« Peau de vache » : loin du coup de génisse

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Copyright : Dakota Langlois
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Chaque lundi, jusqu’au mois d’août, le Théâtre des Déchargeurs accueille un spectacle à l’initiative louable : « Peau de Vache » de Céline Naissant. Ouvertement militante, celle-ci tente de conduire le public à une réflexion sur le traitement des animaux, notamment dans la grande distribution. Une partie des bénéfices de la musique du spectacle est d’ailleurs reversée à l’association éthique et animaux L214.

Malheureusement, la forme ne suit pas le fond.

Cinq vaches se rendent dans la salle d’attente d’un abattoir, pensant se rendre chez le médecin. Elles parlent de leurs vies comme des humaines : fausses couches, grossesses nerveuses et maltraitance de leurs hommes – les fermiers – qui décident tout pour elles. Lorsque l’une est emmenée, les autres cancanent comme des poules.

De cette idée amusante, qui pourrait faire une bonne improvisation dans un bar, naît une pièce interminable. Les mauvaises blagues attendues se succèdent : le mari de l’une – forcément un taureau – porte des cornes, une autre a été « marquée au fer rouge » par son ancienne relation ; tout cela parsemé d’un amalgame douteux entre « aux champs » et « Auchan ». Aussi, un jeu de mot incompréhensible autour de la marque Spanghero, ayant besoin d’être longuement expliqué, termine dans un grincement de dents du public.

Les vaches sont montrées comme des femmes grossières et médisantes (« tu attires les clients du Flunch, tu es buffet à volonté »), et si elle travaille à une prise en compte plus importante de la souffrance animale dans l’industrie alimentaire, la pièce ne participe pas à l’émancipation des femmes. La plus cultivée d’entre elle, montrée comme étant forcément la plus agaçante, se fait interrompre sans cesse par une autre au son d’un « tu nous fais chier », répété à plusieurs reprises.

Copyright : Dakota Langlois
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La seule partie du texte qui défend lisiblement le propos désiré, intervient lorsque les vaches débattent autour de l’importance de la vie des mouches. Mais là encore, on a droit à tout un tas de clichés généralisant sur la défense animale qui étayent les débats de fin de banquets : « au Moyen Âge, on pensait que les femmes n’avaient pas d’âme » ou encore « jusqu’à Dolto, on considérait l’enfant comme un paquet de lessive » – ce qui est inexact. Ecouter Céline Naissant pousse autant à la réflexion qu’écouter Brigitte Bardot : seuls les convaincus sont prêchés.

Le manque de finesse de la mise en scène achève le tableau. Les actrices font ce qu’elles peuvent, victimes de tentatives peu claires mais insistantes, pour leur faire adopter un comportement bovin au moyen d’artifices vulgaires ou redondants – les besoins dans un coin de la scène ou des ruminements à intervalles régulier, sans oublier quelques pets bruyants. Ici, nul jeu d’acteur : on montre qu’on joue des vaches.

La partie la plus méritante est aussi la plus ratée. Les dernières minutes du spectacle laissent place à un vidéoclip musical d’une naïveté digne d’Enya : une chanteuse maquillée se fait la voix d’un veau qui ne veut pas finir à l’abattoir, après une vie misérable. Un langage fait de poncifs qui iraient tout aussi bien à la défense des tortues qu’à des SDF. Le tout accompagné par une sorte d’expression libre dansée par la dernière actrice-vache survivante. Tout cela est bien trop sage.

Ce qui aurait été acceptable comme un spectacle écrit par des élèves de troisième dans un atelier de sensibilisation à l’écriture dramatique, ne devrait pas être programmé aussi longtemps sur le plateau d’un théâtre un peu sérieux.

« Peau de vache » de Céline Naissant. Mise en scène de l’auteur, chaque lundi jusqu’au 3 août au Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, 75001 Paris. Durée : 1h. Plus d’informations et réservations sur www.lesdechargeurs.fr.

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