trop pour une seule et même personne, surtout quand cette jeune personne sort tout juste de l’enfance ou de l’adolescence.

Extrait 1 :
« C’était pas de la jalousie que j’avais au fond du ventre. Pour ça, il aurait fallu de l’amour. Et l’amour, j’y étais réfractaire. Mon coeur dormait dans un congélateur. Mais la fidélité avait un je-ne-sais-quoi d’essentiel à mes yeux. Le genre de truc un peu étrange, un peu magique, auquel j’avais besoin de croire. »

Marlène Tissot nous emmène, vous l’aurez compris, dans un récit fort, dont on ne peut sortir indemne. Dans ce premier roman, elle jongle entre les âges de sa narratrice, entre ses souffrances, ses peurs, ses espoirs, aussi maigres soient-ils.
L’écriture est à l’image de celle qui écrit son journal : crue, amère et directe. Parfois un peu trop directe d’ailleurs, où l’on regrette alors le choix de l’auteure de se fondre complètement dans la peau de son personnage, s’attacher à un langage se voulant enfantin / adolescent, et s’y retrouver comme coincée.

Une traversée de la souffrance humaine (hélas) ordinaire.
Poignant. Saisissant.

Extrait 2 :
« J’ai obtenu mon bac. Haut la main, avec un putain de mention. Val était recalée. Apparemment, elle s’en foutait. On s’est bu un jus au bistrot d’à côté. Puis elle m’a raccompagnée. Rocade. Cent quarante kilomètres à l’heure. Sa rage un peu plus appuyée sur l’accélérateur. Sirotant les feux rouges comme des grenadines. Bercée par le cri du moteur, je me suis remise à espérer un accident. Un truc violent, rapide, définitif. Histoire de clore le chapitre en beauté. Mais j’étais pas seule dans la carlingue. »

 

Mailles à l’envers, de Marlène Tissot
Editions Lunatique
www.editions-lunatique.com
156 pages
Date de parution : février 2012

 




« Les Papis font de la Résistance » (L. Sepulveda)

L’ombre de ce que nous avons été – L. Sepulveda

Coup de coeur en cette semaine de rentrée pour certains dont je fais partie.
Ce court roman de l’auteur chilien paru en 2009 nous conte l’histoire d’anciens révolutionnaires de Santiago.

Réunis bien des années après leurs faits d’armes (ou d’idées), ils rêvent toujours de propager la révolution.
Et c’est bien ce à quoi ils comptent occuper leurs retrouvailles.
Dans la chaleur étouffante de la capitale chilienne, Arancibia, Salinas et Garmendia préparent un nouveau coup, avec l’aide du « spécialiste ». Hélas, ce spécialiste n’arrivera jamais, victime malgré lui de la chute d’un tourne-disque qui lui est fatale.

 

Citation 1 :
« Concepcion Garcia fit alors une description assez cohérente et détaillée d’une vie ratée à cause des dettes, du manque d’espoirs et de l’indolence d’un mari qui, d’après ce que comprirent les deux policiers, était passé d’un radicalisme politique disparu dans les années quatre-vingt à une vie consacrée au septième art en qualité de spectateur domestique. »

 

En moins de 150 pages, Sepulveda arrive à transmettre à son lecteur un riche aperçu de l’histoire mouvementée qu’a connu son pays durant les deux derniers siècles.
Communisme, anarchisme, socialisme modéré, conservatisme, tous les courants politiques qu’a connus le pays sont dépeints à travers les luttes des différents personnages.


Citation 2 :
« Ce fameux gendre est aujourd’hui un des hommes les plus riches du monde, il a fait fortune en achetant pour une bouchée de pain les industries nationales et les a revendues ensuite avec des bénéfices impossibles à évaluer.Ce doit être dur de dormir serré contre les jambes poilues d’une idiote, à titre de compensation il a donc reçu les forêts du Sud et en a fait du petit bois. »

 

A grand renfort d’un humour bien senti et de situations parfois absurdes, Sepulveda nous transmet l’ambiance qui pouvait alors régner dans ce pays.
Délation et espionnage alimentaient la peur quotidienne au ventre des habitants de Santiago.
Il n’y avait alors plus d’amis ou de voisins qui ne tenaient. Beaucoup étaient victimes d’une amnésie subite (et subie).

La chaleur n’arrange rien au sentiment d’étouffement face aux combats qui se déroulaient alors dans les rues, ou, plus secrètement, dans les arrière-salles des cafés, des bureaux ou encore des administrations. Elle est heureusement contrebalancée, dans le récit, par bien des répliques et des situations qui auraient fait pâlir de jalousie un des frères de Marx (non pas le socialiste … Groucho !).

Bref, vous l’aurez compris, un livre à lire et à relire !
Instructif, documenté, et terriblement (et peut-être aussi étrangement) drôle et loufoque.

L’Ombre de ce que nous avons été – Luis SEPÚLVEDA
Titre original : La sombra de lo que fuimos
Traduit de l’espagnol par Bertille Hausberg
Ed. Métailié
Paru le 14/01/2010
160 pages, 17 €
ISBN 978-2-86424-710-4

P.S : merci à Stef pour ce titre fabuleux !